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« Puisque vous devez être mon guide, je pense qu’il vaudrait mieux que nous quittions l’un et l’autre nos airs rogues, et que nous nous comportions sinon comme des amis, du moins comme des gens qui ne seront pas forcément des ennemis. Vous êtes un soldat. Mon travail m’a amené, hélas ! à combattre. Mon ami Hassil ne reviendra que ce soir. J’aimerais visiter la ville, le port, parler avec des bourgeois, des artisans, des marins…

— Excellence, je vais être franc. À la place du Duc, je vous aurais fait jeter dans une oubliette. Oh ! Je sais, vous auriez résisté, mais, comme vous l’a dit le Duc, nous n’avons pas seulement des arcs et des flèches. Son Altesse en a jugé autrement. J’accepte donc votre offre de trêve avant le combat, pourrait-on dire. Soyons donc comme de loyaux ennemis qu’un armistice a rapprochés. Mais, avant de vous montrer la ville, je voudrais vous faire voir autre chose. Venez à la tour IV. Et, si vous me permettez une question, vous montez remarquablement à cheval. Avez-vous donc des chevaux sur votre monde ?

— Oui, d’origine terrestre, comme les vôtres. Et je pourrais aussi monter bien des animaux différents. Cela fait partie de notre entraînement. Voulez-vous me prêter votre arc ? »

Il visa un mince baliveau situé à environ soixante mètres. La flèche siffla, se planta en terre devant l’arbre.

« J’avais légèrement surestimé la force de votre arc. Vous me donnez bien encore trois flèches ? »

Les trois flèches s’enfoncèrent, tête contre tête, dans le jeune tronc. Boucherand émit un petit sifflement approbateur.

« Excellence, si vous perdez un jour votre place, il y en aura toujours une pour vous dans les archers de Son Altesse le Duc !

— Comprenez-moi, capitaine. Nous avons affaire à des mondes à des degrés variés d’évolution. Il peut être parfois plus utile à un coordinateur de savoir tirer à l’arc que de connaître les toutes dernières théories sur la matière. »

La tour IV s’élevait plus haut que les autres, et servait de quartier général aux archers. Ils montèrent, par un étroit escalier en colimaçon, jusqu’au dernier étage. Une vaste salle ronde en occupait toute la superficie. Aux murs s’étalaient des cartes. Trois jeunes officiers travaillaient à des tables basses. Ils se levèrent et saluèrent.

« Daron, Sellier, Watson, voulez-vous nous laisser seuls quelques instants ? »

Une fenêtre large et basse donnait sur la mer. Un long bateau à voiles approchait, louvoyant contre le vent de terre. Boucherand resta quelques instants silencieux, puis, montrant une des cartes :

« Voici le duché de Bérandie. Il est environ cinq fois plus long que large, et occupe la côte est d’une immense presqu’île qui termine vers le sud le continent boréal. Nous sommes resserrés entre les montagnes Rouges et la mer. Adossées à notre frontière, et s’étendant à l’ouest jusqu’à la mer Sauvage, se trouvent les sept Républiques vasks, et, au nord-ouest, les brinns. Cette étroite bande de terre représente tout ce que nous avons pu conquérir. C’est peu, mais c’est beaucoup, si l’on songe que nos ancêtres n’étaient que deux mille.

« Notre capitale, Vertmont, est située tout au sud ; les autres grandes villes, Roan et Haver, presque tout à fait au nord. Entre ces deux zones civilisées se situent des forêts. Cette distribution incommode résulte de l’état de choses à nos débuts. Les moyens de communication terrestres sont presque nuls : peu de routes, et rien que des chevaux, aussi notre commerce se fait-il par mer, et nous ne pouvons tolérer les pirateries des Vasks.

