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— Mais qu’espérez-vous encore, imbéciles ! s’exclama ce dernier d’une voix que la fureur étranglait. Je n’ai qu’à appeler…

— Et ce sera votre arrêt de mort – à vous, en tout cas, fit faiblement Shekt.

Me tuer ne vous servira à rien et vous le savez. Vous ne sauverez pas l’empire que vous nous avez livré et vous ne vous sauverez même pas vous-mêmes. Donnez-moi cet éclatron et vous pourrez repartir libres. Il tendit la main, mais Shekt se contenta de rire mélancoliquement.

— Je ne suis pas assez fou pour vous croire.

— Peut-être, mais vous êtes à moitié paralysé.

Et le secrétaire fit un écart à droite, beaucoup trop vite pour que le poignet débile du physicien puisse suivre le mouvement.

Mais Balkis qui s’apprêtait à bondir ne pensait plus à autre chose qu’à l’éclatron dont il fallait qu’il se tienne à couvert. Schwartz en profita pour lancer un ultime assaut. Son esprit frappa. Le secrétaire trébucha et bascula en avant comme s’il avait été assommé.

Arvardan avait péniblement réussi à se relever. Sa joue était violette et enflée et il marchait en boitillant.

— Pouvez-vous remuer, Schwartz ? demanda-t-il.

— Un peu, répondit le tailleur d’une voix cassée en se laissant glisser à bas de son banc.

— Personne ne vient ?

— Je ne décèle rien.

Arvardan, baissant les yeux, adressa un sourire crispé à Pola. Il avait posé la main sur les cheveux soyeux de la jeune fille qui le contemplait d’un regard noyé. Maintes fois, depuis deux heures, il avait été sûr et certain qu’il ne toucherait jamais plus sa chevelure, qu’il né verrait jamais plus son regard.

— Finalement, peut-être aurons-nous quand même un après, Pola.

Elle ne put que secouer la tête et répondre :

— Il n’y a pas assez de temps. Nous n’avons que jusqu’à mardi 6 heures.

— Pas assez de temps ? Eh bien, nous allons voir. (Arvardan se pencha sur l’Ancien prostré et lui releva la tête sans douceur.) Est-il vivant ? (De ses doigts gourds, il essaya en vain de trouver le pouls de Balkis et finit par lui poser la main à plat sur la poitrine.) Son cœur bat. Vous possédez un singulier pouvoir, Schwartz. Pourquoi n’avez-vous pas commencé par le réduire dans cet état, d’abord ?

Parce que je voulais seulement l’immobiliser. (Le visage décomposé de Schwartz témoignait de la torture qu’il avait subie.) Je pensais que si je parvenais à le paralyser, nous pourrions nous servir de lui comme d’un rempart, sortir sur ses talons.

— C’est possible ! s’écria Shekt avec une soudaine animation. Il y a le fort Dibburn où est stationnée la garnison impériale. C’est à moins d’un demi-mille d’ici. Une fois là-bas, nous serions en sécurité et nous pourrions prévenir Ennius.

— Une fois là-bas ! Il doit y avoir une centaine de gardes dans ce bâtiment et combien de centaines d’autres entre lui et le fort ? Et que voulez-vous qu’on fasse avec cet impotent ? Qu’on le porte ? Qu’on le pousse dans une petite voiture ?

Arvardan eut un rire sans joie.

— D’ailleurs, ajouta Schwartz sur un ton morne, je ne pourrai pas le neutraliser très longtemps. Vous avez vu… je n’y suis pas parvenu.

— Parce que vous manquiez d’expérience, rétorqua vivement le physicien. Maintenant, écoutez-moi, Schwartz. Je crois savoir comment vous opérez. Votre esprit est un récepteur qui capte les champs électromagnétiques du cerveau. Je pense que vous pouvez aussi émettre. Comprenez-vous ?

Schwartz semblait incertain.

— Il faut que vous compreniez, insista Shekt. Vous allez vous concentrer pour lui enjoindre de faire ce que nous voulons qu’il fasse. Et, pour commencer, nous allons lui rendre son éclatron.

— Quoi ! s’insurgèrent les trois autres en chœur.

