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— Je le reconnais. Mais j’ai cinquante-six ans et si vous connaissez peu ou prou les coutumes en vigueur sur la Terre, vous n’ignorez pas qu’il ne me reste plus longtemps à vivre.

La loi sexagésimale ? Oui, on m’en a parlé – plus que je l’aurais souhaité, à dire vrai, confirma Arvardan en se remémorant son premier voyage à bord d’un stratoplane terrien. Je crois savoir qu’il y a des dérogations en faveur, notamment, des savants célèbres.

— En effet, mais ce sont le haut ministre et le Conseil des Anciens qui en décident sans appel. L’empereur lui-même est sans pouvoir dans ce domaine. J’ai été prévenu que le prix à payer pour bénéficier du privilège de la vie était de garder le secret sur l’amplificateur et de travailler d’arrache-pied à son perfectionnement. (Le vieil homme leva les bras dans un geste d’impuissance.) Comment aurais-je su à quel usage serait destinée ma machine ?

— A quel usage l’est-elle ?

Arvardan prit une cigarette et en offrit une à Shekt qui la refusa.

— Je vous prie de patienter encore quelques instants. Lorsque mes expériences m’eurent finalement convaincu que des êtres humains pouvaient être traités sans danger, un certain nombre de biologistes terriens sont passés à l’amplificateur. Uniquement des hommes que je savais être des zélotes des extrémistes. Tous ont survécu, bien que, au bout d’un certain temps, il y eût des effets secondaires. Un sujet chez qui ils s’étaient manifestés m’a été ramené pour que je le soigne. Je n’ai pas réussi à le sauver, mais dans le délire de l’agonie, il m’a tout révélé.

Minuit approchait. La journée avait été longue et fertile en événements mais quelque chose excitait la curiosité d’Arvardan qui dit d’une voix tendue :

— J’aimerais que vous en veniez au fait.

— Je vous supplie d’être patient. Il faut que j’aille au fond des choses pour que vous me croyiez. Vous savez, bien sûr, que la Terre possède un environnement particulier – sa radio-activité…

— Oui, je connais assez bien la question.

— Et les conséquences de cette radio-activité sur la planète et son économie ?

— Egalement.

Dans ce cas, je n’insisterai pas sur ce point. Je me bornerai à noter que l’incidence des mutations est plus forte sur la Terre que dans le reste de la galaxie. Ainsi, quand nos ennemis prétendent que les Terriens sont différents, cette affirmation correspond dans une certaine mesure à la vérité scientifique. Certes, les mutations sont mineures et ont pour la plupart une valeur de survivance. La seule modification définitive qu’ont subie les Terriens a affecté certains aspects de leur chimisme interne en leur conférant une plus grande résistance face à l’environnement qui est le leur. Ils sont moins vulnérables aux radiations, les tissus brûlés cicatrisent plus rapidement…

— Je sais tout cela, docteur Shekt.

— Mais avez-vous songé que ces processus mutatoires interviennent chez d’autres espèces que l’homme, sur la Terre ?

— Non, à dire vrai, répondit Arvardan après un court silence. Pourtant, maintenant que vous me le dites, cela me paraît évidemment inévitable.

— Eh oui. La diversité de notre cheptel est plus riche que sur n’importe quel autre monde habité. L’orange que vous avez goûtée tout à l’heure est une variété mutante que l’on ne trouve nulle part ailleurs. C’est une des raisons qui interdisent l’exportation de ce fruit. Les Etrangers se méfient de ces agrumes tout comme ils se méfient de nous – et, de notre côté, nous les gardons jalousement pour nous-mêmes à l’égal d’une richesse précieuse et exclusive. Et ce qui s’applique aux animaux et aux plantes est également valable, bien entendu, pour les formes de vie microscopique.

Cette fois, une bouffée d’effroi monta en Arvardan.

— C’est aux… bactéries que vous pensez ?

— A la totalité de la vie primitive. Les protozoaires, les bactéries et les protéines autoreproductrices que certains appellent virus.

— Et où voulez-vous en venir ?

