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— Mais... c'est ma maison ! fit-elle d'une voix blanche. C'est ma maison qui brûle !

— Qu'est-ce que vous dites ? s'écria Arnaud en saisissant sa main. C'est là que vous habitez ?

— Oui... Mon Dieu et Sara ! Sara ! Sara ! Elle dormait quand je suis partie.

Comme une folle elle se mit à courir vers la maison incendiée. Construite tout en bois comme beaucoup de ses voisines, elle flambait comme un fagot.

La rue était pleine de gens qui, déjà, faisaient la chaîne avec des seaux de cuir remplis d'eau. Mais ce n'était guère efficace et, dans l'intérieur de la maison, on entendait des cris, des appels.

— Mon Dieu ! gémit Catherine en se tordant les mains de désespoir. Sara est prise dans les flammes ! Elle va mourir !

Des larmes jaillirent de ses yeux. Elle oubliait à cette minute tout ce qui n'était pas sa vieille amie en danger. Mais comment Sara pourrait-elle sortir de ce brasier ? Sur le fond des flammes, Catherine vit une silhouette échevelée qui se découpait en noir et qui appelait à l'aide.

— Je vais essayer de la tirer de là, fit Arnaud brusquement. Ne bougez pas !

Vivement il débouclait le ceinturon qui supportait son épée, arrachait son pourpoint, sa chemise, ne gardant que ses chausses collantes qui n'offriraient guère de prise au feu. Catherine, les yeux agrandis, le vit courir vers la maison incendiée, écarter la foule puis, après s'être fait inonder d'un seau d'eau renversé sur sa tête, il s'engouffra dans les flots de fumée que vomissait la porte. La foule, interdite tout à coup, avait fait silence et Catherine s'était laissée glisser à genoux près d'un montoir à chevaux, priant de tout son cœur.

Sous le capuchon pointu du toit encore entier, le feu ronflait avec un bruit terrifiant. On entendait crépiter les boiseries, s'effondrer les poutres et les meubles. Un temps qui parut interminable à Catherine s'écoula. Aucun cri ne se faisait plus entendre.

— Il n'a pas dû pouvoir passer, fit une voix auprès d'elle. L'escalier vient de s'effondrer ! Sûrement, il n'y a plus personne de vivant dans cet enfer...

Le toit, maintenant, s'écroulait dans une gerbe d'étincelles. Juste à cet instant, Arnaud jaillit de la maison portant dans ses bras un corps inerte. Une clameur de victoire salua sa sortie. Catherine se releva, courut à lui.

— Vous êtes vivant ! Dieu soit béni !

Il était, en effet, bien vivant et, Sara évanouie dans les bras, riait comme un enfant, heureux d'avoir réussi son sauvetage. Quelques égratignures marquaient sa peau brune et ses cheveux étaient un peu roussis mais, à part cela, il était indemne. Il déposa Sara sur un banc et quelques femmes s'empressèrent autour d'elle. En même temps, on accourait du château.

Catherine reconnut Mme de Gaucourt. Elle arrivait à toutes jambes, ses longues robes relevées à deux mains, une troupe de valets et de servantes galopant sur ses talons. Elle apprit à Catherine que la reine Yolande l'envoyait et désirait que Catherine avec sa servante fussent ramenées et logées au château.

— Vous n'avez vraiment pas de chance, ma chère ! soupira-t-elle en s'épongeant le front. C'est à croire que le destin s'acharne sur vous !

Arnaud qui s'était écarté pour remettre chemise et pourpoint se rapprocha:

— Où devez-vous loger Madame de Brazey ? demanda-t-il à la surintendante de la maison de la reine.

— Dans le cabinet de la tourelle qui jouxte la chambre de Madame Yolande. La reine désire que Madame de Brazey reste sous son contrôle.

Le jeune homme approuva d'un signe de tête mais le pli qui s'était creusé depuis un moment entre ses épais sourcils noirs ne s'effaçait pas. Tandis que Mme de Gaucourt penchée sur Sara, toujours sans connaissance, lui bassinait les tempes avec de l'eau de la reine de Hongrie, il tira Catherine à part :

— Demain, fit-il gravement, vous demanderez à Madame Yolande de vous envoyer auprès de la reine Marie, sa fille, qui ne quitte guère Bourges.

Et vous y resterez !

