Выбрать главу

Après le premier contact, établi il y avait huit siècles par les hiss, et qui avait entraîné l’émigration secrète sur Novaterra d’un millier d’hommes, toutes relations avaient été rompues. Côte à côte avec les hiss, les sinzus, et toutes les humanités de la Ligue, les Novaterriens avaient combattu les misliks, ces êtres métalliques qui éteignaient les soleils. Pendant ce temps, la Terre, oubliée, avait progressé. Six cents ans s’étaient écoulés depuis que l’Argo avait atteint le système d’Alpha du Centaure ; puis, ayant découvert à leur tour le chemin de l’hyperespace, les Terriens avaient essaimé, colonisé, pris contact avec d’autres races, sans pour cela s’assagir. De ruineuses et désastreuses guerres interstellaires s’étaient déroulées avec des fortunes diverses. Mais, depuis trois siècles, une grande fédération englobait les colonies terrestres et leurs alliés sous la direction de la Terre. Cinq siècles avaient passé depuis qu’une flotte avait quitté la Terre en direction de la Grande Nuée de Magellan. Rien n’avait jamais été connu sur son sort, et cette flotte était connue des Terriens comme « les astronefs perdues. » C’était probablement de ces équipages que descendaient les hommes de la planète Nérat.

Il y avait un siècle et demi, les Novaterriens avaient lancé un vol d’exploration vers l’Univers infiniment lointain d’où leurs ancêtres étaient venus, et ils avaient pris contact avec la fédération terrienne. Comme la paix régnait enfin en effet, elle avait été admise dans la Ligue des Terres humaines, et ses délégués siégeaient sur Réssan, avec ceux des cent cinquante autres fédérations qui composaient la Ligue. Ses astronefs fusoïdes combattaient les misliks, côte à côte avec les ksills lenticulaires des hiss, les croiseurs ovoïdes des sinzus, les nefs elliptiques des Novaterriens, les sphères des kaïens, les tétraèdres des krenns…

Chaque fédération avait dix députés. L’unique exception était celle des Novaterriens. Ils avaient leurs représentants spéciaux, eux, les habitants d’un unique système solaire perdu dans la galaxie hiss. Ils représentaient en effet un phénomène lui aussi unique, le produit du croisement des hommes et des sinzus, les deux seules races qui se soient trouvées assez proches, biologiquement, pour pouvoir s’unir. Cela n’eut pas suffi cependant à leur donner un privilège spécial. Ils représentaient surtout, avec les sinzus, les premiers humains à sang rouge, insensibles au rayonnement mislik, qui eussent rejoint la Ligue, et dont l’appui avait permis aux hiss d’arrêter, puis de repousser lentement l’invasion mislik. Et lui, Akki, descendait directement du premier vainqueur des misliks, le Terrien Clair, et jouissait personnellement d’un second privilège, la nationalité hiss, qui lui permettait, ainsi qu’à sa famille, de vivre aussi longtemps qu’il lui plaisait sur Ella, la planète des hiss. Et ce privilège était unique, car la Loi était formelle ; il ne peut y avoir qu’une seule humanité par planète, Réssan, siège de la Ligue, exceptée.

L’expansion des diverses races dans les galaxies avait entraîné, au début, des phénomènes coloniaux, sources de guerres, de luttes, d’abominations infinies, de problèmes insolubles. Souvent les colons étaient de bonne foi : ils avaient atteint une planète habitable, l’avaient jugée déserte, s’y étaient installés. Et sur un autre continent, perdus sous les forêts, vivait une humanité primitive. Quand elle était enfin découverte, la tentation était grande, pour ne pas perdre le bénéfice des efforts accomplis, des terres défrichées, des cités construites, la tentation était grande de la détruire, d’en faire disparaître toute trace. Ou bien alors d’arguer sans fin devant le tribunal galactique, de menacer de résister par la force, d’agiter devant les fédérations le spectre hideux des guerres interhumaines. Aussi la Ligue avait-elle créé un corps spécial d’inspecteurs, habilités à prendre sur place toutes les décisions, ne devant de comptes qu’au Grand Conseil, et appuyés par toutes les forces des fédérations membres. Choisis dès l’enfance, les coordinateurs subissaient un entraînement très poussé, tant physique qu’intellectuel et moral. Nul gouvernement, planétaire, interstellaire ou galactique n’aurait osé s’opposer à leurs investigations.

