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Le père Donovan essaya de hurler. Sa gorge était trop mal en point pour que le résultat soit réellement concluant, mais on sentait une telle sincérité qu’on en oubliait la technique douteuse. Puis il s’affala face contre terre et je le laissai là un moment à pleurnicher avant de le tirer vers le haut pour le remettre debout. Il ne tenait pas bien sur ses jambes et ne se contrôlait plus. Sa vessie s’était vidée, et un filet de bave recouvrait son menton.

« Je vous en prie, dit-il. C’était plus fort que moi. C’était vraiment plus fort que moi. Je vous en prie, il faut me comprendre…

— Mais je comprends très bien, mon père », répondis-je, et il y eut une nuance dans ma voix – la voix du Passager Noir, à présent –, une inflexion qui le glaça. Il leva lentement la tête pour me regarder, et ce qu’il vit dans mes yeux le pétrifia. « Je comprends parfaitement », répétai-je en m’approchant tout près de son visage. La sueur sur ses joues se changea en pellicule glacée. « Vous voyez, c’est plus fort que moi aussi. »

Nous étions très proches désormais, proches à nous toucher, et toute sa saleté fut soudain plus que je ne pouvais en supporter. Je tirai violemment sur le nœud et le fis à nouveau tomber de tout son long d’un coup dans les jambes. Le père Donovan était vautré par terre.

« Mais des enfants repris-je. Je ne pourrais jamais m’en prendre à des enfants. » Je posai une de mes bottes rigides et propres sur sa nuque et écrasai son visage contre le sol. « Pas comme vous, mon père. Jamais des enfants. Je dois trouver des gens comme vous.

— Qu’êtes-vous ? murmura le père Donovan.

— Le commencement, expliquai-je. Et la fin. Mon père, je suis votre Dé-créateur. »

L’aiguille était prête et elle s’enfonça comme prévu dans son cou – légère résistance des muscles raidis, aucune de la part du prêtre. J’appuyai sur le piston et la seringue se vida, emplissant le père Donovan d’une paix propre et rapide. Quelques secondes, quelques secondes seulement, et sa tête commença à flotter, et son visage roula vers moi.

Me voyait-il vraiment, à présent ? Voyait-il les doubles gants de latex, la combinaison de protection, le masque de soie lisse ? Me voyait-il ? Ou cela se produisait-il dans l’autre pièce, celle du Passager Noir, la Pièce Propre ? Peinte en blanc deux nuits auparavant, balayée, brossée, récurée, plus propre que propre. Et au centre de la pièce, les fenêtres obturées par des bâches blanches en plastique, sous les lampes, me voyait-il finalement, depuis la table que j’avais installée, avec à côté les sacs-poubelle blancs, les bouteilles de produits chimiques et la petite rangée de scies et de couteaux ? Me voyait-il enfin ?

Ou voyait-il ces sept formes malpropres, et Dieu sait combien encore ? Se voyait-il lui-même enfin, incapable de crier, se transformant en cette saleté dans le jardin ?

Il ne le pouvait pas, bien sûr. Il ne pouvait s’imaginer faire partie de la même espèce. Et, d’une certaine façon, il avait raison. Il ne se transformerait jamais en cette saleté qu’étaient devenus les enfants par sa faute. Je ne ferais jamais une telle chose, ne l’accepterais jamais. Je ne suis pas le père Donovan, pas ce style de monstre.

Je suis un monstre très soigneux, moi.

Le travail soigné prend du temps, bien sûr, mais cela paie à la fin. Cela paie de faire le bonheur du Passager Noir, de le réduire au silence pour un temps. Cela paie de faire son travail correctement et proprement. Et un autre tas d’ordures de moins sur terre. Quelques sacs-poubelle soigneusement ficelés de plus, et mon petit coin sur terre s’en trouve plus net, plus tranquille. Bien plus juste.

J’avais environ huit heures devant moi. Elles ne me seraient pas de trop si je voulais faire les choses comme il faut.

