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— Chut !

Oubliant sa dignité, le haut ministre ne put s’empêcher de jeter un bref coup d’œil autour de lui.

— Ce n’est pas la nervosité mais la confiance qui nous garantira le succès, Votre Excellence. Et vous n’êtes pas sans savoir que le succès de notre entreprise repose sur l’usage judicieux du petit joujou de Shekt, l’amplificateur synaptique. Jusqu’ici, il ne l’avait employé, à notre connaissance, que sur nos ordres et à des fins précises. Et voilà que, sans crier gare, au mépris de nos directives, il a synaptifié un sujet inconnu.

— C’est un problème simple. Il n’y a qu’à prendre des mesures disciplinaires à l’encontre de Shekt, à jeter en prison le sujet qu’il a traité et tout sera réglé.

— Oh non ! Vous êtes trop fougueux, Votre Excellence. Vous passez à côté de la question. L’important n’est pas ce qu’a fait Shekt, c’est de savoir pourquoi il l’a fait. Notez cette coïncidence qui fait partie de tout un faisceau d’autres coïncidences ultérieures : le procurateur lui a rendu visite le même jour et Shekt nous a loyalement et sincèrement rapporté la teneur de la conversation. Ennius voulait que l’amplificateur soit mis à la disposition de l’empire, en échange de quoi nous bénéficierions d’une aide substantielle et de l’assistance gracieuse de l’empereur.

— Hum !… Cette offre vous intéresse ? Un compromis de ce genre vous paraît séduisant comparé aux dangers que comporte notre actuelle entreprise, c’est cela ? Vous rappelez-vous les promesses d’envoi de vivres qui nous ont été faites il y a cinq ans durant la famine ? Les fournitures ne nous ont pas été livrées parce que nous manquions de crédits impériaux et les produits manufacturés de fabrication terrienne ont été refusés comme paiement, sous prétexte qu’ils étaient contaminés par la radio-activité. Nous a-t-on fait des dons gratuits comme on s’y était engagé ? Nous a-t-on même proposé un prêt ? Cent mille personnes sont mortes de faim. Il ne faut pas se fier aux promesses de l’Etranger. Mais le problème n’est pas là. Il réside dans le loyalisme manifeste affiché par Shekt. Comment, après cela, aurions-nous pu avoir des doutes ? Il était pratiquement certain que nous ne pouvions l’accuser le même jour de haute trahison. Pourtant, il a trahi.

— C’est à cette expérience non autorisée que vous faites allusion, Balkis ?

— Oui, Excellence. Qui était le sujet qu’il a traité ? Nous avons des photographies de lui et, grâce à l’assistant de Shekt, ses empreintes rétiniennes. Or, nous n’avons pas trouvé trace de cet individu dans les archives du centre d’enregistrement planétaire. Conclusion : ce n’est pas un Terrien, mais un Etranger. En outre, Shekt devait le savoir puisque le contrôle rétinien interdit la falsification aussi bien que le transfert d’une carte d’immatriculation. Il s’ensuit fatalement qu’il a en toute connaissance synaptifié un Etranger. Mais pourquoi ? La réponse est peut-être d’une désarmante simplicité. Shekt n’est pas un instrument idéal pour la fin que nous nous proposons. Dans sa jeunesse, il était assimilationniste. Il s’est même présenté une fois à l’élection du conseil de Washenn avec un programme de conciliation envers l’empire. Il a d’ailleurs été battu.

— Je ne savais pas, l’interrompit le haut ministre.

— Qu’il avait été battu ?

— Non, qu’il avait été candidat. Pourquoi n’ai-je pas été informé ? Compte tenu de la position qu’il détient actuellement, c’est un homme très dangereux.

Balkis eut un léger sourire indulgent.

— Il a inventé l’amplificateur Synaptique et, pour le moment, il est le seul à savoir vraiment le faire fonctionner. On l’a toujours surveillé et nous le surveillerons désormais d’encore plus près que par le passé. N’oubliez pas qu’un traître connu comme tel peut faire plus de mal à l’ennemi qu’un homme loyal ne peut nous faire du bien à nous. Mais continuons d’examiner les faits. Shekt a donc traité un Etranger. Pourquoi ? A quoi peut servir cette machine ? A une seule chose : à améliorer les mécanismes intellectuels. Et c’est l’unique moyen de surclasser nos chercheurs dont les capacités ont déjà été exaltées grâce à elle. N’est-ce pas ? Cela signifie que l’empire soupçonne, au moins vaguement, ce qui se prépare. Est-ce là une affaire mineure, Votre Excellence ?

