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« Un cerf sauteur ! Bénie soit la journée. Vous arrivez des étoiles, et Jacques rapporte un cerf sauteur ! »

Elle se précipita à leur rencontre. Ils étaient tous trois vêtus de tuniques de cuir tanné, tombant sur des pantalons de toile grossière. De très haute taille, ils avaient les épaules larges, les membres robustes, le visage dur. À la vue d’Akki, ils saisirent leurs arcs, encochèrent les flèches.

« Ne tirez pas, cria la femme. Ce n’est pas un noble, il vient des étoiles comme nos ancêtres ! »

Méfiants, ils approchèrent, examinant le Novaterrien, l’avion. Jacques passa une main énorme dans sa rude chevelure.

« Je vous crois. Les nobles n’ont pas de machines de ce genre. Et vous ne leur ressemblez pas. Entrez. Paul, dépèce le cerf. Pierre, cours à la cache et rapporte une bouteille d’hydromel. Notre hôte a peut-être faim et soif. »

Ils pénétrèrent dans la maison. Elle était meublée d’une table, de buffets et de bancs grossiers.

« Je les ai faits moi-même. Oh ! Je ne suis pas un bien habile menuisier. J’étais capitaine dans la flotte, il y a de cela dix ans. Depuis, j’ai dû apprendre bien des choses… Femme, allume le feu. Madeline !

— Oui, père ! »

De la soupente descendit une jeune fille d’une quinzaine d’années, aux longs cheveux noirs flottants. Elle n’était pas exactement jolie, jugea Akki, mais son corps bien fait avec une grâce d’animal sauvage. Il regarda, à travers la fenêtre sans vitres, les puissants jeunes hommes qui dépeçaient le cerf, puis la robuste fille.

« Ce sont là vos trois petits enfants ? demanda-t-il à la femme.

— Oui, seigneur. Pardonnez-moi de vous avoir menti. Mais vous ne connaissez pas les nobles. Ils auraient tué mes deux fils. Quant à ma fille… j’aime mieux ne pas y penser ! »

Jacques emplit d’hydromel deux gobelets.

« Je suppose que dans les étoiles, il y a de meilleure boisson. Ici aussi, d’ailleurs, mais nous, pauvres exilés, ne pouvons offrir que ce que nous avons.

— Ce n’est point méprisable ! Me permettez-vous d’inviter mon compagnon ? Je dois vous avertir que ce n’est point un homme. »

La porte de l’avion claqua, et le hiss traversa la clairière, de sa démarche dansante.

« Comme se fait-il ? S’étonna Jacques. Vous ne l’avez point appelé !

— Nous n’avons pas besoin de nous parler, si nous ne sommes pas trop loin. Il se trouve par hasard que je comprends votre langue, et que je la parle, mal d’ailleurs. Mais vous ne vous en êtes pas aperçus, car vous receviez directement mes pensées. Voici mon ami Hassil. »

Le hiss franchit le seuil. Jacques eut un haut-le-cœur, et la femme cria :

« Un brinn !

— Non, un hiss, venu avec moi des étoiles. Ressemble-t-il à vos brinns ?

— Absolument ! J’en ai vu quelques-uns lors de la dernière guerre. Enfin, la dernière guerre à laquelle j’ai participé, avant mon exil. Je suppose qu’il y a dû en avoir d’autres, depuis. »

Hassil s’assit au bout de la table, à côté de la jeune fille qui, instinctivement, recula. Il lui sourit.

« Voyons, monsieur Jacques… ou bien dois-je vous appeler, capitaine ?

— Non, hélas ! C’est fini. Jacques Vernières, tout simplement, proscrit.

— Eh bien, Vernières, comme je vous l’ai dit, nous venons d’une très lointaine planète, bien plus lointaine que vous ne sauriez le penser, qui tourne autour d’une étoile d’une autre nébuleuse spirale. Vous n’avez pas perdu toute notion d’astronomie ?

— Je n’en ai jamais beaucoup su moi-même. Juste ce qu’il fallait pour naviguer en mer.

— Mais vous savez bien que votre race vient d’un autre monde ?

— On le dit. Mais je me suis toujours demandé si ce n’était pas une légende.

