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Arvardan exhala un rire bref.

— Fâcheux, dites-vous ? C’est un adjectif qui convient assez mal.

— Vous avez fracturé le bras d’un officier de l’empire dans l’exercice de ses fonctions.

— Il m’a frappé le premier. Ses fonctions ne l’autorisaient ni à m’insulter grossièrement ni à me brutaliser. Ce faisant, il cessait d’être en droit d’exiger d’être traité en officier et en gentilhomme. En tant que libre citoyen de l’empire, il était parfaitement normal que je me sente outragé par une façon d’agir aussi cavalière – pour ne pas dire illégale.

Le colonel se trémoussa et resta coi. Pola n’en croyait pas ses oreilles. Enfin, il recouvra l’usage de la parole :

— Inutile de vous dire que je considère cette péripétie comme fort regrettable. Les deux parties en ayant également pâti, je crois que le mieux est de tout oublier.

— Oublier ? Certes pas. Je suis l’hôte du procurateur et je ne doute pas qu’il trouvera intéressant de savoir de façon exacte comment la garnison maintient l’ordre sur la Terre.

— Je vous promets que vous recevrez des excuses publiques, docteur Arvardan.

— Je n’en ai que faire. Quelles sont vos intentions en ce qui concerne Mlle Shekt ?

— Que suggérez-vous ?

— Que vous la remettiez en liberté sur-le-champ, que vous lui rendiez ses papiers et que vous fassiez amende honorable… immédiatement.

Le colonel vira au cramoisi, puis dit avec effort :

Certainement. (Il se tourna vers Pola.) Si cette jeune demoiselle veut bien accepter mes plus vifs regrets… Ils tournaient le dos aux sombres murs de la base. Le trajet en aérotaxi n’avait pris que dix petites minutes. Ils étaient maintenant devant la masse obscure de l’Institut. La rue était déserte. Minuit était passé.

— Je ne comprends pas très bien, dit Pola. Vous devez être quelqu’un de très important. Je suis un peu honteuse de ne pas connaître votre nom. Je n’aurais jamais imaginé que les Etrangers pouvaient se conduire ainsi avec un Terrien.

Arvardan éprouvait une curieuse répugnance à rétablir la vérité. Pourtant, il s’y sentait obligé.

— Je ne suis pas un Terrien, Pola. Je suis archéologue et je suis originaire du secteur de Sirius.

Elle leva vivement la tête. Son visage était pâle sous la lune. Elle resta dix bonnes secondes sans rien dire. Puis :

— Ainsi, si vous avez tenu tête aux soldats, c’était seulement parce que vous saviez n’avoir rien à craindre. Et moi qui ai cru… j’aurais dû comprendre. (Elle était amèrement déçue.) Je vous prie humblement de me pardonner, monsieur, si, dans mon ignorance, j’ai pu vous manquer de respect en me montrant trop familière avec vous…

— Mais qu’est-ce qui vous prend, Pola ? s’écria Arvardan avec colère. Qu’est-ce que cela peut faire que je ne sois pas terrien ? En quoi cela me rend-il différent de ce que j’étais à vos yeux il y a cinq minutes ?

— Vous auriez dû me prévenir, monsieur.

— Je ne vous demande pas de m’appeler « monsieur ». Ne soyez donc pas comme les autres, voulez-vous ?

— Quels autres, monsieur ? Les répugnants animaux qui vivent sur la Terre ? Je vous dois cent crédits.

— Oubliez cela, répliqua-t-il avec écœurement.

— Je ne puis obéir à cet ordre. Si vous me donnez votre adresse, je vous enverrai un bon de remboursement aujourd’hui même.

— Vous me devez beaucoup plus que cent crédits, jetât-il avec une brusque violence.

— Pola se mordit les lèvres et répondit en baissant le ton : Ce n’est que la partie de ma grande dette envers vous dont je suis en mesure de m’acquitter, monsieur. Votre adresse, je vous prie ?

— La résidence gubernatoriale, répondit sans se retourner Arvardan qui s’éloignait.

