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Mon cœur fait soudain un bond, ça me retourne le ventre.

Non, c’est impossible. J’ai mal vu.

J’avale ma salive.

Mais quelque chose me dit que c’est possible.

Bon réflexe, au lieu de m’arrêter, j’ai poursuivi mon chemin. Je dois en avoir le cœur net. Mes mains tremblent parce que cette fois, si je ne me trompe pas, c’est la catastrophe, le grand saut sans filet. Je tourne une fois à droite, une seconde fois, une troisième, j’emprunte la même rue, au pas, je conserve la tête bien droite et je plisse les yeux avec l’air d’un homme absorbé par sa conduite ou par ses pensées mais je vois clairement, en passant à sa hauteur, la femme assise derrière le volant d’un 4×4 noir : c’est Yasmine. Elle porte une oreillette.

Aucun doute, c’est elle.

Elle attend.

Non. Elle guette.

Car si la jeune Arabe est là, garée dans une rue à trente mètres de chez Nicole, c’est que Fontana est là lui aussi.

Ils me guettent. Ils nous guettent. Nicole et moi.

Je continue de rouler, de tourner ici et là, au hasard. Le temps de comprendre ce qui se passe.

Dorfmann a donné ses instructions. Fontana a obéi, ce qui a mis un point final à sa mission.

La conclusion n’est pas difficile à déduire : maintenant que son contrat est terminé avec son ancien patron, Fontana s’est mis à son compte. Treize bâtons, ça motive. De quoi passer un reste de vie sans le moindre problème.

Sans compter la haine personnelle qu’il me voue. Je n’ai pas cessé de le mettre en échec, l’heure de l’addition vient de sonner. Fontana vient me chercher à domicile. Il n’a plus qu’un seul patron maintenant. Lui-même. Il est totalement désinhibé. Il est capable de tout.

Il se sert de Nicole comme appât, mais c’est moi qu’il veut. Me faire cracher mes coordonnées bancaires à coups de marteau. Il veut me faire payer, dans tous les sens du terme.

Il va tenter de nous prendre tous les deux. Il va faire hurler Nicole jusqu’à ce que je lui donne tout, tout, tout.

Après quoi, il la tuera.

Il me tuera moi aussi, il me réserve même sans doute un sort particulier. Fontana veut régler avec moi un différend personnel.

Je ne sais absolument pas quoi faire, je tourne, je vire d’une rue à l’autre, je fais tout pour éviter de passer une nouvelle fois à proximité de la voiture en surveillance. Fontana doit s’être posté de manière à me piéger lors de mon arrivée. J’ai échappé à sa surveillance parce qu’il n’imagine pas que j’arrive en voiture. Ils m’attendent sans doute en taxi, à pied, je ne sais pas.

Si Fontana met la main sur nous… Je vois déjà les images de Nicole assise, attachée. Ce n’est pas possible. Je suis totalement démuni. Je ne connais pas les lieux. Je déplie le papier avec l’adresse. Nicole est au huitième étage.

Y a-t-il un parking ?

Ne pas se montrer.

Mais quoi faire ?

Ma pensée est confuse, désordonnée.

Je ne vois qu’une seule issue. La pire mais la seule, passer en force et s’enfuir. C’est nul mais je ne vois rien d’autre à faire, mon cerveau se pétrifie autour de ce piège.

Je tends la main vers le téléphone de bord mais je tremble tellement que je le lâche. Je le récupère avec difficulté, je le coince contre ma poitrine, une place est disponible devant une porte cochère, je m’y gare quelques instants en laissant tourner le moteur. Il faut appeler Nicole. Je compose son numéro. Et dès qu’elle décroche :

— Nicole, il faut partir.

— Quoi ? Pourquoi ?

Perdue, Nicole.

— Écoute, je ne peux pas t’expliquer. Il faut partir tout de suite. Voilà ce que tu vas faire…

— Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Alain ! Tu ne m’expliques rien, je n’en peux plus…

Elle perçoit ma panique, elle comprend que la situation est grave, elle pressent le danger et du coup, sa voix la lâche et se transforme en sanglots. La terreur des dernières heures vient de remonter, intacte. Elle dit : « Non, non », en boucle. Elle est paralysée. Il faut la remettre en mouvement. Je lâche :

— Ils sont là.

Pas la peine de dire de qui il s’agit. Nicole revoit le visage de Fontana, celui de Yasmine, elle renoue avec la frayeur.

