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Remettant en place ses cheveux d’une main tremblante, il désigna Balkis du doigt et dit d’une voix ferme :

J’accuse cet homme de conspirer en vue de renverser le gouvernement impérial. Il faut que j’aie immédiatement une entrevue avec le commandant de la place.

— Nous allons nous en occuper, monsieur, répondit courtoisement l’officier. Si vous voulez bien me suivre… tous les quatre.

Et les choses restèrent au point mort pendant des heures. Les locaux où ils avaient été conduits étaient situés à l’écart et raisonnablement propres. Pour la première fois depuis douze heures, on leur apporta à manger et, en dépit de tout, ils mangèrent avec appétit. Ils eurent même droit à cet autre symbole du confort de la civilisation, un bain.

Mais des soldats montaient la garde devant la porte et les heures succédaient aux heures. Perdant patience, Arvardan s’exclama soudain :

— Nous n’avons fait que changer de prison !

La routine monotone et absurde, propre à tout établissement militaire, se poursuivait comme s’ils n’existaient pas. Schwartz dormait. Comme Arvardan posait les yeux sur lui, Shekt hocha la tête.

— Non. Humainement, c’est impossible. Il est épuisé. Laissons-le dormir.

— Mais il ne nous reste que trente-neuf heures.

— Je sais. Il faut attendre.

Une voix cinglante et vaguement narquoise résonna :

— Quel est celui d’entre vous qui se prétend citoyen de l’empire ?

Arvardan bondit sur ses pieds.

— C’est moi. Je…

Mais, reconnaissant celui qui avait parlé, il s’interrompit. L’homme arborait un sourire figé. Il leva imperceptiblement le bras gauche comme pour rappeler à l’archéologue leur précédente rencontre.

— Bel, murmura Pola, c’est l’officier… celui du magasin.

Dont il a cassé le bras, précisa l’intéressé sur un ton caustique. Je suis le lieutenant Claudy et… mais oui, c’est bien vous. Ainsi, vous êtes Sirien ? Et cela ne vous empêche pas de frayer avec ces gens-là ! Galaxie ! Jusqu’où un homme peut-il donc tomber ! Et cette fille est toujours avec vous. La squaw, ajouta-t-il d’une voix lente et délibérée après une pause.

Arvardan eut la tentation de se rebiffer mais il se domina. Il ne le pouvait pas. Pas encore.

— Puis-je voir le colonel, lieutenant ? demanda-t-il avec une humilité forcée.

— Je regrette, mais le colonel n’est pas présentement de service.

— Dois-je comprendre qu’il est absent ?

— Je n’ai pas dit cela. On peut le joindre… si l’affaire est suffisamment urgente.

— Elle l’est. Puis-je voir l’officier de jour ?

— C’est moi.

— Alors, prévenez le colonel.

Le lieutenant Claudy secoua la tête.

— Il faudrait pour cela que je sois convaincu de la gravité de la situation.

— Au nom de la Galaxie, cessez ce petit jeu ! C’est une question de vie ou de mort.

— Vraiment ? (Le lieutenant balança son jonc avec une élégance affectée.) Vous pourriez peut-être me solliciter de vous accorder audience.

— Soit. Je suis à vos ordres.

— J’ai dit : solliciter.

— Puis-je avoir une audience, lieutenant ?

Mais Claudy ne souriait plus.

— Je répète : il faut la solliciter. Devant la demoiselle. Humblement.

Arvardan avala sa salive et recula. Pola lui posa la main sur le bras.

— Je vous en supplie, Bel… ne vous mettez surtout pas en colère.

— Bel Arvardan, de Sirius, grommela-t-il, sollicite humblement une audience de l’officier de jour.

— Cela dépend, rétorqua le lieutenant.

Il fit un pas vers Arvardan et sa main s’abattit brutalement sur le pansement qu’Arvardan avait à la joue.

— L’archéologue poussa une exclamation étouffée et refoula le cri de douleur qui lui montait aux lèvres. La dernière fois, vous vous êtes senti offensé. Et aujourd’hui ?

Arvardan ne répondit pas.

