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Schwartz dit quelque chose dans un galimatias incompréhensible et, affolé, fit un saut en arrière. Mais même un homme plus fort que lui n’aurait pu s’arracher à la poigne vigoureuse d’Arvardan qui se contenta de sourire et de s’exclamer le plus normalement du monde à l’intention des curieux :

— Salut, mon vieux ! Il y a des mois qu’on ne s’est vu. Comment vas-tu ?

— Compte tenu des bredouillements de l’autre, la supercherie devait sans doute sauter aux yeux, mais Pola les avait rejoints. Il faut que vous reveniez avec nous, Schwartz, fit-elle dans un souffle.

Schwartz se raidit, prêt à se rebiffer, mais cette velléité de résistance ne dura qu’un instant. Il baissa la tête et répondit faiblement :

— Je… vous… suis.

Mais un haut-parleur tonitruant noya ses paroles :

— ATTENTION ! ATTENTION ! La direction prie la clientèle de sortir en bon ordre par l’issue donnant sur la 5’ rue. Vous voudrez bien présenter vos cartes d’immatriculation aux gardes devant la porte. Il est essentiel que l’évacuation ait lieu rapidement. ATTENTION ! ATTENTION !

L’annonce fut répétée par trois fois avec, en fond sonore, les raclements de pieds des acheteurs qui commençaient à s’aligner derrière la porte tandis que la voix multiple de la foule posait de toutes les façons possibles la question à laquelle il ne serait jamais répondu : « Qu’est-ce qui est arrivé ?… Que se passe-t-il ? »

Arvardan haussa les épaules.

— Eh bien, mettons-nous à la queue, mademoiselle. N’importe comment, nous n’avons aucune raison de nous attarder.

Mais Pola secoua la tête.

— Ce n’est pas possible.

L’archéologue fronça le sourcil.

Pourquoi ?

La jeune fille se contenta de reculer. Comment lui expliquer que Schwartz n’avait pas de carte d’immatriculation ? Qui était ce personnage ? Pourquoi était-il venu à son aide ? Une marée de suspicion et de désespoir montait en elle.

— Il vaudrait mieux que vous me laissiez pour ne pas vous attirer d’ennuis, dit-elle d’une voix rauque.

Les étages supérieurs se vidaient et les ascenseurs vomissaient des torrents humains. Arvardan, Pola et Schwartz étaient un îlot battu des flots.

Plus tard, en se remémorant cet épisode, Arvardan se rendra compte qu’il, aurait pu à ce moment quitter la jeune fille. La quitter ! Il ne l’aurait jamais revue, il n’aurait pas eu à se reprocher de… Et alors, tout aurait été différent. Le grand empire galactique aurait sombré dans le chaos et la destruction.

Mais il ne la quitta pas. La panique la défigurait et elle était à peine jolie. Il en serait allé de même pour n’importe qui. Mais Arvardan était tout remué de la voir dans cet état.

Il avait fait un pas en direction de la sortie, mais il se retourna.

— Vous allez rester ?

Elle fit signe que oui.

— Mais pourquoi ?

— Parce que… (et les larmes jaillirent de ses yeux)… parce que je n’ai nulle part où aller.

Elle avait beau être une Terrienne, ce n’était qu’une petite fille terrifiée.

— Si vous me dites quel est votre problème, j’essaierai de vous aider, fit Arvardan d’une voix radoucie.

Mais elle ne répondit pas.

Ils faisaient un étrange tableau vivant, tous les trois. Schwartz s’était laissé glisser à terre et il demeurait prostré à croupetons, trop chamboulé pour tenter de suivre la conversation, pour s’étonner de ce brusque exode qui transformait le magasin en désert, pour faire autre chose que de se cacher la figure dans les mains avec un dernier et muet gémissement de désespoir. Pola, en larmes, ne savait qu’une chose : elle n’avait jamais pensé que quiconque puisse avoir aussi peur. Arvardan, intrigué, attendait en tapotant gauchement et bien inutilement l’épaule de la jeune fille afin de la réconforter et il avait conscience que c’était la première fois qu’il touchait une Terrienne.

C’est alors que le petit homme malingre surgit.

9. CONFLIT A CHICA

Le lieutenant Marc Claudy, de la garnison de Chica, bâilla longuement et contempla le décor avec un inexprimable ennui. C’était la seconde année qu’il était en poste sur la Terre et il attendait impatiemment la relève.

Nulle part dans la galaxie les problèmes posés par le maintien d’une garnison n’étaient aussi compliqués que sur ce monde affreux. Sur d’autres planètes, il existait certains contacts entre la troupe et les civils, les civiles, en particulier. Un sentiment de liberté et d’ouverture…

Mais être en garnison ici, c’était être en prison. C’étaient les casernes antiradiations. C’était l’atmosphère filtrée, vierge de poussières radio-actives. C’étaient les tenues au plomb, lourdes et froides, qu’on ne pouvait enlever sans courir des risques graves. Et, corollairement, pas question de fraterniser avec la population – en admettant que le cafard et la solitude puissent pousser le militaire à fréquenter une « Terreuse ».

Que restait-il ? De petits sommes et de longues siestes. Et la folie lente.

Le lieutenant Claudy secoua la tête dans un effort infructueux pour s’éclaircir les idées, bâilla encore, se dressa sur son séant et commença à se chausser. Il consulta sa montre. Ce n’était pas encore l’heure de la soupe.

Soudain, il sauta sur ses pieds – dont un seul était chaussé – et salua, désagréablement conscient d’avoir les cheveux hirsutes.

Le colonel le toisa d’un regard méprisant, mais ne fit pas de commentaires sur sa tenue. Au lieu de cela, il laissa tomber sur un ton métallique :

— Lieutenant, des troubles sont signalés dans le quartier commercial. Vous allez vous rendre aux magasins Dunham avec une escouade de décontamination et vous prendrez le commandement des opérations. Veillez à ce que tous vos hommes soient soigneusement protégés contre la Fièvre des Radiations.

— La Fièvre des Radiations ! s’écria le lieutenant Claudy. Pardonnez-moi, mon colonel, mais…

Le colonel l’interrompit sèchement.

— Tenez-vous prêt à partir dans quinze minutes.

Arvardan, le premier, vit le maigrichon et il se raidit quand celui-ci leva le bras dans un geste de salut.

— Bonjour, patron. Dites à la petite dame qu’elle peut fermer le bureau des pleurs, c’est pas la peine.

Pola leva vivement la tête, la respiration coupée. Machinalement, elle se rapprocha d’Arvardan qui, non moins machinalement, l’entoura d’un bras protecteur. Il ne réalisa pas que c’était la seconde fois qu’il touchait une Terrienne.

— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda-t-il d’une voix tranchante.

Le petit bonhomme aux yeux perçants contourna avec méfiance un comptoir sur lequel s’empilaient des paquets – et répondit sur un ton tout à la fois patelin et impudent :

— Il se passe un truc pas ordinaire dehors, mais y a pas de raison que vous vous fassiez de la bile, mademoiselle. Je ramènerai votre type à l’Institut à votre place.

— Quel Institut ? fit craintivement Pola.

— Allons, racontez pas de salades. Je m’appelle Natter. C’est moi qui tiens l’échoppe de fruits juste en face de l’Institut de Recherche nucléaire. Je vous y ai vue souvent.

Arvardan l’interrompit :

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Le corps malingre de Natter fut parcouru d’un tressaillement de gaieté.

— Ils croient que ce mec qui est avec vous a la Fièvre des Radiations.

— La Fièvre des Radiations ? répétèrent en chœur l’archéologue et la jeune fille.