« Sur cette autre carte, vous pouvez voir la surface de Nérat, telle que nous la connaissons par les documents que nous ont légués nos ancêtres, qui, avant d’atterrir, avaient pu faire plusieurs fois le tour de la planète. Le continent boréal, dont le sommet se trouve à peu près au Pôle, lance vers le sud la grande presqu’île sur laquelle nous nous trouvons. À l’Équateur, et faisant le tour quasi complet de la planète, se place le continent équatorial, avec sa terrible sylve que nous n’avons jamais pu traverser. Dans l’hémisphère austral semble exister un autre grand continent, mais nul homme, à ma connaissance, n’y a jamais mis les pieds. J’ai d’abord pensé que vous en veniez, et je ne suis pas encore absolument sûr de m’être alors trompé.

« Comme je viens de vous le dire, la plus grande partie de notre commerce se fait par mer, et les Vasks en profitent. Ils ont occupé l’archipel des Pirates, là, au large de Vertmont, et nous n’avons jamais pu les en déloger. Il faut convenir qu’ils sont meilleurs marins que nous.

« Pour achever de vous faire comprendre notre situation, je dois maintenant faire un peu d’histoire. Nos ancêtres partirent de la Terre, un monde prodigieusement lointain, que vous connaissez peut-être…

— Non, mais la Terre appartient à notre Ligue, et une partie de mes ancêtres en provient également.

— Quoi qu’il en soit, ils quittèrent la Terre dans cinq navires astraux, qui fonctionnaient d’une manière que nous ne pouvons plus imaginer…

— Les astronefs perdus !

— Ah ! C’est ainsi qu’on les a nommé ? Perdus ils furent, en effet. Il y avait deux cent cinquante hommes et deux cent cinquante femmes par astronef. Nous ne savons pas exactement ce qui s’est passé, les documents ayant été détruits plus tard. Il semble que la flotte rencontra, pénétrant dans ce système pour le reconnaître, un essaim d’astéroïdes, et fut endommagée. Elle atterrit « en catastrophe » ; un des astronefs s’écrasa dans les marais Salés et explosa. Elle contenait nos savants et l’équipement technique ! Les quatre autres se posèrent où ils purent, le long de la côte, et nos ancêtres se trouvèrent former quatre groupes isolés les uns des autres, les appareils volants étant endommagés lors de la prise de contact avec le sol, qui fut rude ! C’est ainsi que naquirent les cités de Vertmont, Roan, Haver et Saint-Paul. Chaque cité se donna un gouvernement propre, et l’on assista à une des plus stupides choses de l’histoire humaine : quatre groupes de cinq cents personnes, dénuées d’équipement technique et perdues sur une planète vierge, se faisant la guerre ! Oui, nous nous sommes fait la guerre, pour du matériel, pour des conserves, pour des animaux, pour ce qu’on a pu sauver de l’astronef amiral ! Cela n’a pas duré longtemps, mais assez pour réduire, dans les trois villages nordiques, la population à un tiers, et la nôtre à la moitié ! Puis nous entrâmes en contact avec les brinns. De petites tribus vivaient sur ce qui est maintenant le territoire du duché. Nous avions besoin de main-d’œuvre, désespérément, et nous les réduisîmes en esclavage. C’était cela, ou périr ! Il y eut aussi la grande peste, qui frappa surtout les enfants, puis la menace d’une famine, quand les provisions furent épuisées et qu’il fallut tirer notre nourriture du sol. On improvisa, sans techniciens, ou à peu près. Pendant longtemps tout le métal provint du démolissage des astronefs : nous ne savions pas l’extraire du minerai. Et à chaque génération s’amenuisait le savoir que nous tenions des ancêtres. Nous sommes presque revenus au niveau des brinns !

« Alors vint Guillaume 1er, notre premier Duc. Il descendait d’un commandant d’astronef, celui qui s’était écrasé à Vertmont. Moitié par la force, moitié par la diplomatie, il unifia les groupes tribus brinns du nord-ouest, et, comme il se nommait Bérande, fonda le duché de Bérandie. Dans les restes de la bibliothèque du bord il trouva l’œuvre d’un écrivain de la Terre, appelé Scor ou Scot, qui décrivait l’organisation sociale qui existait sur cette planète dans des conditions analogues à celles où nous vivons. Il ennoblit ses premiers compagnons d’armes, et depuis nous formons l’ossature de la nation.