— Ils sont effectivement hors d’atteinte à présent, mais sachez qu’il n’y a pas besoin d’antitoxine pour juguler le virus.
Arvardan ne saisit pas pleinement la signification de cette déclaration. Une idée se fit soudain jour en lui, bouleversante. Avait-il été effectivement manipulé ? Tout cela n’avait-il été qu’une gigantesque manœuvre d’intoxication à laquelle le secrétaire s’était fait prendre comme lui ? Mais alors, pourquoi ?
— Que voulez-vous dire ? demanda Ennius. Vite… répondez.
— Ce n’est pas compliqué, dit Schwartz. Hier soir, je savais qu’il ne me servait à rien de rester là à vous écouter parler. Alors, j’ai agi doucement sur l’esprit du secrétaire. Cela m’a demandé longtemps. Il ne fallait surtout pas qu’il s’en rende compte. Finalement, il a demandé qu’on me fasse sortir. C’était ce que je voulais, naturellement. Le reste a été facile.
« J’ai neutralisé mon garde du corps et je me suis rendu à la piste d’envol. L’état d’alerte permanente était déclaré. Le stratojet était prêt à décoller. Le plein était fait et les bombes étaient à bord. Les pilotes attendaient. J’en ai choisi un et nous sommes partis en direction de Senloo.
Le secrétaire voulut dire quelque chose, mais il ne put qu’ouvrir et refermer la bouche. Il était incapable d’articuler un seul mot.
— Mais vous ne pouviez pas contraindre quelqu’un à piloter un appareil, Schwartz ! s’exclama Shekt. Vous êtes tout juste capable de faire marcher un homme.
— Oui, quand c’est contre sa volonté. Mais j’avais lu dans l’esprit du Dr Arvardan et je savais à quel point les Siriens haïssent les Terriens. J’ai donc cherché un pilote originaire du secteur de Sirius et j’ai trouvé le lieutenant Claudy.
— Le lieutenant Claudy ? s’écria Arvardan.
— Oui. Ah ! Je vois que vous le connaissez. C’est tout à fait clair dans votre esprit.
— Si je le connais ? Et comment ! Continuez, Schwartz.
— Même moi, j’avais du mal à comprendre avec quelle intensité il exécrait les Terriens. Et pourtant, j’étais dans son esprit. Il voulait les bombarder. Il voulait les anéantir. Seule, l’habitude de la discipline l’empêchait de sauter dans son avion.
« Les mentalités de ce genre sont très particulières. Un rien de suggestion, une légère impulsion – et adieu la discipline ! Je ne crois même pas qu’il se soit rendu compte que j’étais monté à bord avec lui.
— Comment avez-vous trouvé Senloo ? murmura Shekt.
— De mon temps, il y avait une ville appelée St Louis. Elle était située au confluent de deux fleuves. Nous avons localisé Senloo. Il faisait nuit, mais il y avait une tache noire au milieu de l’océan de la radio-activité – et le Dr Shekt avait dit que le temple était une oasis au sol, non contaminé. Nous avons lancé une fusée éclairante – ce fut une suggestion mentale de ma part – et nous avons repéré un édifice en forme d’étoile à cinq branches. Cela concordait avec l’image que j’avais lue dans l’esprit du secrétaire. Maintenant, à l’emplacement de ce bâtiment, il y a un trou d’une profondeur de cent pieds. Cela s’est passé à 3 heures du matin. Les missiles chargés de virus n’avaient pas encore été lancés. L’univers est sauvé.
Le secrétaire exhala un hurlement de bête. On aurait dit la plainte stridente d’un démon. Il se ramassa pour bondir… et s’affaissa. Un peu d’écume suintait entre ses lèvres.
— Je ne l’ai pas touché, dit Schwartz. (Les yeux fixés sur le corps inanimé de Balkis, il poursuivit sur un ton pensif :) J’étais de retour avant 6 heures, mais il fallait que j’attende que l’heure fatidique soit passée. Il était forcé que Balkis fasse cocorico. Je le savais parce que j’avais sondé son esprit et c’était le seul moyen que j’avais de le convaincre. Et maintenant, le voilà sans vie.
