Выбрать главу

Puisque c’était comme ça, tant pis ! Il y pénétrerait illégalement. Il armerait son vaisseau et, si nécessaire, il tirerait. Et comment !

Les malheureux abrutis !

Pour qui se prenaient-ils, que diable ?

Oui, oui, il le savait. Ils croyaient être les humains originels, les habitants de LA planète…

Le pire était qu’Arvardan savait qu’ils avaient raison.

Le stratoplane décolla et l’archéologue fut plaqué contre le dossier capitonné de son siège. Dans moins d’une heure, il serait à Chica.

Non qu’il eût tellement envie d’y retourner, mais cet amplificateur synaptique pouvait avoir de l’importance et il aurait été ridicule de ne pas profiter de son séjour sur la Terre pour en tirer avantage. Il n’avait aucune intention de remettre les pieds sur cette planète.

Ce trou à rats !

Ennius avait dit vrai.

Cependant, ce Dr Shekt… Il tripota la lettre d’introduction, surchargée de formules protocolaires, que lui avait remise le haut ministre…

Et se dressa brusquement sur son séant – du moins, il essaya de se redresser en dépit de la force d’inertie qui le broyait, tandis que la Terre s’éloignait et que l’azur du ciel virait au violet.

Il se rappelait le nom de la fille. Pola Shekt !

Pourquoi l’avait-il donc oublié ? Il était furieux, il avait l’impression d’être floué. Son esprit conspirait contre lui. Il avait oblitéré ce patronyme jusqu’au moment où il était trop tard.

Mais tout au fond de lui-même, quelque chose s’en réjouissait, néanmoins.

14. SECONDE RENCONTRE

Au cours des deux mois qui s’étaient écoulés depuis le jour où il avait traité Joseph Schwartz, le Dr Shekt avait changé de façon considérable. Pas tellement physiquement, encore qu’il fût peut-être un rien plus voûté et un rien plus maigre : c’était surtout sa manière d’être qui s’était modifiée. Il semblait rêveur, effrayé. Retranché en lui-même, coupé de tout le monde, même de ses collègues les plus proches, il vivait dans un état second d’où il ne sortait qu’avec une répugnance qui sautait aux yeux des moins observateurs.

Ce n’était qu’avec Pola qu’il pouvait se confier, probablement parce que sa fille était, elle aussi, curieusement enfermée dans sa tour d’ivoire depuis deux mois.

— Ils me surveillent, lui disait-il. Je le devine. Sais-tu à quoi ressemble ce sentiment ? Il y a des mutations dans le personnel à l’Institut depuis quelques semaines et ce sont les gens que j’aime bien et en qui j’ai confiance qui s’en vont. Je n’ai jamais une minute à moi, j’ai toujours quelqu’un sur le dos. On ne me laisse même pas rédiger de rapports.

Tantôt Pola compatissait, tantôt elle se moquait de lui et répétait : « Mais quelles raisons auraient-ils d’agir ainsi ? D’accord, il y a eu cette expérience sur Schwartz mais ce n’est pas un crime si terrible. Tu risques seulement de te faire passer un savon. »

Mais ce fut avec un visage défait, que, ce jour-là, Shekt murmura :

— Ils ne me laisseront pas en vie. Mes soixante ans approchent et ils ne me laisseront pas en vie.

— Après tout ce que tu as fait ? Ne dis pas de sottises.

— J’en sais trop long, Pola, et ils ne me font pas confiance.

— Qu’est-ce que tu sais ?

Il se sentait si las, ce soir, et avait un tel besoin de s’épancher qu’il vida son cœur. Tout d’abord, Pola ne le crut pas mais quand il lui fallut se rendre à la raison, elle en demeura muette d’horreur.

Le lendemain, elle appela la Résidence d’une cabine téléondiophonique publique à l’autre bout de la ville. Plaçant un mouchoir devant sa bouche, elle demanda le Dr Bel Arvardan.

