— Pas moi ?
Oh non ! (Il y avait soudain un frémissement d’enthousiasme dans la voix de Pola.) Vous ressemblez… vous ressemblez tout à fait à une antique statue de marbre, sauf que vous êtes plein de vie et que vous n’avez pas le froid du marbre. Pardonnez-moi. Je suis impertinente.
— C’est-à-dire que vous pensez que je trouve que vous êtes une Terrienne qui ne sait pas se tenir à sa place ? Si vous voulez que nous soyons bons amis, il va falloir que vous cessiez de m’attribuer cette manière de voir… Je ne crois pas à cette superstition au sujet de la radio-activité. J’ai mesuré la radio-activité atmosphérique de la Terre, j’ai fait des expériences sur des animaux de laboratoire et je suis absolument convaincu que, dans des conditions normales, je n’ai rien à craindre des radiations. Je suis sur la Terre depuis deux mois et je me porte toujours comme un charme. Mes cheveux ne tombent pas (il fit mine de s’en arracher une poignée), mes entrailles né font pas de nœuds et je doute que ma fertilité soit menacée bien que, je l’avoue, je prenne quelques petites précautions sur ce plan. Seulement, les caleçons au plomb ne se remarquent pas.
Il avait parlé sur un ton grave et la jeune fille sourit à nouveau.
— Je crois que vous êtes un peu fou.
— Vraiment ? Vous seriez surprise si vous saviez combien d’archéologues très intelligents et très célèbres ont dit la même chose – et dans des discours fleuves.
— Etes-vous disposé à m’écouter, maintenant ? Le quart d’heure est passé.
— Qu’en pensez-vous ?
— Que vous m’écouterez sans doute. Sinon, vous ne seriez plus là. Après la manière dont je me suis conduite…
— Avez-vous le sentiment que je dois faire de pénibles efforts pour rester assis à côté de vous ? lui demanda-t-il doucement. Si c’est le cas, vous êtes dans l’erreur. Savez-vous que je n’ai jamais vu, que je crois franchement n’avoir jamais vu une fille aussi ravissante que vous, Pola ?
Elle leva vivement les yeux, une lueur d’effroi dans le regard.
— Non, je vous en prie ! Ce n’est pas cela que je cherche. Vous ne me croyez pas ? Si, je vous crois. Dites-moi ce que vous voulez que je fasse. Je vous croirai et je vous aiderai.
Il était sincère. Ace moment, il aurait allègrement entrepris de renverser l’empereur. Il n’avait jamais été amoureux. Il se figea intérieurement. C’était la première fois qu’il utilisait ce mot.
Amoureux ? D’une Terrienne ?
— Vous avez vu mon père, docteur Arvardan ?
— Le Dr Shekt est votre père ?… Mais appelez-moi Bel. Je vous appelle bien Pola.
— Si vous voulez, j’essaierai. Je suppose que vous lui en voulez beaucoup ?
— Il n’a pas été très courtois.
— Il ne le pouvait pas. On le surveille. A vrai dire, nous avions décidé tous les deux qu’il vous mettrait à la porte et que je prendrais contact ici avec vous. C’est notre demeure, vous savez. Ecoutez-moi… (Sa voix s’était muée en un chuchotement.) La Terre va se révolter.
Arvardan ne put résister à l’envie de s’amuser un instant.
— Non ! s’exclama-t-il en ouvrant de grands yeux. La Terre tout entière ?
Mais la raillerie déchaîna la fureur de Pola :
— Ne vous moquez pas de moi ! Vous avez dit que vous m’écouteriez et que vous me croiriez. La Terre va se soulever et c’est grave parce qu’elle peut détruire l’empire.
— Pas possible ! (Arvardan réussit à réprimer son fou rire.) Pola, connaissez-vous bien votre galactograhie ?
— Aussi bien que n’importe qui, monsieur le professeur. Mais je ne vois pas le rapport.