J’arrimai le prêtre à la table avec du ruban adhésif extra-fort et découpai ses habits. Je m’acquittai du travail préliminaire : rasai, frottai, coupai tout ce qui ne faisait pas net. Comme toujours je sentis la lente, la délicieuse extase prête à imprimer son rythme à tout mon corps. J’allais la sentir vibrer en moi tandis que je travaillais, croître de plus en plus et m’irradier, jusqu’à la fin, le Besoin et le prêtre emportés tous les deux par une déferlante.

Juste avant que je n’attaque le vrai travail, le père Donovan ouvrit les yeux et me regarda. La peur s’était retirée ; cela arrive parfois. Il me regarda droit dans les yeux et remua les lèvres.

« Comment ? » J’approchai légèrement ma tête. « Je ne vous entends pas. »

Je l’entendis respirer, un souffle long et paisible, puis il le redit avant que ses yeux se ferment.

« C’est tout naturel », répondis-je.

Et je me mis au travail.

CHAPITRE II

À 4 h 30 du matin, j’avais fini de nettoyer le prêtre. Je me sentais beaucoup mieux. Comme toujours, après. Tuer me fait le plus grand bien. Tous les nœuds des sombres schémas mentaux de ce cher Dexter s’en trouvent dénoués. C’est une douce délivrance, le relâchement nécessaire de toutes les petites valves hydrauliques à l’intérieur. Oui, mon travail me plaît ; désolé de vous contrarier. Vraiment tout à fait désolé. Mais c’est ainsi. Et ce n’est pas juste le plaisir de tuer en soi, bien sûr. Non, ce doit être fait dans les règles, au moment où il faut et avec le partenaire qu’il faut. Une procédure très compliquée mais absolument nécessaire.

Et toujours passablement épuisante. J’étais donc fatigué, mais la tension des derniers jours avait disparu, la voix froide du Passager Noir s’était tue, et je pouvais être moi-même à nouveau. Farfelu, drôle, l’insouciant, l’insensible Dexter. Oublié, le Dexter au couteau, Dexter le Justicier. Jusqu’à la prochaine fois.

Je replaçai les corps dans le jardin en compagnie de leur nouveau voisin, puis rangeai la petite maison décrépite du mieux que je pus. Je mis toutes mes affaires dans la voiture du prêtre avant de prendre la direction du sud jusqu’à l’étroit canal où était garé mon bateau, un Boston Whaler de dix-sept pieds au faible tirant d’eau, équipé d’un gros moteur. Je poussai la voiture dans le canal, derrière mon bateau, et montai à bord. Je la regardai s’enfoncer dans l’eau puis disparaître. Je démarrai alors le hors-bord d’un coup de manivelle et guidai prudemment le bateau vers le nord, de l’autre côté de la baie. Le soleil se levait juste et se réverbérait sur toutes les surfaces brillantes. J’affichais un grand sourire béat, simple pêcheur matinal qui rentre chez lui. Qui veut de la dorade ?

À 6 h 30, j’avais regagné mon appartement de Coconut Grove. Je retirai de ma poche la plaquette de verre, une fine lame lisse sur laquelle j’avais soigneusement déposé, au centre, une seule et unique goutte du sang du prêtre. Bien propre, et sèche à présent, prête à être insérée sous mon microscope dès que je voudrais me souvenir. Je la classai parmi les autres : trente-six jolies gouttes de sang parfaitement sèches.

Je me douchai longuement, laissant l’eau très très chaude emporter les dernières tensions et finir de dénouer mes muscles, tout en frottant les ultimes traces de l’odeur tenace du prêtre et du jardin attenant à la petite maison, près du marécage.

Des enfants. J’aurais dû le tuer deux fois.

Ce qui m’a fait tel que je suis m’a rendu creux, vide à l’intérieur, étranger aux émotions. Cela n’a rien d’exceptionnel en soi. Je suis à peu près sûr que la plupart des gens simulent une grande partie des relations humaines au quotidien. Pour moi, il s’agit simplement de tout simuler. Je m’y prends très bien, et les sentiments n’interviennent jamais. Mais j’aime les enfants. Je ne pourrai jamais en avoir, car l’éventualité d’un rapport sexuel est totalement exclue. Rien que l’idée de faire ces choses… Comment peut-on ? Un peu de dignité, voyons ! Mais les enfants… c’est différent. Le père Donovan méritait de mourir. Le code Harry avait été respecté et le Passager Noir comblé.