— Tu m’avais promis que c’était terminé.

Elle pleure.

— J’en ai marre de tes histoires, Alain, je n’en peux plus.

Elle ne me laisse pas le choix. Lui faire peur encore davantage, pour la mettre en mouvement.

— Si tu restes là, Nicole, ils vont venir te chercher. Il faut partir. Maintenant. Je suis en bas.

— Tu es où ? hurle-t-elle. Pourquoi tu ne viens pas ?

— Parce que c’est ce qu’ils veulent ! C’est moi qu’ils veulent !

— Mais c’est qui, bordel, c’est qui « ils » ?

Elle hurle. L’angoisse.

— Je vais t’emmener, Nicole. Écoute-moi bien. Tu descends, tu tournes à droite, c’est la rue Kloeckner. Tu prends le trottoir de droite. Tu n’as rien d’autre à faire, Nicole, rien d’autre, je t’assure, je m’occupe du reste.

— Non, Alain, je suis désolée. Je ne veux plus. J’appelle les flics. Je ne peux plus. Je ne peux plus.

— Tu ne fais rien ! tu m’entends ? Tu ne fais rien d’autre que ce que je te dis !

Silence. J’enchaîne. Il faut la forcer.

— Moi non plus je ne veux pas crever, Nicole ! Alors, tu fais ce que je dis, et rien d’autre ! Tu descends ! Tu prends à droite et tu le fais tout de suite, merde !

Je raccroche. J’ai tellement peur pour nous deux. Au fond de moi, je sais que ma stratégie est à peu près nulle. Mais j’ai beau fouiller, je ne trouve rien d’autre. Rien. Je laisse passer trois minutes, quatre, combien lui faut-il de temps pour se décider, descendre ? Puis je démarre. Personne ne s’attend à me trouver dans cette voiture. Pas même Nicole.

Faire vite.

Passer en force.

J’aborde au ralenti la rue Kloeckner, de loin, là-bas sur le trottoir de droite, la silhouette de Nicole, je roule dans sa direction, sa démarche est raide, si raide, j’arrive à sa hauteur, elle perçoit le bruit d’un moteur juste derrière, légèrement sur sa gauche mais elle ne tourne pas la tête, elle s’attend au pire à chaque microseconde, son pas est rigide, un pas de condamnée, je guette le bon moment, rien devant, rien derrière, j’accélère, je la dépasse de trois mètres, je pile, je me précipite hors de la voiture, je bondis sur le trottoir, j’attrape Nicole par le bras, elle étouffe un cri en me reconnaissant et avant qu’elle ait pu réagir, j’ouvre la portière passager, je la pousse dans la voiture, je fais le tour, je me réinstalle au volant, le tout n’a pas pris plus de sept à huit secondes, toujours rien devant, rien derrière, je redémarre en douceur, Nicole me regarde fixement, cette voiture, moi, tout lui paraît étrange, je ne sais pas si elle a maintenant moins peur, dans cette voiture silencieuse et glissante comme une onde et moi au volant mais elle ferme les yeux, je prends délicatement la première rue à droite, toujours rien devant, rien derrière, je ferme les yeux un court instant moi aussi et quand je les rouvre, à trente mètres devant moi, je reconnais la silhouette féline de Fontana, il court le long du trottoir et disparaît, j’accélère, sans réfléchir, je dépasse le niveau de la rue où il s’est engouffré d’où émerge le mufle d’un 4×4 noir haut comme un autobus, instinctivement j’active le blocage des portières, Nicole sursaute, elle comprend qu’il se passe quelque chose d’anormal, j’enfonce l’accélérateur, la voiture fait un bond, Nicole hurle lorsque l’accélération la cloue à son fauteuil, la voiture de Fontana tourne derrière nous, je vire à gauche, je roule déjà vite et j’accroche au passage l’arrière d’un véhicule à l’arrêt, soubresaut, nouveau cri de Nicole qui attrape la ceinture de sécurité et la boucle avec un claquement sec. La circulation n’est pas très dense dans ce quartier, elle se concentre sur les deux grands boulevards qui s’enfoncent vers le cœur de Paris ou s’éloignent vers la banlieue. À l’intersection suivante que je franchis sans même décélérer, une Renault 25 rouge avec d’immenses pare-chocs stoppe soudainement pour me laisser passer, c’est Charles qui vient nous rejoindre.