— Je vais vous l’expliquer. Le volume de la galaxie est de plusieurs millions d’années-lumière-cubes. Elle contient deux cent millions de planètes habitées et sa population est approximativement de cinq cents quadrillions de personnes. C’est bien cela ?
— Probablement puisque vous le dites.
C’est exact, faites-moi confiance. La Terre, quant à elle, est une planète unique de vingt millions d’habitants et elle est démunie de ressources. En d’autres termes, il y a pour chaque Terrien vingt-cinq milliards de citoyens galactiques. Quel mal la Terre peut-elle faire à un empire doit l’avantage est de vingt-cinq milliards contre un ?
Pendant un instant, Pola parut se rendre à ces raisons mais son hésitation fut brève.
— Je ne peux pas réfuter cet argument, Bel, mais mon père le peut. Il ne m’a pas donné les détails cruciaux, craignant que ma vie soit alors en danger, mais il est prêt à le faire maintenant, si vous venez avec moi. Il m’a seulement affirmé que la Terre a les moyens de détruire toute vie extérieure et il ne doit pas se tromper. Il ne s’est jamais trompé.
Sa véhémence était telle que ses joues étaient devenues roses et Arvardan mourait d’envie de les caresser. (Dire que la première fois qu’il l’avait touchée, il avait été horrifié ! Que lui arrivait-il donc ?)
— Est-il plus de 10 heures ? reprit Pola.
— Oui.
— Alors, il doit être en haut… s’ils ne l’ont pas arrêté. (Elle regarda autour d’elle avec un frisson involontaire.) On peut rentrer directement dans la maison par le garage et si vous m’accompagnez…
Elle avait déjà la main sur la poignée de la portière. Elle se figea brusquement et dit dans un murmure rauque :
— Il y a quelqu’un qui approche… Oh ! Vite…
Elle n’alla pas plus loin. Arvardan n’eut aucune difficulté à se rappeler la consigne qu’elle lui avait donnée. Il l’entoura de ses bras et son corps tiède et souple se plaqua contre le sien. Les lèvres de la jeune fille tremblaient sous les siennes et une mer de douceur sans limites…
Pendant une dizaine de secondes, il fit rouler ses yeux autant qu’il le pouvait pour apercevoir la première lueur de la lampe, il tendit l’oreille pour entendre le premier bruit de pas, mais il succomba à l’exaltation qui le submergeait, aveuglé d’étoiles, assourdi par les battements de son propre cœur.
Les lèvres de Pola quittèrent les siennes, mais il les reprit sans complexe. Il la serra plus étroitement et elle s’abandonna à son étreinte jusqu’à ce que son cœur batte à l’unisson du sien.
Ils restèrent longtemps enlacés. Enfin, ils se séparèrent, mais demeurèrent encore un moment joue contre joue.
Arvardan n’avait encore jamais été amoureux. Cette fois, le mot ne le fit pas sursauter. Terrienne ou pas, Pola n’avait pas d’égale dans toute la galaxie.
— Ce devait seulement être un bruit de circulation, laissa-t-il tomber d’une voix heureuse et alanguie.
— Non, répondit-elle dans un souffle. Je n’avais rien entendu.
Il la prit par les épaules et la repoussa à bout de bras, mais le regard de Pola ne vacilla pas.
— Petit démon ! Vous parlez sérieusement ?
Les yeux de Pola scintillèrent.
— Je voulais que vous m’embrassiez. Je ne regrette rien.
— Non mais, pour qui me prenez-vous ? Pour la peine, vous allez encore m’embrasser. Parce que c’est moi qui le veux, cette fois.
Le second baiser se prolongea longtemps, très longtemps. Enfin, elle se dégagea brusquement, remit de l’ordre dans ses cheveux et rajusta le col de sa robe à petits gestes précis.
— Je crois qu’il vaudrait mieux monter, maintenant. Eteignez le plafonnier. J’ai une lampe-stylo.
Arvardan sortit de la voiture derrière elle. Elle n’était qu’une ombre indistincte dans la petite flaque lumineuse dont sa minuscule lampe trouait l’obscurité.