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— Prenez ma main, Bel. Il y a un escalier.

— Je vous aime, Pola, chuchota l’archéologue.

Les mots étaient venus tout seuls – et ils sonnaient juste.

Il répéta :

— Je vous aime.

— Vous me connaissez à peine, répliqua-t-elle à mi-voix.

— Pas du tout ! Je vous connais depuis toujours, Pola, je vous le jure. Depuis deux mois, je ne fais que penser à vous, que rêver de vous. Je vous le jure. Je suis une Terrienne, monsieur.

Eh bien, qu’à cela ne tienne ! Je serai un Terrien. Mettez-moi à l’épreuve.

Il s’arrêta et l’obligea avec douceur à lever la main jusqu’à ce que le pinceau de lumière éclaire son visage empourpré et ruisselant de larmes.

— Pourquoi pleurez-vous ?

— Parce que lorsque mon père vous aura tout dit, vous comprendrez que vous ne pouvez pas aimer une Terrienne.

— Sur ce point aussi, je ne demande pas mieux que d’être mis à l’épreuve.

15. LES ARMES DE LA TERRE

Shekt reçut Arvardan au premier étage dans une pièce du fond dont il avait pris soin de dépolariser les fenêtres afin qu’elles fussent complètement opaques. Pola était installée dans un fauteuil au rez-de-chaussée, surveillant la rue obscure et déserte.

La silhouette voûtée du biophysicien n’était plus tout à fait la même que dix heures plus tôt. Son expression était toujours hagarde et infiniment lasse mais au lieu de l’incertitude et de la crainte qu’avait précédemment observées Arvardan, il en émanait à présent comme un air de farouche défi.

— Je dois vous prier d’excuser l’accueil que je vous ai réservé ce matin, docteur Arvardan, dit-il d’une voix ferme. J’avais espéré que vous comprendriez…

— J’avoue ne pas l’avoir compris sur le moment, monsieur, mais ce n’est plus le cas maintenant.

Shekt s’assit et tendit la main vers la bouteille de vin posée sur la table, mais l’archéologue refusa d’un geste.

Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je préférerais plutôt un de ces fruits. Qu’est-ce que c’est ? Il ne me semble pas en avoir jamais vu de pareils.

— Une sorte d’oranges. Je ne pense pas qu’elles poussent autre part que sur la Terre. La peau s’enlève facilement.

Il en fit là démonstration et Arvardan, après avoir humé l’orange avec curiosité, mordit dans la chair violacée. Il poussa une exclamation :

— Mais c’est délicieux, docteur Shekt ! La Terre n’a jamais essayé d’exporter ces fruits ?

— Les Anciens n’aiment guère que l’on fasse du commerce avec l’Extérieur, répondit le savant d’un air sombre. Et nos voisins de l’espace n’aiment guère faire du commerce avec nous. Ce n’est là qu’un des aspects des difficultés qui se posent à nous.

Arvardan eut un moment d’irritation.

— C’est d’une stupidité insigne ! Quand je vois ce qui peut habiter l’esprit des hommes, je désespère parfois de l’intelligence humaine.

Shekt haussa les épaules avec une résignation qui s’était forgée au cours des années.

— Je crains que ce soit l’un des éléments du problème quasi insoluble que constitue l’antiterrestrialisme.

— S’il est quasi insoluble, c’est parce que personne ne semble réellement vouloir lui trouver une solution ! Combien de Terriens réagissent-ils à la situation qui leur est faite en vouant aux gémonies tous les citoyens galactiques sans distinction ? C’est un mal presque universel – haine pour haine. Les Terriens veulent-ils vraiment l’égalité et la tolérance mutuelles ? Non ! La plupart désirent uniquement pouvoir tenir à leur tour le haut du pavé.