22. LE MEILLEUR ENCORE EST A NAITRE
Trente jours s’étaient écoulés depuis la nuit où il avait décollé un peu avant l’heure H qui devait être l’heure 0 de la destruction de la galaxie. L’éther grésillait d’ordres frénétiques l’appelant à faire demi-tour, mais il n’avait pas rebroussé chemin.
Pas avant d’avoir anéanti le temple de Senloo.
Cet acte d’héroïsme était maintenant officiel. Il avait en poche la médaille de première classe de l’Ordre de l’Astronef et du Soleil. En dehors de lui, il n’y avait que deux hommes dans toute la galaxie qui s’étaient vu décerner cette décoration de leur vivant.
C’était quand même quelque chose pour un tailleur à la retraite.
Certes, en dehors d’une poignée de très hauts dignitaires, personne ne savait au juste ce qu’il avait fait, mais c’était sans importance. Un jour, les livres d’histoire témoigneraient à jamais de cet exploit.
Dans le silence du soir, il se rendait chez le Dr Shekt. La ville était calme, aussi calme que le ciel constellé au-dessus d’elle. Dans certains endroits isolés de la Terre, des bandes de zélotes s’agitaient encore, mais leurs chefs étaient morts ou prisonniers et les Terriens modérés pouvaient eux-mêmes se charger de ces commandos.
Les premiers et gigantesques convoyeurs chargés d’humus non radio-actif étaient en route. Ennius avait renouvelé sa proposition originelle, mais la population de la Terre avait refusé d’émigrer sur une autre planète. Les Terriens ne demandaient pas la charité. Ils voulaient qu’on leur accorde une chance de remodeler leur monde, de reconstruire la patrie de leurs ancêtres, le berceau originel de l’humanité. Ils voulaient peiner sang et eau, faire disparaître le sol contaminé et le remplacer par un sol sain, ils voulaient voir les étendues mortes exploser de verdure, les déserts refleurir dans toute leur beauté.
C’était une œuvre de titans qui demanderait un siècle. Eh bien, tant pis ! La galaxie leur prêterait des machines, la galaxie leur livrerait des vivres, la galaxie leur fournirait l’humus. Compte tenu de ses incalculables ressources, ce serait une bagatelle – et un investissement qui rapporterait.
Et, plus tard, les Terriens redeviendraient un peuple parmi les peuples, habitant une planète parmi les planètes, et ils seraient sur un pied d’égalité avec le reste de l’humanité.
C’était une telle merveille que le cœur de Schwartz battait tandis qu’il gravissait le perron. Dans une semaine, il partirait avec Arvardan pour visiter les grands mondes centraux de la galaxie. Quel homme de sa génération avait jamais quitté la Terre ?
Un instant, il se prit à songer à la vieille Terre, sa Terre à lui, morte depuis si longtemps.
Pourtant, il n’avait vieilli que de trois mois et demi…
Au moment où il levait la main pour signaler sa présence, des mots résonnèrent dans sa tête et il s’immobilisa. A présent, il entendait les pensées avec une extraordinaire clarté. On eût dit des clochettes.
C’était Arvardan, bien sûr, et de simples mots étaient incapables de traduire, tout ce qui s’agitait dans son esprit.
— Pola, j’ai attendu et j’ai réfléchi, j’ai réfléchi et j’ai attendu. Cela suffit comme ça. Tu vas venir avec moi. La même passion habitait Pola mais ce fut à regret qu’elle répondit :
— C’est impossible, Bel. Absolument impossible. Je ne suis qu’une provinciale et je me sentirais toute sotte sur ces grandes planètes. D’ailleurs, je ne suis qu’une Tern.
— Tais-toi ! Tu es ma femme, et c’est tout. Si quelqu’un te demande qui tu es, tu répondras que tu es née sur la Terre et que tu es citoyenne de l’empire. Et si l’on te demande d’autres détails, tu ajouteras que tu es mon épouse.