Ce n’était pas une matraque neuronique qui se balançait à la ceinture de flexiplast retenant la robe du secrétaire, mais un éclatron de belle taille, capable de réduire un homme en ses atomes constitutifs en un clin d’œil.
Le secrétaire considéra les prisonniers avec une satisfaction sauvage. La fille ne comptait guère, mais les trois autres étaient de bonne prise : le Terrien traître, l’agent de l’empire et le mystérieux personnage que l’on surveillait depuis deux mois. Etait-ce tout ?
Certes, il y avait encore Ennius et l’empire. Leurs bras, en la personne de ces espions et renégats, étaient ligotés mais le cerveau était quelque part, actif et, peut-être, prêt à faire donner d’autres bras.
Le secrétaire, très à l’aise, les mains derrière le dos comme si la nécessité de dégainer rapidement n’était même pas une possibilité à envisager, laissa tomber d’une voix sereine et douce :
— Il est indispensable, à présent, que tout soit parfaitement clair. Il y a état de guerre entre la Terre et la galaxie – une guerre qui n’est pas encore déclarée mais une guerre néanmoins. Vous êtes nos prisonniers et vous serez traités comme l’exigeront les circonstances. Il va de soi que le châtiment des espions et des traîtres est la mort…
— Seulement en cas de guerre légale et déclarée, dit farouchement Arvardan.
— Guerre légale ? répéta Balkis avec un évident mépris. Qu’est-ce qu’une guerre légale ? La Terre a toujours été en guerre contre la galaxie, que nous ayons ou non poliment mentionné ce fait.
— Ne prenez pas la peine de discuter avec lui, Bel, murmura Pola. Qu’il dise ce qu’il a à dire et qu’on en finisse.
Arvardan lui sourit – un sourire caricatural et convulsif car, au prix d’un immense effort, il se remit debout en vacillant.
Balkis, secoué d’un rire muet, s’approcha de lui sans hâte, posa sans se presser la main sur la poitrine de l’archéologue et le poussa.
Arvardan, dont les muscles douloureux et engourdis ne réagissaient qu’avec une lenteur d’escargot, s’écroula. Pola émit une exclamation étranglée. Bien que sa chair et ses os se rebellassent, elle réussit à glisser du banc où elle gisait, avec une lenteur infinie.
Balkis la laissa se traîner vers Arvardan.
— Le bel amant que voilà ! Le bel amant et vigoureux Etranger ! Cours le rejoindre, fillette ! Pourquoi attends-tu ? Serre ton héros dans tes bras et oublie dans son étreinte l’odeur de la sueur et du sang des millions de Terriens martyrs qui l’imprègne. Regarde-le, ton fier et vaillant héros. Il a suffi de la chiquenaude d’un Terrien pour lui faire mordre la poussière.
Pola, à genoux devant Arvardan, lui palpait le cuir chevelu, redoutant de sentir sous ses doigts l’humidité du sang ou la mortelle flaccidité du crâne broyé. Les yeux du Sirien s’ouvrirent lentement et ses lèvres formèrent une phrase silencieuse :
— Ce n’est rien.
— Celui qui s’attaque à un homme paralysé et se vante de sa victoire est un lâche. Peu de Terriens sont de cette trempe, croyez-moi, mon bien-aimé.
— Je sais. Sinon, vous ne seriez pas une Terrienne. Balkis se raidit.
— Comme je vous le disais, vos vies sont perdues. Cependant, vous pouvez les racheter. Vous intéresserait-il de savoir à quel prix ?
— Si vous étiez à notre place, vous ne demanderiez pas mieux, rétorqua fièrement Pola. Je n’en doute pas.
— Chut, Pola, dit Arvardan qui n’avait pas encore entièrement recouvré sa respiration. Quelle est votre proposition ?
— Tiens ! Vous êtes prêt à vous vendre ? Comme je me vendrais, par exemple, moi, le vil Terrien que je suis ?
— Ce que vous êtes, vous le savez mieux que moi. Cela étant dit, je ne me vends pas. Je l’achète, elle.
— Je refuse d’être achetée, protesta la jeune fille.
— Quel touchant spectacle ! railla le secrétaire. Il s’aplatit devant nos femmes, nos squaws terreuses, et trouve encore le moyen de jouer les âmes, nobles qui se sacrifient.