— Vous voulez encore vous débarrassez de moi ! protesta Catherine tout de suite révoltée.

Ces simples mots eurent le don de mettre Arnaud en rage. Il empoigna Catherine par les épaules et se mit à la secouer comme il semblait en affectionner l'habitude.

— N'essayez pas de me faire croire que vous êtes idiote ! Je veux que vous soyez à l'abri, et ici non seulement vous ne l'êtes pas, mais vous êtes en danger. Savez-vous ce que j'ai trouvé sous l'escalier de votre maison ? Des brindilles de paille qui achevaient de se consumer et trois torches que l'on avait dû jeter dedans. Il y a à Loches des gens qui vous veulent du mal et qui, ignorant que vous étiez sortie, ont tenté de vous faire griller toute vive dans votre maison. Catherine, Catherine, vous avez, n'est-ce pas, renvoyé à sa propriétaire la robe qu'elle vous avait prêtée ?

— Aussitôt !

Alors, ne cherchez pas ! Cette femme ne pardonne jamais la moindre blessure d'amour-propre. Si vous aviez accepté d'être sa créature, elle eût utilisé votre beauté, votre grâce à son profit. Vous la rejetez et, immédiatement, vous devenez une ennemie dangereuse. Vous êtes bien plus belle qu'elle, et déjà le roi vous a remarquée. Que vous preniez de l'empire sur Charles et l'influence de La Trémoille sera contrebalancée. Faites ce que je vous dis : allez vous enterrer momentanément parmi les pieuses femmes dont la reine Marie fait sa compagnie.

— C'est absurde ! protesta Catherine. Et puis, si je suis en danger... vous serez débarrassé de moi plus vite !

Elle s'attendait à une riposte acerbe, ironique, il n'en fut rien. Arnaud se contenta de hocher gravement la tête.

— Ne soyez pas idiote ! Je vais repartir. Ce soir, au conseil, Jehanne a obtenu que l'on ouvrirait la marche sur Reims en attaquant les villes de Meung, de Beaugency et de Jargeau où s'est retranché l'Anglais. Ensuite, si l'on suit son conseil, on s'enfoncera en Champagne pour ouvrir à la pointe de l'épée la route du sacre au roi Charles. Je ne pourrai pas veiller sur vous.

Allez à Bourges.

Butée, elle baissait un front obstiné, boudeur, et ne relevait pas les yeux vers lui.

— Au fond, vous n'êtes pas logique, remarqua-t-elle. 11 y a un instant vous disiez que, si vous en aviez l'occasion, vous m'enverriez sans hésiter à la potence. Laissez-moi donc à mon destin. Pour ce que la vie m'intéresse maintenant...

La petite fêlure de sa voix avait quelque chose de si tragique et de si pitoyable que, malgré lui, le capitaine s'émut. Elle s'était assise sur le montoir à chevaux et, les mains nouées autour de ses genoux, regardait d'un air absent se consumer la maison qu'on lui avait donnée. D'un geste las, elle rejeta en arrière une longue mèche blonde qui lui tombait dans la figure.

Tournant son regard vers Arnaud, elle essaya de sourire mais ne réussit qu'une petite grimace triste.

— Ne vous tourmentez plus pour moi, messire de Montsalvy. Je me rends compte que je vous obsède. Mais cela ne durera plus longtemps.

Elle n'avait pas fini de parler qu'il l'arrachait de son siège, l'enfermait étroitement entre ses bras et, d'une main, lui relevait doucement le menton.

— Je n'ai pas le droit de vous aimer, Catherine, parce que les âmes des miens me maudiraient. Mais j'ai celui de vouloir que vous soyez en paix et en sécurité. Demain reprennent les combats. Je me battrai mieux si je suis tranquille pour vous. Dites-moi que vous irez à Bourges, dites-le-moi. J'ai besoin de le savoir.

Vaincue, elle accepta, d'un battement de ses paupières, priant intérieurement pour que durât toute une vie cet instant merveilleux qui la ramenait dans ses bras. Et, comme elle relevait les yeux vers lui et que les derniers feux de l'incendie faisaient briller ses lèvres humides, le jeune homme ne résista pas à l'envie brûlante qui le dévorait. Longuement, passionnément, il l'embrassa... Puis, la lâchant aussi brusquement qu'il l'avait saisie, il s'enfuit à toutes jambes en direction de la ville basse...