Dans un tourbillon de poussière, les cavaliers s’arrêtèrent à quelques pas d’Akki. Leur chef, homme jeune, de haute taille, posa une flèche sur la corde de son arc, et parla :

« Holà ! Qui êtes-vous, et que venez-vous faire ici ?

— Et vous-même ? répliqua calmement le Novaterrien. Qui êtes-vous ?

— Baron Hugues Boucherand des Monts, capitaine des archers de Son Altesse le duc de Bérandie.

— Akki Kler, coordinateur, en mission, au nom de la Ligue des Terres humaines.

— La Ligue des Terres humaines ? Je ne connais nul État sur Nérat qui porte ce nom !

— La Ligue n’est pas un État. Elle groupe actuellement plus de cinquante mille mondes.

— Cinquante mille mondes ? Vous voulez dire des mondes comme celui sur lequel nous nous trouvons ? Vous viendriez d’au-delà du ciel, alors, comme nos ancêtres ? Et que venez-vous chercher ici, que vous n’ayez déjà dans vos cinquante mille mondes ?

— Ceci ne concerne que vos chefs, capitaine, du moins pour le moment. J’ai donc l’honneur – et Akki fit une révérence ironique – de solliciter une entrevue avec Son Altesse le duc de Bérandie.

— Et vous croyez sans doute que l’on dérange Son Altesse sans plus de formes ? Estimez-vous heureux si elle consent à vous recevoir dans un mois ou deux. Son Altesse étudie actuellement les plans de la prochaine guerre contre les Vasks.

— En ce cas, j’aurai le regret de la déranger. Je suis ici pour arrêter cette guerre. Toutes les guerres, pour dire vrai. Hassil ! »

Le hiss parut à la porte de l’avion. À sa vue, les cavaliers tendirent leurs arcs. Akki leva la main.

« Ne faites pas à mon ami Hassil, coordinateur comme moi-même, l’injure, à votre point de vue, ou l’honneur, au nôtre, de le confondre avec un indigène. Il pourrait vous en cuire. »

D’un geste rapide, il tira un fulgurateur de sa ceinture, fit feu sans paraître viser. À cent mètres, un arbre explosa sous la chaleur, flamba. Un murmure de surprise courut parmi les cavaliers.

« Allons, je vois que vous disiez la vérité. Vous venez des étoiles, sans aucun doute, comme nos ancêtres. Vos armes sont les mêmes. Soit, je vais vous conduire au Duc. Quant à arrêter la guerre… Il faut être deux pour ne pas se battre, et nous ne pouvons pas tolérer que les pirates vasks continuent à piller nos navires. »

Laissant Jacques enfermé dans l’avion, avec ordre de ne sortir sous aucun prétexte, ils partirent pour la ville.

Comme leur cortège passait sous la herse de la porte, Akki remarqua que le poste de garde faisait déposer ses armes à tout entrant. Le sergent jeta un regard étonné sur Hassil, et avança la main vers les fulgurateurs qui pendaient à la ceinture des coordinateurs. D’un même geste, ils posèrent leurs mains sur les crosses.

« En principe, nul ne peut conserver ses armes dans la cité, dit Boucherand, sauf en temps de guerre. Mais je ne pense pas que vous ayez l’intention de vous conformer sur ce point à nos mœurs ?

— Déposez-vous jamais les vôtres ?

— Non, bien entendu. Soit, laissez passer, sergent. »

La ville s’enfermait à l’intérieur de remparts crénelés, dédale de rues tortueuses et étroites, bordées d’assez jolies maisons de pierre et de bois. L’ensemble rappela à Akki les images représentant les cités médiévales de la Terre. Mais, contrairement à celles-ci, les rues étaient d’une propreté méticuleuse, bien pavées, et il existait certainement un système d’égouts. Les passants, vêtus de peaux tannées ou d’étoffes assez fines, aux couleurs vives, s’effaçaient respectueusement devant le capitaine et son cortège. Généralement bruns et forts, ils regardaient Akki avec curiosité, et le hiss avec hostilité. Akki vit peu de femmes, et presque pas d’enfants. Il s’en étonna, posa une question à Boucherand.