La nuit l’engloutit.

Et Pola s’aperçut qu’elle pleurait !

Shekt se précipita à la rencontre de sa fille quand elle entra dans son bureau.

— Il est de retour, lui annonça-t-il. C’est un petit homme maigre qui l’a reconduit.

— Bien.

Elle avait du mal à parler.

— Il m’a demandé deux cents crédits. Je les lui ai donnés.

— Il ne devait en recevoir que cent mais cela ne fait rien.

Elle passa devant son père.

— J’étais terriblement inquiet, tu sais. Il y avait un tel remue-ménage… Je n’ai pas osé m’informer de crainte de te mettre en danger.

— Tout va bien. Il ne m’est rien arrivé… Laisse-moi dormir ici cette nuit, père.

Mais malgré sa fatigue, Pola fut incapable de trouver le sommeil. Parce que, en fait, quelque chose était arrivé. Elle avait rencontré un homme. Et c’était un Etranger.

Mais elle avait son adresse. Elle avait son adresse…

10. UNE INTERPRÉTATION DES ÉVÉNEMENTS

Les deux Terriens présentaient un contraste saisissant. L’un avait toutes les apparences de la puissance suprême, l’autre en possédait la réalité. Le haut ministre était l’homme le plus important de la Terre, le dirigeant incontesté de la planète reconnu comme tel par un décret direct et explicite signé de l’empereur de toute la galaxie, encore qu’il fût, bien entendu, soumis à l’autorité du procurateur d’empire. Son secrétaire, quant à lui, n’était apparemment rien. Simple membre de la Société des Anciens, il était théoriquement désigné par le haut ministre pour s’occuper de certaines questions de détail mal définies et théoriquement révocable à tout moment.

Le haut ministre était connu de la Terre entière et considéré comme l’arbitre décisif en matière de Coutumes. C’était lui qui décidait des dérogations à la loi sexagésimale, qui jugeait les violateurs des rites coupables d’avoir enfreint la réglementation sur le rationnement ou les normes de la production, d’avoir pénétré dans les territoires interdits, etc. Le secrétaire, en revanche, n’était connu de personne, même de nom, en dehors, évidemment des Anciens et du haut ministre lui-même.

Ce dernier, orateur éloquent, s’adressait fréquemment à la population en des discours passionnés où les grands sentiments coulaient à flots. Il avait des cheveux blonds qu’il portait longs et un port aristocratique et raffiné. Le secrétaire – nez camard et visage tordu – préférait un mot court à un mot long, un grognement à un mot et le silence au grognement – tout au moins, en public.

C’était évidemment le haut ministre qui détenait l’apparence du pouvoir et le secrétaire sa réalité. Ce qui sautait aux yeux dans l’intimité du bureau du premier.

Le haut ministre était en effet nerveux et décontenance, le secrétaire froid et indifférent.

— Ce que je ne vois pas, c’est le lien entre tous ces rapports que vous m’avez apportés. Des rapports, toujours des rapports ! (Le haut ministre, levant le bras, assena un coup violent sûr une imaginaire pile de papiers.) Je n’ai pas le temps de les étudier.

— Exactement, répliqua le secrétaire sans s’émouvoir. C’est pour cela que vous m’avez engagé. Je les lis, je les digère et je vous les transmets. Eh bien, mon bon Balkis, je vous écoute. Et faites vite car ce ne sont là que des affaires mineures.

— Mineures ? Si vous n’êtes pas plus perspicace, Votre Excellence, vous risquez d’en pâtir sérieusement. Voyons ce que ces rapports signifient et je vous demanderai après si vous jugez toujours qu’il s’agit d’affaires mineures. D’abord, le premier, qui remonte à sept jours, et que nous tenons de l’assistant de Shekt. C’est celui-là qui m’a mis sur la piste.

— Quelle piste ?

Un sourire aigrelet joua sur les lèvres de Balkis.

— Puis-je rappeler à Votre Excellence certains projets d’importance qui mûrissent depuis plusieurs années ?