Il y a sans doute beaucoup de vrai dans ce que vous dites, je ne le nie pas, répliqua tristement le Dr Shekt. Mais ce n’est qu’une vue fragmentaire des choses. Donnez-nous-en seulement la possibilité et la prochaine génération de Terriens, libérée de l’insularisme, croira de tout cœur à l’unicité de l’Homme. Les assimilationnistes, partisans de la tolérance et adeptes du compromis, ont été plus d’une fois une puissance avec qui compter. J’en suis – ou, plutôt, j’en étais – un. Mais ce sont aujourd’hui les zélotes qui ont pris la Terre sous leur coupe. Nationalistes ultras, ils sont obsédés par leurs rêves de domination, passée et à venir. C’est contre eux qu’il faut protéger l’empire.

Arvardan fronça les sourcils.

— Vous faites allusion à cette révolte dont Pola m’a parlé ?

— Convaincre quelqu’un que l’éventualité apparemment ridicule de la conquête de la galaxie par la Terre est, possible n’est pas une tâche facile, docteur Arvardan, rétorqua sombrement le physicien. C’est pourtant l’expression de la vérité. Le courage physique n’est pas mon fort et je souhaite ardemment vivre. Aussi pouvez-vous imaginer la gravité de la situation présente, puisqu’elle me contraint à commettre une trahison, avec les risques que cela comporte, alors que les yeux des autorités locales sont déjà fixés sur moi.

— Si c’est tellement sérieux, mieux vaut que je vous prévienne tout de suite. Je vous aiderai volontiers, mais seulement en ma qualité de simple citoyen galactique. Je n’occupe pas de fonctions officielles et je n’ai aucune influence particulière à la cour ni même auprès du procurateur. Je suis exactement celui que je parais – un archéologue à la tête d’une expédition scientifique ayant pour objet des recherches d’ordre strictement personnel. Puisque vous êtes, me dites-vous, prêt à commettre un acte de trahison, ne serait-il pas préférable de vous adresser au procurateur ? Lui, il pourrait vraiment faire quelque chose.

— Je ne le peux pas, justement. C’est pour parer à une telle éventualité que les Anciens me surveillent. Quand vous êtes venu me voir, ce matin, j’ai même pensé que vous étiez un intermédiaire. J’ai cru qu’Ennius avait des soupçons.

— Peut-être en a-t-il mais je ne saurais vous l’affirmer. En tout cas, je ne suis pas un intermédiaire. Je suis désolé. Si vous tenez absolument à faire de moi votre confident, je vous promets d’aller le voir à votre place. Je vous remercie. C’est tout ce que je demande. Et aussi d’intercéder pour que les représailles contre la Terre ne soient pas trop brutales.

— Comptez sur moi.

Arvardan était gêné. Il avait la conviction de discuter avec un vieil excentrique paranoïaque, peut-être inoffensif, mais dont le cerveau était sérieusement fêlé. Mais il n’avait pas le choix. Il devait rester, écouter et tenter d’apaiser ce doux délire – pour Pola.

— Vous m’avez dit ce matin que vous êtes au courant de l’existence de l’amplificateur synaptique, docteur Arvardan ?

— Oui, j’ai lu votre article dans la Revue de Physique. J’ai, en outre, parlé de votre invention, avec le procurateur et le haut ministre.

— Avec le haut ministre ?

— Bien entendu. Je lui avais demandé audience pour qu’il me donne la lettre d’introduction que… que vous avez refusé de regarder.

— Je vous renouvelle mes excuses. Mais j’aurais préféré que vous ne… Que savez-vous au juste de cet instrument ?

— Que c’est un intéressant échec. Il est destiné à améliorer la faculté d’apprentissage et a réussi dans une certaine mesure sur les rats, mais a fait fiasco sur les êtres humains.

— Oui, vous ne pouviez évidemment pas penser autre chose à partir de cet article, fit le Dr Shekt sur un ton morose. On a répandu le bruit que c’était un échec et les résultats éminemment positifs ont été étouffés de façon délibérée…

— Hemm… Voilà un singulier accroc à l’éthique scientifique, docteur Shekt.