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Le premier round fut d’« observation »… Il y eut quelques maigres échanges pleins de prudence… Puis, la bagarre démarra vers le milieu de la seconde reprise. Seulement, il n’y avait pas besoin de prendre une loupe pour comprendre que c’était du gros bidon. Les coups partaient molo et arrivaient plus mous encore. À ce train-là, le combat pouvait durer cent reprises… J’ai déclenché le pastaga :

— Chiqué ! me suis-je mis à hurler.

Ça s’est mis à murmurer autour de moi. Les invectives ont plu sur le ring !

— Hé ! les gars, battez-vous à coups de serpentins !

— Ils se font un massage facial, c’est pas possible !

— Du sang !

Les boxeurs ont pigé qu’il fallait tout de même se montrer plus convaincants. Micoviak manquait de punch, mais il avait du métier et il a dû se dire qu’après tout, son vis-à-vis étant payé pour s’allonger, il pouvait aussi bien l’étendre pour de bon… Il a lancé un crochet du gauche, bien contré par le Mohammed, puis un autre crochet du gauche qui n’a rencontré que les gants de l’adversaire. Cet Arbi avait tout ce qu’il fallait dans les brandillons pour devenir un crack ! Ça me faisait mal aux seins de le voir condamné à la passivité, alors que je lui sentais de la dynamite dans les gants. Fallait qu’il ait besoin de faire croûter son ascendance, ce pauvre mec… Probable qu’on lui avait promis la lune, à lui qui devait déjà regretter son soleil natal et la revanche, plus tard, la victoire par K.O., le titre !

Il devait y songer de toutes ses forces, le crouille, en serrant ses ratiches sur son protège-dents.

Micoviak a de nouveau placé un gauche, mais Mohammed jouissait d’une fameuse esquive. Le gong les a séparés une deuxième fois et les populaires ont commencé à jouer « Je casse la cabane », parce que des combats de ce genre ils en voyaient tous les samedis soirs au troquet du coin, et de plus variés, de plus saignants, avec même le précieux concours de police secours en supplément au programme !

Les managers des deux hommes leur ont dit de mettre plus de cœur au turbin, car, à partir de la troisième, le combat a revêtu une certaine âpreté. Je m’y suis presque laissé prendre, me disant que Mathieu-la-Vache n’avait peut-être pronostiqué qu’en se basant sur des déductions personnelles et que les choses se déroulaient normalement ; mais en y regardant de plus près, je voyais bien que Mohammed ne mettait pas le paquet. Il laissait volontairement échapper des occases merveilleuses. À un certain moment, comme l’ouverture de Micoviak était aussi large que celle du Parc des Princes, j’ai vu démarrer la droite de l’Arabe, seulement il a pensé aux conventions collectives et son poing, en arrivant, avait la mollesse d’une feuille d’automne se posant sur une pelouse.

Micoviak en a profité pour placer un contre fulgurant. Ben Couscous est parti sur son dargeot et il s’est retrouvé assis dans la résine, avec l’air de se demander si l’autobus avait du retard ou si le cours de l’or s’effondrait.

L’arbitre, qui devait être au courant de la combine, s’est précipité pour compter le mec.

— Un… Deux… Trois… Quatre…

Mohammed s’est mis à genoux et a eu une espèce d’éternuement idiot.

— Cinq… Six.

En vacillant, il s’est redressé. Micoviak avait pris une pose détachée. S’il n’avait pas eu ses gants il se serait probablement fait les ongles. Il jouait les bêcheurs. C’était le genre « Mordez ma force et ma souplesse ».

Le tronc est parvenu à se mettre debout à « huit » et l’arbitre s’est arrêté de compter. Micoviak a fait fissa pour apporter la prune complémentaire ; heureusement le gong a retenti…

Bérurier m’a enfoncé deux côtes d’un coup de coude.

— Non, mais tu as vu, ce contre du gauche, dis ? Comment qu’il l’a à sa main, le bic !

— Évidemment qu’il l’a à sa main, il pose pour Rodin, le champion de Bourgogne… Le nain Pieral le mettrait K O. à ce tarif-là !

— Que tu dis ! Micoviak n’est pas rouillé…

— Pas rouillé ? Ça grince quand il bouge… Si le combat n’était pas truqué comme les poches d’un prestidigitateur, tu verrais le travail.

Mais Bérurier tenait à calmer sa conscience. Il espérait palper de l’argent justement gagné.