— Si je ne m’abuse, vous en avez déjà une idée, docteur Arvardan. Vous avez l’air soudain intéressé. Il existe chez les non-Terriens, voyez-vous, une croyance selon laquelle les Terriens sont porteurs de mort, que les fréquenter est un suicide, que les Terriens sont des oiseaux de mauvais augure, qu’ils ont le mauvais œil, en quelque sorte… Je le sais bien, mais ce n’est qu’une superstition.

— Pas entièrement, et tout le drame est là. Comme toutes les croyances populaires, si entachée de superstition, si déformée et pervertie qu’elle soit, cette notion contient un grain de vérité. Il peut arriver qu’un Terrien recèle dans son organisme un parasite mutant microscopique se différenciant de tous ceux qui sont répertoriés et auquel, parfois, les Etrangers sont vulnérables. Ce qui s’ensuit est du ressort de la simple biologie, docteur Arvardan.

Comme l’archéologue gardait le silence, le docteur Shekt poursuivit :

— Naturellement, nous sommes quelquefois atteints. Une nouvelle espèce de germes naît des brouillards radioactifs et une épidémie se répand sur la planète. Mais les Terriens ont du répondant. Au fil des générations, nous avons développé des défenses contre chaque variété de germes et de virus et nous survivons. Les Etrangers n’en ont pas eu l’occasion.

— Vous voulez dire, murmura Arvardan pris d’une étrange faiblesse, vous voulez dire que le contact que nous avons à présent…

Il écarta son siège. Il pensait aux baisers que Pola et lui avaient échangés.

— Mais non, fit Shekt en secouant la tête. Bien sûr que non ! Nous ne créons pas la maladie, nous en sommes seulement les vecteurs. Et encore est-il rarissime que nous en soyons porteurs. Si je vivais sur votre monde, je ne serais pas plus porteur de germes que vous, je n’ai pas d’affinité spéciale pour eux. Même ici, il n’y a qu’un seul germe dangereux sur un quadrillion, voire sur un quadrillion de quadrillions. Les risques pour que vous soyez contaminé sont moins élevés que le risque que vous courrez d’être frappé de plein fouet par une météorite qui fracasserait le toit de cette maison. A moins que l’on ne recherche, isole et concentre délibérément les germes en question.

Le silence retomba, un silence qui se prolongea plus que la première fois. Enfin, Arvardan demanda d’une voix étranglée :

Les Terriens ont fait cela ? Il avait cessé de voir en son interlocuteur un homme atteint de paranoïa. Il était prêt à le croire.

— Oui, mais c’était, au départ, pour des raisons innocentes. Nos biologistes, comme c’est naturel, s’intéressent tout particulièrement aux caractéristiques propres à la vie sur la Terre et ils ont récemment isolé le virus de la fièvre banale.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une maladie endémique bénigne. Plus exactement, elle est toujours bénigne pour nous. La plupart des Terriens l’ont dans leur enfance et ses symptômes ne sont pas très graves : un peu de température, une éruption de boutons passagère, l’inflammation des articulations, le tout accompagné d’une soif gênante. L’affection disparaît en l’espace de quatre à six jours et, dès lors, l’immunité est acquise. Je l’ai eue, Pola aussi. Il existe une forme plus virulente de cette maladie qui se manifeste occasionnellement – provoquée, vraisemblablement, par une souche légèrement modifiée du virus – et que l’on appelle la Fièvre des Radiations.

— La Fièvre des Radiations ? J’en ai entendu parler.

— Vraiment ? Ce nom vient de ce que l’on croit à tort qu’on l’attrape quand on pénètre dans les zones radioactives.

— En fait, si l’on en est souvent atteint après avoir été exposé à l’environnement qui règne dans ces poches, c’est parce que le virus y a davantage tendance à muter pour prendre sa forme virulente. Mais c’est le virus qui est responsable de la maladie, par les radiations. Les symptômes de cette affection apparaissaient au bout de deux heures. Les lèvres sont tellement endommagées que le malade peut à peine parler, et il risque de mourir en quelques jours.