— Il faudra qu’il nous fasse sortir d’ici et qu’il ouvre la marche, enchaîna le vieil homme en haussant le ton. Il n’y a pas d’autre solution, n’est-ce pas ? Et s’il est ostensiblement armé, comment se doutera-t-on de quelque chose ?

— Mais je ne pourrai pas le tenir, je vous le répète. (Schwartz se donnait des claques sur les bras, les pliait et les dépliait pour leur rendre leur souplesse.) Je me moque de vos théories, docteur Shekt. Vous ne savez pas de quoi il retourne. L’emprise est difficile à garder, c’est douloureux. Et malaisé. Je sais, nous devons courir le risque. Essayez, Schwartz. Quand il reprendra connaissance, faites-lui bouger le bras.

Le secrétaire gémit et Schwartz sentit renaître l’attouchement. Muet, il le laissa prendre force, presque avec effroi. Puis il lui parla. Son discours ne faisait pas appel aux mots. C’était l’ordre informulé que l’on donne à son bras quand on veut qu’il bouge, un ordre tellement silencieux qu’on n’en a même pas conscience.

Mais ce ne fut pas son bras qui bougea : ce fut celui de Balkis. Le Terrien venu du passé leva la tête avec un sourire éperdu, mais les autres n’avaient d’yeux que pour le secrétaire qui gisait sur le sol, la tête dressée, dont la prunelle reprenait vie et dont le bras s’était convulsivement levé, faisant un angle incongru de 90° avec son corps.

Schwartz se remit à sa tâche.

Le secrétaire se leva avec des mouvements hachés. Il faillit basculer, mais conserva l’équilibre. Et il se mit à danser d’une façon curieusement mécanique.

Ses pas n’avaient ni rythme ni élégance pour Shekt, Pola et Arvardan qui voyaient son corps, mais pour Schwartz qui voyait son corps et son esprit, c’était quelque chose d’extraordinairement impressionnant. Car le corps de Balkis était à présent contrôlé par un esprit auquel il n’était pas matériellement relié.

Shekt s’approcha d’un pas lent et circonspect de l’homme transformé en une sorte de robot et, non sans appréhension, lui tendit l’éclatron en le lui présentant par la crosse.

— Qu’il le prenne, Schwartz.

Balkis, à son tour, tendit la main et saisit gauchement l’arme. L’espace d’un instant, une lueur dévorante s’alluma dans ses prunelles, mais elle s’éteignit presque aussitôt. Avec raideur, il glissa l’éclatron dans sa ceinture et son bras retomba.

— Il a presque réussi à se libérer, dit Schwartz. Il eut un rire strident – mais il était livide.

— Pouvez-vous le maîtriser ? Il se débat comme un beau diable, mais c’est moins pénible que tout à l’heure.

— Parce que vous savez ce que vous faites, lui expliqua Shekt avec plus d’assurance qu’il n’en éprouvait. Maintenant, vous allez émettre. N’essayez pas de le tenir. Faites comme si c’était vous qui agissiez.

— Pouvez-vous le faire parler ? s’enquit Arvardan.

Il y eut un temps mort, puis un grognement sourd et grinçant sortit de la gorge du secrétaire. Nouvelle pause. Nouveau grognement.

— C’est tout, balbutia Schwartz.

— Mais pourquoi n’y arrivez-vous pas ? demanda Pola, visiblement soucieuse.

Son père haussa les épaules.

— Parler fait jouer des muscles extrêmement délicats et complexes. Ce n’est pas comme de faire mouvoir les muscles longs des membres. Ne vous inquiétez pas, Schwartz. On se débrouillera sans ça.

Aucun des participants de l’étrange odyssée qui s’ensuivit ne put se rappeler exactement les événements qui se déroulèrent deux heures durant. Le Dr Shekt, par exemple, était en proie à une singulière distanciation. Toute ses frayeurs étaient balayées et il ne subsistait en lui qu’un étrange sentiment de sympathie impuissante à l’égard du combat intérieur que menait Schwartz. Il n’avait d’yeux que pour le visage rondouillard de l’homme du passé que l’effort tordait et faisait grimacer. Quant aux autres, ils n’avaient guère le temps de le regarder.