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— Suivez-moi bien, maintenant. Schwartz et Arvardan se retrouvent dans un autalim. Ils feignent de s’ignorer. Il s’agit là d’une rencontre préliminaire pour vérifier, simplement, que jusque-là, tout s’est déroulé de manière satisfaisante et qu’on peut passer à l’étape suivante. Une chose est sûre, en tout cas : ils ne nous sous-estiment pas, ce qui est flatteur.

— Puis Schwartz s’en va. Quelques minutes plus tard, Arvardan en fait autant et la fille Shekt le rejoint. L’affaire est chronométrée à la seconde près. Tous deux, après avoir joué leur petite comédie à l’intention des chauffeurs de taxi dont j’ai parlé, se rendent au magasin Dunham. A présent, le trio est réuni. Quel meilleur lieu de rendez-vous qu’un grand magasin ? On y est plus à l’abri que dans une grotte au fond de la montagne. C’est un endroit trop public pour être suspect et trop encombré pour qu’on vous suive. L’idée est remarquable… remarquable ! L’adversaire est fort.

Le haut ministre se tortilla dans son fauteuil.

— S’il est trop fort, il gagnera. Impossible, il est déjà vaincu. Et grâce à notre excellent Natter.

— Qui est ce Natter ?

— Un agent de second ordre qu’il nous faudra, désormais, utiliser au maximum de ses capacités. Personne n’aurait pu faire mieux qu’il a fait hier. Sa mission permanente était de surveiller Shekt et, pour cela, il tient une échoppe de fruits en face de l’Institut. Depuis une semaine, il avait l’ordre de suivre les développements de l’affaire Schwartz. Il était à son poste quand l’intéressé, qu’il connaissait par ses photos et pour l’avoir entr’aperçu le jour de son arrivée à l’Institut, s’est échappé. Il a tout vu sans se faire remarquer et tous les événements de la journée d’hier sont détaillés dans son rapport. Avec une incroyable intuition, Natter a pensé que l’» évasion » de Schwartz avait pour seul but de préparer une rencontre avec Arvardan. Comme, à lui seul, il n’était pas en position d’exploiter ce contact, il décida de l’empêcher. Les chauffeurs de taxi à qui la fille Shekt avait dit que Schwartz était malade se demandaient s’il ne s’agissait pas d’un cas de Fièvre des Radiations et Natter eut un coup de génie : il saisit la balle au bond. Dès que la jonction a eu lieu dans le magasin, il a signalé qu’il y avait un cas de Fièvre et les autorités locales eurent – la Terre soit louée ! – l’intelligence de coopérer sans perdre de temps.

— Ordre fut donné d’évacuer le magasin, ce qui coupa l’herbe sous le pied des conspirateurs. Ils se sont vus soudain privés du camouflage sous lequel ils comptaient pour comploter sans témoins. Ils étaient seuls dans l’établissement, aussi visibles que le nez au milieu de la figure. Natter est alors allé plus loin. Il les a approchés et les a persuadés de le laisser reconduire Schwartz à l’Institut. Ils ont accepté. Qu’auraient-ils pu faire d’autre ? C’est ainsi que pas une seule parole n’a pu être échangée entre Schwartz et Arvardan.

— Et Natter s’est bien gardé d’arrêter Schwartz. Les deux hommes ignorent toujours qu’ils sont repérés, et ils vont nous mener à plus gros gibier qu’eux.

Mais Natter ne s’en est pas tenu là. Il a alerté la garnison, ce qui est une initiative au-dessus de tout éloge, mettant ainsi Arvardan dans une situation totalement imprévue. Ou bien il révélait sa qualité d’Etranger et cessait du même coup d’être utile puisque sa mission sur la Terre exige apparemment qu’il se fasse passer pour un Terrien ; ou bien il conservait son secret, avec toutes les conséquences désagréables que cela impliquerait pour lui. Il fit le choix le plus héroïque, sans hésiter à casser le bras d’un officier impérial par souci de réalisme. Il faudra d’ailleurs s’en souvenir à titre de circonstance atténuante. Son attitude est significative. Pourquoi cet homme, un Etranger, se serait-il résigné à subir la caresse de la matraque neuronique pour les beaux yeux d’une Terrienne si l’enjeu n’était pas d’une importance suprême ?

Les deux poings du haut ministre s’abattirent sur le bureau. Ses yeux brillaient d’un éclat sauvage et l’angoisse chiffonnait son visage patricien.

— C’est très joli de tisser une telle toile d’araignée à partir de données si ténues, Balkis. Je vous félicite et vous m’avez convaincu. Il n’y a pas d’autre alternative logique. Mais cela veut dire qu’ils sont trop près du but, beaucoup trop près. Et, cette fois, ils ne feront pas de quartier.

Balkis haussa les épaules.

— Ils ne sont pas si près que ça. Sinon, confrontés à l’éventuelle destruction de l’empire, ils auraient déjà frappé. Et le temps travaille contre eux. Pour agir, il faut d’abord qu’une rencontre ait lieu entre Arvardan et Schwartz et je vais vous prédire ce qui va se passer.

— Parlez !

— Nous allons faire disparaître Schwartz et laisser maintenant les choses se calmer.

— Mais où l’enverrez-vous ?

Nous avons notre idée là-dessus. L’homme qui a conduit Schwartz à l’Institut était manifestement un fermier. L’assistant de Shekt et Natter nous ont l’un et l’autre fourni son signalement et nous avons vérifié les dossiers d’immatriculation de tous les fermiers dans un rayon de cent kilomètres autour de Chica. Natter a identifié l’individu, un certain Arbin Maren. L’assistant, interrogé séparément, a confirmé que c’était bien lui. Nous nous sommes livrés à une enquête discrète. Il semble que cet Arbin Maren héberge et entretient son beau-père, un infirme totalement impotent qui s’est soustrait à la sexagésimale.

Le haut ministre frappa la table du poing.

— Cela arrive beaucoup trop souvent, Balkis. Il faut renforcer l’arsenal des lois…

— Pour l’instant, la question n’est pas là, Excellence. Ce qui compte, c’est que, puisque ce fermier viole les Coutumes, on peut le faire chanter.

— Shekt et ses alliés, les Etrangers, ont besoin d’un moyen de pression de ce genre – si Schwartz doit demeurer caché trop longtemps pour qu’il soit possible de le garder sans risques à l’Institut, n’est-ce pas ? Ce fermier, probablement un pauvre bougre innocent, convient parfaitement. Il sera donc placé sous surveillance. Nous ne perdrons jamais Schwartz de vue. Et quand un nouveau rendez-vous sera arrangé, nous serons prêts. Est-ce que vous comprenez, maintenant ?

— Je comprends.

— La Terre en soit louée ! A présent, je vais me retirer. Avec votre permission, bien entendu, ajouta Balkis avec un sourire sardonique.

Insensible au sarcasme, le haut ministre lui fit signe qu’il lui donnait son congé.

En regagnant son modeste bureau, le secrétaire était seul et, quand il était seul, ses pensées échappaient parfois au rigide contrôle qu’il exerçait sur elles pour divaguer dans le secret de son esprit.

Et ses pensées n’avaient pas grand-chose à voir ni avec le Dr Shekt, ni avec Schwartz, ni avec Arvardan – et encore moins avec le haut ministre.