Il n’était pas là. Il se trouvait peut-être à Bonair, à neuf mille kilomètres de Chica, mais il prenait des libertés avec l’itinéraire qu’il avait établi… Oui, il devait revenir à Chica mais on ne savait pas au juste quand. Pouvait-elle laisser son nom ? On tâcherait de s’informer.

Pola coupa la communication et appuya la joue contre la paroi de verre dont la fraîcheur lui fit du bien. Ses yeux étaient remplis de larmes et son regard trahissait sa déception.

Idiote ! Pauvre idiote !

Il était venu à son secours et elle l’avait rembarré. Il avait risqué la matraque neuronique, et pis encore, pour défendre la dignité d’une petite Terrienne insultée par un Etranger et elle l’avait envoyé promener.

Les cent crédits qu’elle avait fait parvenir le lendemain à la Résidence lui avaient été retournés sans un mot d’accompagnement. Elle aurait alors voulu le joindre pour s’excuser, mais elle avait eu peur. L’accès de la Résidence était exclusivement réservé aux Etrangers. Comment aurait-elle pu y entrer ? Elle ne l’avait jamais vue que de loin.

Et maintenant… Il allait falloir qu’elle se rende au palais du procurateur lui-même pour… pour…

Arvardan seul était désormais en mesure de les aider. Lui, l’Etranger qui était capable de discuter sur un pied d’égalité avec des Terriens. Elle n’avait jamais deviné qu’il en était un avant qu’il ne le lui eût avoué. Il était si, fort, si sûr de lui… Il saurait ce qu’il convenait de faire.

Il fallait bien que quelqu’un le sache, sinon ce serait l’anéantissement de toute la galaxie.

Bien sûr, beaucoup d’Etrangers méritaient de subir ce sort. Mais le méritaient-ils tous ? Les femmes et les enfants, les malades et les vieillards ? Les méchants et les bons ? Les Arvardan ? Ceux qui n’avaient jamais entendu parler de la Terre ? C’étaient des êtres humains, après tout. Une si terrible vengeance plongerait la légitimité de la cause de la Terre dans une mer infinie de sang et de cadavres pourrissants.

Et puis Arvardan se présenta impromptu.

Le Dr Shekt secoua la tête.

— Je ne peux pas le lui dire.

— Il le faut, répliqua Pola sur un ton farouche.

— Ici ? C’est impossible. Ce serait notre condamnation à tous les deux.

— Eh bien, renvoie-le. Je me charge du reste.

Son cœur battait à tout rompre. Uniquement parce que c’était le moyen de sauver des milliards de milliards de vies humaines, bien entendu. Pola se rappelait son large, son éclatant sourire. Elle se rappelait comment, sans se départir de son calme, il avait obligé un colonel des forces impériales à s’incliner devant elle, une fille de la Terre, et à lui présenter ses excuses, à solliciter son pardon.

Bel Arvardan pouvait faire n’importe quoi !

Evidemment, Arvardan ne savait rien de tout cela. Il prit l’attitude de Shekt pour ce qu’elle paraissait être : une brutale et grossière rebuffade en harmonie avec l’insolence qu’il avait constatée chez tous les Terriens.

Il éprouvait une impression de gêne, dans l’antichambre du bureau impersonnel, à se sentir si ostensiblement considéré comme un indésirable.

— L’idée ne me serait jamais venue de vous importuner en vous rendant visite, Dr Shekt, si je n’étais pas professionnellement intéressé par votre amplificateur synaptique, dit-il en choisissant ses mots avec soin. Je crois savoir que, contrairement à beaucoup de Terriens, vous n’êtes pas hostile aux hommes de la galaxie.

Il avait apparemment commis une bévue, car le Dr Shekt bondit :

— J’ignore de qui vous tenez ce renseignement, mais votre informateur se trompe en me prêtant des sentiments amicaux particuliers à l’égard des Etrangers en tant que tels. Je n’ai ni sympathies ni antipathies. Je suis un Terrien…

Arvardan serra les dents et fit mine de prendre congé.

— Je suis désolé de vous paraître impoli, docteur Arvardan, reprit précipitamment le physicien en baissant le ton. Mais, vous comprenez, je ne peux absolument pas…