— Quelles sont vos propositions ?
— Les voici. Il est évident qu’il y a eu des fuites. Il n’est pas difficile de deviner comment le Dr Shekt a eu vent de nos plans. Mais comment l’empire a-t-il été mis au courant ? Cela est déconcertant. Nous voulons donc que vous nous disiez ce que l’empire sait au juste. Pas ce que vous avez appris, Arvardan, mais ce que l’empire sait à l’heure actuelle.
— Je suis un archéologue, pas un espion, répliqua Arvardan sur un ton mordant. J’ignore totalement ce que sait l’empire – mais je souhaite qu’il en sache sacrément long. Je n’en doute pas. Mais peut-être changerez-vous encore d’avis. Réfléchissez bien – tous.
Jusque-là, Schwartz n’avait pas ouvert la bouche. Il n’avait même pas levé les yeux.
Balkis ménagea une pause avant de reprendre avec, peut-être, un soupçon de fureur :
— Puisque c’est comme cela, je vais vous indiquer le prix que vous coûterait votre refus de coopérer. Ce ne sera pas simplement la mort puisque vous êtes tous préparés, j’en suis convaincu, à ce désagréable et inévitable aboutissement. Le Dr Shekt et sa fille qui, malheureusement pour elle, mérite la mort pour sa complicité, sont citoyens de la Terre. Eu égard à cette situation, il sera tout indiqué de les soumettre à l’amplificateur synaptique. Vous m’avez compris, docteur Shekt ?
Les yeux du physicien étaient des lacs de pure terreur.
— Oui, je vois que vous comprenez. Il est possible, évidemment, de faire en sorte que l’appareil endommage les tissus cérébraux juste ce qu’il faut pour transformer le sujet en un crétin décérébré qui devient alors quelque chose d’absolument répugnant. Si on ne l’alimente pas, il meurt de faim. Si on ne le nettoie pas, il croupit dans ses déjections. Si on ne l’enferme pas, il est un phénomène monstrueux offert à la vue de tous. Cela servira peut-être de leçon aux autres dans la perspective du grand jour qui approche.
« Quant à vous (le secrétaire se tourna vers Arvardan) et à votre ami Schwartz, vous êtes sujets de l’empire et, à ce titre, tout désignés pour une intéressante expérience. Nous n’avons jamais essayé notre virus concentré sur vous autres, chiens galactiques. Bonne occasion pour nous de prouver l’exactitude de nos calculs. Une petite dose, n’est-ce pas ? pour que vous ne mouriez pas trop vite. Sous une dilution suffisante, la maladie peut se prolonger une semaine avant l’issue fatale. Ce sera très douloureux.
Balkis s’interrompit et étudia les captifs en plissant les paupières.
Voilà. Ou cela ou la réponse à quelques questions. A vous de choisir. Qu’est-ce que l’empire sait exactement ? Y a-t-il d’autres agents au travail présentement ? Existe-t-il des plans de contre-offensive et, dans ce cas, lesquels ?
— Comment pouvons-nous avoir l’assurance que vous ne nous exécuterez pas quand même lorsque vous aurez appris ce que vous souhaitez ? murmura le Dr Shekt.
— Je vous garantis que vous périrez dans des conditions affreuses si vous refusez. C’est un pari à faire. Qu’en dites-vous ?
— Pouvons-nous avoir un peu de temps ?
— Du temps ? Mais je viens de vous en donner. Dix minutes se sont écoulées depuis que je suis entré ici et je suis encore en train de vous écouter. Alors, qu’avez-vous à répondre ? Comment ? Rien ? Vous vous rendez compte que ma patience ne sera pas éternelle ? Vous bandez vos muscles, Arvardan. Peut-être pensez-vous que vous pourrez me sauter dessus avant que je n’aie le loisir de sortir mon éclatron. A supposer même que vous y parveniez, il y a des centaines de Terriens dehors et l’opération se poursuivra sans moi. Et vous subirez quand même le châtiment dont je vous ai précisé les différentes modalités. Et vous, Schwartz ? Vous avez tué notre agent. C’était vous, n’est-ce pas ? Peut-être pensez-vous que vous pouvez me tuer aussi ?