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Balkis eut un sourire ostensiblement méprisant et il enchaîna :

— Vous avez rendez-vous dans quatre heures avec le Pr Bel Arvardan.

— Moi ? Pourquoi ? Que voulez-vous que je lui raconte ? Je ne veux pas le voir.

Calmez-vous, Excellence. Il faut que vous le voyiez. Il me paraît évident que, maintenant que la date à laquelle doivent commencer ses recherches fictives approche, il est obligé de jouer le jeu et de vous demander l’autorisation de faire des fouilles dans les zones interdites. Ennius nous a prévenus qu’il la solliciterait et il doit connaître les ficelles du scénario. Je suppose que vous serez capable de le contrer et d’être plus menteur que lui.

Le haut ministre baissa la tête :

— J’essaierai.

Bel Arvardan arriva en avance, ce qui lui permit d’observer les lieux. Pour quelqu’un qui connaissait bien les chefs-d’œuvre d’architecture de toute la galaxie, le Collège des Anciens n’était guère qu’un bloc de granit revêche de style archaïque, mais pour un archéologue, il pouvait aussi apparaître, dans son austérité rébarbative et presque sauvage, comme le lieu d’élection d’un mode de vie rébarbatif et presque sauvage. Son aspect primitif même évoquait un passé reculé.

Une fois de plus, les pensées d’Arvardan bifurquèrent. La tournée de deux mois qu’il avait faite sur les continents occidentaux de la Terre n’avait pas été vraiment… amusante. Ce qui était arrivé le premier jour avait gâché tout le reste.

Il s’en voulut aussitôt de revenir ainsi sur cette journée à Chica. La jeune fille s’était montrée impolie, c’était une fieffée ingrate. Une vulgaire Terrienne. Pourquoi aurait-il à se sentir coupable ? Et pourtant…

Avait-il tenu compte du choc qu’elle avait éprouvé en découvrant qu’il était un Etranger, tout comme cet officier qui l’avait insultée et dont il avait cassé le bras pour le punir de son arrogance et de sa brutalité ? Après tout, savait-il ce qu’elle avait déjà pu souffrir du fait des Étrangers ? Et apprendre d’un seul coup, sans préparation, qu’il en était un lui-même…

S’il avait eu davantage de patience… Pourquoi était-il parti aussi brusquement ? Il ne se souvenait même plus de son nom. Pola quelque chose. Bizarre ! En général, il avait meilleure mémoire. Essayait-il inconsciemment de l’oublier ? Pourquoi pas, au fond ? Oublier ! D’ailleurs, qu’y avait-il à se rappeler ? Une Terrienne. Une banale petite Terrienne.

Elle était infirmière et travaillait dans un hôpital. Et s’il tentait de localiser celui-ci ? Quand il l’avait quittée, ce n’était qu’une masse indistincte dans la nuit mais il ne devait pas être bien loin de l’autalim.

Il repoussa cette pensée avec irritation. Etait-il fou ? C’était une Terrienne. Jolie, gentille, assez attir…

Mais une Terrienne !

Le haut ministre fit son entrée et Arvardan en fut heureux. Cela allait éloigner ses pensées de l’épisode de Chica. Mais il savait au fond de lui-même que ce ne serait qu’un répit. Ce souvenir revenait toujours le hanter.

Le haut ministre s’était changé et sa robe scintillait de fraîcheur. Son front ne trahissait nul signe de hâte ou de doute et ne portait pas la moindre trace de transpiration. Il se montra d’une parfaite amabilité. Arvardan s’appliqua à transmettre les bons vœux de quelques hautes personnalités de l’empire au peuple de la Terre et son interlocuteur s’attacha à exprimer les sentiments de gratitude que la Terre tout entière ne manquait pas d’éprouver devant la générosité éclairée du gouvernement impérial.