— Audience accordée.

Quatre soldats encadrèrent Arvardan. Le lieutenant Claudy prit la tête du détachement.

Shekt et Pola étaient seuls avec Schwartz endormi.

— Je ne l’entends plus, dit le physicien. Et toi ? La jeune fille secoua la tête.

— Cela fait un bon moment que je ne l’entends pas, moi non plus. Penses-tu qu’il fera quelque chose à Bel, père ?

— Comment le pourrait-il ? répondit doucement le vieil homme. Tu oublies qu’Arvardan n’est pas vraiment l’un des nôtres. C’est un citoyen de l’empire et, à ce titre, il n’a pas grand-chose à redouter. Tu l’aimes, je suppose ?

— Oh ! Terriblement, père. C’est bête, je le sais.

— Evidemment. (Shekt eut un sourire amer.) Il est honnête, je ne dis pas le contraire, mais que peut-il faire ? Vivre avec nous sur la Terre ? T’emmener chez lui ? Présenter une Terrienne à ses amis ? A sa famille ?

— Je sais, sanglota Pola. Mais il est bien possible qu’il n’y ait pas d’après pour nous.

Shekt bondit à nouveau sur ses pieds comme si cette réplique l’avait rappelé à la réalité. Il répéta :

— Je ne l’entends plus.

C’était du secrétaire qu’il parlait. On avait enfermé Balkis dans une pièce adjacente qu’il arpentait comme un ours en cage. Ses pas faisaient grand bruit. Mais maintenant, le silence régnait.

C’était là un détail secondaire, mais le secrétaire était devenu, corps et âme, un peu comme le symbole des forces destructrices, épidémiques, qui s’apprêtaient à déferler sur le gigantesque lacis des étoiles vivantes. Shekt secoua doucement Schwartz.

— Réveillez-vous.

— Schwartz s’étira. Que se passe-t-il ?

Il se sentait à peine reposé. La fatigue battait au plus profond de lui avec des pulsions et des saccades désordonnées.

— Où est Balkis ?

— Oh… oh oui !

L’ancien tailleur jeta un regard déconcerté autour de lui. Brusquement, il se rappela que ce n’était pas avec ses yeux qu’il voyait le plus clairement. Il projeta ses tentacules mentaux qui palpèrent à la ronde en quête de l’esprit qu’ils connaissaient si bien.

Schwartz trouva ce qu’il cherchait, mais prit soin de s’en tenir à l’écart. Le contact intime qu’il avait eu avec cet esprit malade et immonde, gluant, lui avait laissé un souvenir qu’il n’était pas prêt d’oublier.

— Il est à un autre étage, murmura-t-il. Il parle à quelqu’un.

— A qui ?

— Je n’ai encore jamais touché cet esprit. Attendez… Laissez-moi écouter. Peut-être que le secrétaire va… oui, il l’appelle « colonel ».

Shekt et Pola échangèrent un coup d’œil.

— Il ne peut s’agir d’une trahison, n’est-ce pas ? fit la jeune fille dans un souffle. Je veux dire… un officier de l’empire ne peut pas comploter avec un Terrien contre l’empereur, n’est-il pas vrai ?

— Je ne sais pas, répondit lugubrement Schwartz. Je suis prêt à croire n’importe quoi.

Le lieutenant Claudy avait le sourire aux lèvres. Il était derrière le bureau, un éclatron à portée de sa main, et les quatre soldats se tenaient derrière lui. Il parlait avec toute l’assurance que lui donnait son sentiment de supériorité.

Je n’aime pas les terreux, disait-il. Je ne les ai jamais aimés. Ils sont la lie de la galaxie. Ils sont infectés, superstitieux et paresseux. Ce sont des créatures dégénérées et stupides. Mais, par les Etoiles, ils savent généralement se tenir à leur place. En un sens, je les comprends. Ils sont nés comme ça et ils n’y peuvent rien. Certes, si j’étais l’empereur, je ne supporterais pas ce que sa Majesté supporte – je veux parler de leurs maudites coutumes et traditions. Mais ce n’est pas grave. Un jour, nous…