La sueur perlait au front du ministre.

— Vous le pensez vraiment ?

— Les faits sont les pièces d’un puzzle qui ne s’ajustent que d’une seule manière. L’Etranger qui a été traité par Shekt était un homme quelconque, je dirai même médiocre d’apparence. Ce qui ne manque pas d’astuce, car ce vieillard, obèse et chauve, peut être l’espion le plus adroit de l’empire. Oh oui ! A qui d’autre aurait-on confié une pareille mission ? Mais nous avons filé ce personnage – dont le pseudonyme est Schwartz, à propos. Passons maintenant au second groupe de rapports.

Le haut ministre leur jeta un coup d’œil.

— Ceux qui concernent Bel Arvardan ?

Oui, le Dr Bel Arvardan, éminent archéologue du fier secteur de Sirius, ce nid de vaillants et chevaleresques fanatiques, confirma Balkis (et l’on aurait dit qu’il crachait les derniers mots). Mais laissons cela. Toujours est-il qu’il fait étrangement pendant à Schwartz dont il est comme le reflet inversé. Nous avons en la personne de ces deux individus un contraste quasiment parfait. Loin d’être un inconnu, Arvardan est illustre. Il n’est pas venu secrètement sur la Terre mais, au contraire, porté par une vague de publicité. Ce n’est pas un obscur technicien qui nous a mis au courant de sa présence, mais le procurateur d’empire en personne.

— Vous croyez qu’il y a une relation, Balkis ?

— On peut supposer, Votre Excellence, que le rôle de l’un soit de détourner notre attention de l’autre. Ou bien, compte tenu de la dextérité manœuvrière des classes dirigeantes de l’empire, qu’il s’agit de deux méthodes de camouflage exemplaires. Pour ce qui est de Schwartz, on fait l’obscurité, mais pour l’autre, on nous braque les projecteurs dans les yeux. Dans les deux cas, l’objectif est dé nous aveugler. Que nous a donc dit Ennius à propos d’Arvardan ?

Le haut ministre se frotta pensivement le nez.

— Qui il dirigeait une mission archéologique sous le patronage de l’empereur et qu’il voulait se rendre dans les zones interdites pour des raisons d’ordre scientifique. Il a précisé que ce n’était nullement dans une intention sacrilège et que si nous pouvions l’en empêcher sans faire de vagues, il porterait notre intervention à la connaissance du Conseil impérial. Quelque chose comme ça…

— Donc, nous surveillerons Arvardan de près. Mais dans quel but ? Pour veiller à ce qu’il ne pénètre pas illégalement dans les zones interdites. A qui avons-nous affaire ? Au chef d’une expédition archéologique qui n’a ni personnel, ni véhicules, ni équipement. A un Etranger qui, au lieu de résider à Everest comme il eût été normal, excursionne sur la Terre – et commence par se rendre à Chica. Et comment détourne-t-on notre attention de cette situation pour le moins singulière et suspecte ? Eh bien, en nous invitant instamment à exercer notre vigilance sur quelque chose qui n’a aucune importance.

— Mais notez, Votre Excellence, que ce Schwartz est resté caché pendant six jours à l’Institut de Recherche nucléaire. Et qu’il s’est échappé. N’est-ce pas étonnant ? Comme par hasard, la porte n’était pas fermée. Comme par hasard, le couloir n’était pas gardé. Et quel jour s’échappe-t-il ? Le jour même où Arvardan arrive à Chica. Voilà encore une étrange coïncidence. Vous pensez alors que…

— Je pense que Schwartz est l’agent des Etrangers sur Terre, que Shekt assure le contact avec les traîtres assimilationnistes infiltrés dans nos rangs et qu’Arvardan est l’émissaire de l’empire. Songez à l’habileté avec laquelle la rencontre Schwartz-Arvardan a été organisée. On laisse Schwartz s’évader et au bout d’un laps de temps calculé, son infirmière – la propre fille de Shekt, soit dit en passant : encore une coïncidence qui n’a pas tellement de quoi nous surprendre – se lance à sa recherche. Il est évident que s’il y avait eu un accroc dans cet horaire minutieusement réglé, elle l’aurait immédiatement retrouvé. Ce n’aurait plus été qu’un pauvre malade – l’explication aurait satisfait la curiosité des éventuels témoins – et il aurait été ramené à l’Institut pour y attendre en toute sécurité le moment de faire une seconde tentative. En fait, il a été dit à deux chauffeurs trop curieux que c’était un malade et, ironie du sort, le plan s’est retourné contre ses auteurs.