C’était l’impasse. Le colonel brisa le silence qui avait suivi ces derniers mots en demandant sur un ton gourmé :
— Vous rendez-vous compte qu’en vous rendant coupable du rapt d’un Terrien, vous avez commis un délit qui vous rend passible des tribunaux terriens. En général, les autorités impériales protègent leurs ressortissants et tiennent à ce qu’ils soient jugés par des tribunaux galactiques. — c’est une question de principe. Mais la situation est délicate sur la Terre et mes instructions sont précises : j’ai ordre d’éviter les risques d’affrontement dans toute la mesure du possible. En conséquence, si vous refusez de répondre pleinement à ma question, je serai dans l’obligation de vous remettre, vous et vos compagnons, à la police locale.
— Mais ce serait nous condamner, nous et vous, à mort ! Je suis citoyen de l’empire et j’exige d’avoir une audience avec le pro…
Le vrombissement du ronfleur interrompit Arvardan. Le colonel enfonça une touche.
— J’écoute.
— Mon colonel, une troupe d’indigènes a encerclé le fort, annonça une voix retentissante. On croit qu’ils sont armés.
— Y a-t-il eu des actes de violence ?
— Non, mon colonel.
Nulle émotion ne se lisait sur la physionomie de l’officier. Sur ce point, au moins, l’entraînement qu’il avait subi avait été efficace.
— Que l’artillerie et l’aviation se tiennent prêtes à intervenir. Que chacun regagne son poste de combat. Interdiction d’ouvrir le feu sauf en cas de légitime défense. C’est compris ?
— Oui, mon colonel. Un Terrien sous la protection du drapeau blanc désire être reçu.
— Envoyez-le-moi. Et faites également revenir le secrétaire du ministre.
Le colonel décocha un regard glacé à l’archéologue.
— J’espère que vous vous rendez compte des conséquences catastrophiques de vos menées ?
J’exige d’assister à cette entrevue, s’écria Arvardan dont la fureur était telle qu’il avait du mal à s’exprimer de façon cohérente. Et j’exige aussi de savoir pour quelle raison vous m’avez laissé croupir pendant des heures sous bonne garde, alors que vous discutiez en tête à tête avec un indigène qui, de surcroît, est un traître. Car je sais fort bien que vous avez eu une entrevue avec lui avant de me parler.
— Est-ce une accusation ? demanda le colonel en haussant le ton. Si tel est le cas, exprimez-vous clairement.
— Non, ce n’est pas une accusation. Mais je vous rappelle que, à partir de maintenant, vous aurez à rendre compte de vos actes et que la postérité, si nous devons avoir une postérité, vous tiendra peut-être pour responsable de la destruction de votre peuple du fait de votre entêtement.
— Silence ! En tout cas, ce n’est pas à vous que j’ai des comptes à rendre. L’affaire sera menée comme je l’entends. Avez-vous compris ?
20. L’HEURE H
Le secrétaire entra, introduit par un soldat. Un sourire glacé joua fugitivement sur ses lèvres violacées et enflées. Il s’inclina devant le colonel et fit mine de ne pas s’apercevoir de la présence d’Arvardan.
— J’ai averti le haut ministre que vous étiez parmi nous et je lui ai fait part des circonstances de votre arrivée, commença l’officier. Votre détention dans cette enceinte, est, bien sûr, totalement… euh… anormale et je me propose de vous rendre la liberté au plus vite. Cependant, ce monsieur, que vous connaissez sans doute, a porté contre vous une très grave accusation et nous sommes dans l’obligation d’enquêter à ce sujet.
Je comprends, colonel, répondit calmement le secrétaire. Toutefois, comme je vous l’ai déjà exposé, cet individu n’est sur la Terre que depuis deux mois environ, si je suis bien informé, et sa connaissance de notre politique intérieure est nulle. C’est là, en vérité, une base bien fragile pour porter des accusations.
— Je suis archéologue de métier, rétorqua Arvardan avec colère, et je suis spécialiste de la Terre et de ses coutumes. Mes connaissances relatives à la politique terrienne sont loin d’être nulles. En outre, il n’y a pas que moi qui accuse.
Balkis n’accorda pas un coup d’œil à Arvardan et, tout au long de la confrontation, il ne le regarda, même pas. Ce fut exclusivement au colonel qu’il s’adressa :
— Un savant terrien est mêlé à cette affaire. Il approche de la soixantaine, le terme fatal, et il souffre de délire de la persécution. Il y a également un autre personnage dont les antécédents sont inconnus et qui est un idiot congénital. Des accusations venant d’un tel trio ne sauraient être sérieusement prises en considération.
Arvardan se leva d’un bond :
— Je demande à être entendu…
— Asseyez-vous, laissa sèchement tomber le colonel. Vous avez refusé de discuter de cette question avec moi. J’ai pris acte de votre refus. Faites entrer le plénipotentiaire.
Le porteur du drapeau blanc était, lui aussi, un Ancien. Ce fut à peine s’il cilla à la vue du secrétaire. Le colonel se leva :
— Etes-vous le porte-parole des gens qui sont dehors ?
— Oui.
— Donc, je présume que ce rassemblement séditieux et illégal vise à réclamer la libération de votre compatriote ici présent ?
— Oui. Nous exigeons qu’il soit immédiatement libéré.
Il le sera. Néanmoins, la loi, l’ordre et le respect dus aux représentants de Sa Majesté Impériale sur cette planète interdisent toute négociation aussi longtemps que cette foule hostile et armée sera réunie. Je vous demande de donner à vos hommes l’ordre de se disperser.
— Le colonel a parfaitement raison, frère Cori, dit le secrétaire d’une voix amène. Veuillez calmer les esprits. Je suis parfaitement en sécurité ici et personne ne court de danger. Vous m’avez compris ? Personne. Je vous en donne ma parole d’Ancien.
— C’est parfait, frère. Je suis heureux que vous soyez en sécurité.
Le plénipotentiaire fut reconduit.
— Nous veillerons à ce que vous repartiez sain et sauf dès que la situation en ville sera redevenue normale, reprit le colonel à l’adresse de Balkis. Je vous remercie de la coopération dont vous venez de faire preuve.
Arvardan se leva à nouveau :
— Je proteste ! Alors que vous vous apprêtez à relâcher cet homme qui se prépare à commettre un génocide, vous m’empêchez d’avoir un entretien avec le procurateur, ce qui est en contradiction avec mes droits élémentaires de citoyen galactique. Montrerez-vous donc plus de considération envers un chien terrien qu’envers moi ? conclut-il au paroxysme de la frustration.
— Ce sera avec joie, colonel, que je resterai ici pour m’expliquer devant le procurateur si c’est là ce que veut cet énergumène, dit le secrétaire avant même qu’Arvardan, qui en balbutiait de fureur, eût terminé. Une accusation de trahison est chose sérieuse et un tel soupçon s’attachant à moi, si immatériel qu’il soit, suffirait peut-être à ruiner les possibilités que j’ai d’être utile à mon peuple. Je serais satisfait de pouvoir prouver au procurateur que personne dans tout l’empire n’est plus loyal que moi.
— Je vous admire, fit le colonel d’un air guindé, et j’avoue que, à votre place, mon attitude serait fort différente. Vous faites honneur à votre race, monsieur. Je vais essayer d’entrer en contact avec le procurateur.
Arvardan n’ouvrit plus la bouche avant qu’on ne l’eût ramené dans sa cellule.
— Evitant le regard des autres, il resta longtemps immobile, un poing sous le menton, à grincer des dents. Alors ? demanda finalement Shekt.
L’archéologue secoua la tête.
— Je crains d’avoir tout gâché.