Le premier insista sur l’importance de l’archéologie dans la philosophie impériale, sur la contribution qu’elle avait apportée à la doctrine capitale, affirmant que tous les humains peuplant la galaxie, quelle que fût leur planète natale, étaient frères. L’Excellence en convint de bonne grâce, soulignant que la Terre en était convaincue depuis longtemps, et formula l’espoir que l’heure sonnerait bientôt où la galaxie passerait de la théorie à la pratique.

A ces mots, Arvardan ébaucha un sourire :

— C’est justement dans ce but que j’ai sollicité cette audience, Votre Excellence. Les différences que l’on peut observer entre la Terre et certains dominions impériaux de son voisinage tiennent peut-être, pour une grande part, à des modes de pensée différents. Cependant, beaucoup de causes de friction disparaîtraient si l’on parvenait à démontrer que les Terriens ne sont pas ethnologiquement différents des autres citoyens de la galaxie.

— Et comment vous proposez-vous de faire cette démonstration ?

— Cela n’est pas facile à expliquer en quelques mots. Votre Excellence n’est pas sans savoir, je présume, que les deux principaux courants de la pensée archéologique sont respectivement le fusionnisme et la théorie du rayonnement, ainsi qu’on les appelle couramment.

— Je suis profane en la matière, mais je connais ces deux écoles.

— Bien. La théorie de la fusion implique tout naturellement que les divers types humains ayant suivi une évolution indépendante se sont mélangés du fait des unions mixtes dans un passé très lointain remontant aux temps héroïques du voyage dans l’espace, période sur laquelle nous possédons excessivement peu de documentation. Ce postulat est nécessaire pour rendre compte de la grande uniformité morphologique de l’humanité actuelle.

— Oui, laissa sèchement tomber le haut ministre. Et cette conception présuppose aussi l’existence de quelques centaines ou de quelques milliers d’êtres de type plus ou moins humain ayant évolué indépendamment et suffisamment proches du point de vue chimique et biologique pour que ces unions mixtes soient possibles.

— Exactement, dit Arvardan avec satisfaction. Vous mettez le doigt sur le point faible de cette construction. Pourtant, la plupart des archéologues refusent de voir cette faille et sont des partisans farouches du fusionnisme, d’où il découlerait, évidemment, que dans certaines régions isolées de la galaxie se trouvent peut-être des sous-espèces qui ont conservé leur originalité et ne se sont pas métissées…

— C’est à la Terre que vous pensez ?

— La Terre fait figure d’exemple. La théorie du rayonnement, en revanche…

— Professe que nous descendons tous d’un seul et même groupe planétaire d’humains.

— Précisément. Mon peuple, se fondant sur des preuves historiques et sur certains textes que nous tenons pour sacrés et qui ne sauraient être révélés aux yeux des Etrangers, croit que la Terre est le berceau originel de l’humanité.

— Je partage cette croyance et je vous demanderai de m’aider à en prouver la véracité à toute la galaxie.

— Vous êtes optimiste ! Eclairez-moi un peu.

— Je suis convaincu qu’il est possible de trouver de nombreux objets et vestiges architecturaux dans les territoires de la planète, aujourd’hui malheureusement masqués par la radio-activité. Il serait aisé de calculer avec précision l’âge de ces témoins à partir de leur état de déclin radio-actif présent comparé à…

Mais le haut ministre hocha la tête.

— C’est hors de question.

— Pourquoi ? s’exclama Arvardan ébahi en plissant le front.

— D’abord, qu’escomptez-vous obtenir ? Admettons que vous prouviez l’exactitude de votre thèse, admettons même que tous les mondes de la galaxie s’y rallient. Quelle importance aurait le fait que vous étiez tous des Terriens il y a un million d’années ? Après tout, nous étions aussi tous des singes, il y a quelques milliards d’années, mais nous n’acceptons pas la fréquentation des singes contemporains.

— Voyons, Votre Excellence… Cette analogie est extravagante !

— Nullement ! N’est-il pas raisonnable de penser que, au cours de leur long isolement, les Terriens ont tellement changé par rapport à leurs cousins migrateurs, notamment sous l’influence de la radio-activité, qu’ils constituent à présent une race différente ?