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Je l’avais oublié, Charles.

Il nous voit passer à toute allure, à peine le temps de lever le bras, nous sommes loin et dans la seconde suivante, il y a un 4×4 noir à notre poursuite. Je sais que Charles va mettre le temps mais il va comprendre, pas le loisir de réfléchir à cette question, j’aborde le boulevard, je le prends sur la droite, une cohorte de voitures bloquées dans un embouteillage, si je m’arrête Fontana va se précipiter sur nous, il va tirer dans les vitres, ouvrir les portières en force, je ne pourrai rien faire, c’est la seule chose dont il a besoin, qu’on s’arrête juste le temps de nous sauter dessus, le reste il en fait son affaire, il peut coller immédiatement une balle dans la tête de Nicole le temps de me paralyser et de me tabasser pour me fourrer de force dans le 4×4 conduit par Yasmine…

Nous arrivons sur la dernière voiture de la file, je ne sais pas quoi faire, Nicole avance les deux mains vers le tableau de bord en voyant fondre sur nous la file de voitures arrêtées, je bascule brusquement le volant sur la gauche, j’accélère et je remonte à contresens la file de gauche, klaxon à fond, toutes lumières allumées. Fontana fait un coup que je n’aurais jamais imaginé, il déclenche une sirène de police, un bras sort et colle un gyrophare sur le toit, il a tous les culots, ça en dit long sur sa détermination, pour tout le monde nous voici pris en chasse, personne ne fera plus un geste pour nous faciliter le passage. Nous sommes poursuivis. La ville entière va se tourner contre nous. Je ne sais pas comment ça se fait, nous avons dû emprunter des trajectoires symétriques mais c’est de nouveau la voiture de Charles que je croise, un coup de volant à droite pour l’éviter, à gauche pour redresser, Nicole s’est blottie dans son fauteuil, les pieds ramenés sous elle, elle a baissé la tête, croisé ses deux mains sur sa nuque comme si elle voulait se protéger contre la chute du toit, mais dès qu’elle entend la sirène de police, elle se tourne vers la lunette arrière, pleine d’espoir. Dès qu’elle comprend le piège dans lequel je nous ai précipités, elle reprend sa position fœtale et commence à pousser des petits cris.

Au passage, les yeux de Charles, grands ouverts sur moi.

Puis sur la voiture qui nous poursuit.

Je ne réfléchis plus, je ne suis qu’une boule de réflexes, heureux ou non, mortels ou non, je braque violemment à gauche, j’emprunte une rue, je tourne à droite, à gauche, je ne sais plus dans quel sens je vais, dès qu’un obstacle apparaît je prends ailleurs, une rue, une deuxième, une troisième, j’accroche des voitures ici et là, j’évite des passants, des vélos, de l’aile gauche je heurte un autobus qui quitte son arrêt, Fontana est toujours derrière nous, plus ou moins loin, je ne sais plus où aller et soudain, c’est étrange, nous voici dans une rue à sens unique, interminable et droite qui longe le boulevard périphérique.

Bordée de chaque côté par des voitures en stationnement.

Immense et droite comme un I.

Sens unique. Une seule voie.

On en voit à peine le bout.

J’accélère à fond, dans le rétroviseur j’aperçois le véhicule de Fontana. Je ne conduis pas assez bien, pas assez vite avec les mains qu’il m’a détruites. Fontana attrape le gyrophare et le retire, la sirène de police s’éteint, à cinquante mètres derrière nous le 4×4 conserve une vitesse constante parce qu’il n’y a plus de fuite possible.

Je ne parviens pas à garder une trajectoire droite, je ne cesse de naviguer, je frôle les voitures tantôt de mon côté, tantôt du côté de Nicole.

Au bout, à plusieurs centaines de mètres, un feu rouge là où la rue débouche sur un large boulevard où s’écoule un flot dense de véhicules… Autant dire, un mur. Dans le désespoir de la situation bloquée, j’accélère encore.

Mais c’est terminé.

Même Nicole comprend cela.

Ce boulevard vers lequel nous nous précipitons, c’est comme une voie rapide. S’arrêter là, avec Fontana derrière nous, c’est descendre de voiture sur une piste de formule 1. Traverser en force, c’est couper la route à un TGV…

Nicole se redresse dans son fauteuil, face à l’obstacle qui, là-bas, va nous couper irrémédiablement la route.

La lunette arrière explose. Fontana nous tire déjà dessus. Il va gagner du temps lorsqu’il passera à l’abordage. L’habitacle donne l’impression de s’écarteler, le vent s’engouffre avec les débris de verre. Nicole se recroqueville.

Et voilà l’image de fin.

Voilà comment se termine l’histoire.

Ici. Dans quelques instants.

Dans quelques centaines de mètres.

Dans cette rue immensément droite dans laquelle nous roulons à près de cent vingt kilomètres-heure, poursuivis par un monstre métallique et noir, tous phares allumés.

Cette image me hante encore. Des mois après.

Elle ne s’effacera jamais.

Des années encore à la voir, à la revoir, à en rêver, à interroger son sens mystérieux et tragique.

Nicole a relevé la tête, hypnotisée par notre avancée rapide vers le mur de véhicules qui nous barre la route.

Et nous assistons, tous deux fascinés, à l’irruption soudaine, face à nous, d’une voiture rouge, munie d’immenses pare-chocs scintillants et entraînant derrière elle un grand panache de fumée blanche. Elle vient de déboucher du fond du boulevard, elle roule à contresens dans notre direction. À trois cents mètres de distance, nos voitures foncent l’une vers l’autre à tombeau ouvert.

Je commence à freiner légèrement, je ne sais plus quoi faire.

Car voici la mort qui s’approche.

Charles, lui, accélère. Lorsque sa voiture n’est plus qu’à deux cents mètres, je commence à distinguer son visage dans l’entrelacs de chromes de son pare-chocs avant.

Voici maintenant le dernier message.

Charles met son clignotant.

Le gauche.

Comme s’il pouvait tourner quelque part. Je comprends alors que le message n’est pas là, le message ne désigne pas la direction que Charles veut emprunter. Il me montre celle que je dois suivre, moi. Le message me dit : tourne à droite.

J’accélère et je scrute avec avidité la file ininterrompue de véhicules stationnés sur ma droite. La voiture de Charles n’est plus qu’à une centaine de mètres. Son image grandit, commence à remplir l’écran. Nous nous précipitons l’un vers l’autre de plus en plus vite, aspirés l’un par l’autre comme dans l’œil d’un cyclone.