— Comment ? En moins de cinq cents ans, tout souvenir précis a disparu ? Vous n’avez donc pas de livres ?

— Il y a des livres dans une salle du château. Mais il est interdit aux simples sujets de les lire. Un jour, en passant, j’en ai feuilleté un, profitant de ce que j’étais seul. Je n’y ai rien compris. Des calculs, trop compliqués pour moi. Je ne pense pas que personne les lise. La duchesse, peut-être ? On dit qu’elle est instruite…

— Quelle est donc votre organisation ? Votre gouvernement ? Je n’en ai aucune idée, et je dois le savoir, pour pouvoir agir.

— Vous venez pour chasser les nobles ?

— Cela dépend. Si ma première impression se confirme, c’est probable. »

Le proscrit parut effrayé.

« Ils sont puissants ! Il y a dans le château des armes terribles, que seuls les nobles connaissent et ont le droit de toucher. Des armes qui tuent à plus de mille pas ! On raconte que les ancêtres en possédaient de semblables, et que celles-ci viennent d’eux. En tout cas, une chose est certaine : on n’en fabrique plus de pareilles.

— Une chose après l’autre. Quelle est la population de votre État ? Son étendue ?

— Eh bien, dans le duché de Bérandie, il y avait au dernier recensement que j’ai connu, il y a de cela dix ans, plus de deux millions d’habitants, dont environ deux cent mille concentrés dans les villes. Notre capitale, Vertmont, en comptait cinquante mille. Le duché s’étend de la mer Verte, à l’est, aux montagnes Rouges, sur plus de cent kilomètres, et, tout au long de la côte, de la rivière Claire, au sud, jusqu’aux marais Salés, au nord, sur plus de cinq cent cinquante kilomètres. Sur les montagnes Rouges, et sur les plateaux situés en arrière, jusqu’à la mer Sauvage, ce sont les Républiques des Vasks, avec qui nous sommes souvent en guerre. Au-delà des marais Salés, et au nord-ouest des montagnes, il y a les « Verdures », les indigènes, qui ressemblent à votre ami, qui se nomment eux-mêmes « brinns », et qui hantent le pays des Trois Lacs et la Forêt Impitoyable. Derrière la rivière Claire, il y a une sylve inexplorée. Enfin, ici, dans la forêt Verte, n’habitent que les proscrits. Le Duc nous y tolère. À côté la forêt Rouge, que le Duc se réserve pour ses chasses. Nous n’avons pas le droit d’y pénétrer.

— Si j’ai bien compris, vous êtes gouvernés par un Duc, et il existe une noblesse.

— Oui. Pour tout vous dire, il y a d’abord la famille ducale, puis les comtes, barons et chevaliers. En dessous, les conseillers, les archers, les médecins et les juges. Plus bas encore, les bourgeois, les artisans et les paysans. Tout à fait en bas, nous avons les proscrits. Ah ! J’oubliais, il y a aussi les marins, au même niveau que les archers.

— Et toutes ces castes sont héréditaires ?

— Oui et non. Les nobles sont à part, bien entendu. Mais un artisan peut devenir bourgeois, et son fils médecin ou juge, voire conseiller. Il peut aussi s’engager dans les archers, ou dans la marine.

— Et vous ignorez comment cette régression vers un État plus ou moins féodal s’est faite ? Vous n’avez pas d’historiens ? De chroniqueurs ?

— Si, bien sûr ! Il y a les chroniques ducales. Mais seuls les nobles peuvent y avoir accès, quand ils s’en soucient ! Oh ! bien entendu, je connais la légende. Nos ancêtres, au nombre de cinq cents, seraient arrivés il y a bien longtemps, sur des machines volantes…

— Et vous n’avez pas de religion ? Pas de prêtres ?

— Mais si ! Tout noble, à partir du titre de chevalier, est prêtre ! »

Akki éclata de rire.

« Eh bien, qui que ce soit qui ait fondé votre duché, il connaissait l’histoire. Élégante manière d’éviter la lutte du sacerdoce et de l’empire, qui s’est déroulée sur tant de mondes ! Et pourquoi donc, vous, capitaine de la flotte, avez-vous été proscrit ?