— Je ne suis pas de ton avis, éluda-t-il.

Le gong résonna.

— Invitation à la valse, fit le Gros…

Il fronça les sourcils en voyant le crouille bondir sur son favori.

— Dis donc, fit-il inquiet, il a récupéré et il a l’air d’en vouloir !

Il en voulait, Mohammed… Son visage était d’un sale gris et ses yeux brillaient comme des lampions. Probable que la pêche du copain lui est restée sur la brioche. Il s’estimait baisé en canard par ce coup sournois et il devait se dire qu’une vacherie pareille annulait tous les accords précédant le match…

La salle sentait qu’il allait se passer quelque chose et retenait son souffle. Micoviak, d’un seul coup, était moins rose. Il lisait la colère de l’Arbi dans ses carreaux et faisait gaffe à ses plumes.

Mais il pouvait toujours jouer à cache-cache derrière ses gants. Ce fut simple et rapide : un direct du gauche dans la boîte à ragoût, histoire de faire tomber sa garde, un crocheton du droit à la mâchoire, et le champion de France eut droit à sa minute d’oubli… L’arbitre, mécontent, le compta dix au milieu d’une ovation gigantesque.

Ben Mohammed leva le bras sans enthousiasme. Il avait l’air de s’excuser.

2

Le Gros faisait une plus sale bouille encore que Micoviak. Le champion de France, au moins, découvrait des étoiles non repérables à l’observatoire de Pantruche, tandis que mon collègue voyait s’anéantir ses éconocroques du mois. Il l’avait mauvaise, Béru. Chez lui, sa bergère mettait l’embargo sur la pagouze et lui octroyait généreusement cinquante louis pour sa nicotine mensuelle et ses apéros. Il n’avait que la ressource de se rattraper sur les notes de frais, le pauvre chou. Il comptait des notes de taxi imaginaires à l’administration et se farcissait le métropolitain.

Sa frime était d’un jaune faisandé et ses bons gros yeux injectés évoquaient les méchants glaves de tubar.

— Laisse que je le rencontre à un virage, le Mathieu, murmura-t-il en enfonçant son bada plus graisseux qu’un beignet sur sa tête cabossée. Laisse-moi lui donner un tuyau à mon tour. Seulement, le mien, San-Antonio, il sera en caoutchouc avec un bath nerf de bœuf à l’intérieur.

Le vent de ses paroles attisait sa haine.

— Ces fumelards ! enchaîna-t-il, ça sort de taule pour se payer notre poire ! Ils nous prennent pour des cavillons, je te dis !

J’ai secoué la tête.

— Non, Gros, tu te colles la membrane dans l’œil ! Mathieu est le premier marron ; je suis certain qu’il y a eu maldonne. Le crouille a bloqué un parpaing qui l’a fait sortir de ses gonds, voilà tout. Et comme c’est un beau petit massacreur, il a passé sa mauvaise humeur sur le plexus de Micoviak.

Je disais vrai, à preuve c’est que Mathieu-la-Vache, courageux, nous attendait devant la sortie, l’air pas flambard du tout.

Il s’est approché de Bérurier et lui a subrepticement glissé un ticket de cinq raides dans la poche.

— Mande pardon, a-t-il dit, je vous ai fait faire une connerie, je ne sais pas ce qui s’est passé.

Du moment que Béru rentrait dans ses débours, son cœur s’est remis à chanter un hymne d’allégresse.

Il a fait semblant de ne pas voir le billet de banque.

— Tout le monde peut se tromper, a-t-il déclaré, imitant en cela le hérisson qui descendait de sur une brosse à cheveux.

Nous sommes partis, lui et moi, sur ces bonnes paroles. Béru a insisté pour que nous allions boire la tournée de l’adieu dans une brasserie, en morfilant une choucroute. C’était une excellente initiative, à laquelle j’ai souscrit immédiatement, d’abord parce que j’aime la choucroute, ensuite parce qu’il était plus prudent pour mon ami de différer son retour à la maison. Le K O. prématuré avait écourté la réunion, et, à cette heure peu tardive, on pouvait parier un vent debout contre une place assise que la mère Bérurier était en train de se faire jouer « Ramone-moi » par son amant le coiffeur du dessous. À plusieurs reprises déjà, Béru les avait surpris en flagrant délit, et chaque fois, l’émotion violente qu’il avait ressentie à ce spectacle lui avait déclenché une crise d’entérite.