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Soupir profond et long de la dame aux jambes sédentaires. Elle est entrée dans la catégorie des « encombrants », de ceux dont la famille attend le décanillage définitif.

Une recommandation expresse de l'ami Sana : ne jamais s'attarder en ce bas monde. Quand tu deviens gênant pour ton entourage, retire-toi dans un mouroir ou enjambe le parapet du pont Mirabeau sous lequel coulent la Seine et nos amours, tout le monde t'en saura gré.

Je souris tendre à Mémé. Voudrais lui offrir un bouquet de violettes, ou un petit cadeau à trois balles, histoire de lui faire savoir qu'elle n'est pas seule en plein.

C'est l'instant choisi par un des cars pour descendre sur Arrecife.

Dans un élan, je prends place à son bord.

* * *

A ce stade de mon récit, ô lecteur frappé de constipation chronique et de gonflement gazeux dans le tissu cellulaire, il serait louable que je te révèle l'objet de mon séjour à Lanzarote.

Ce n'est pas pour pratiquer un tourisme de masse que j'y suis mais pour tenter de combattre l'un des fléaux de la planète. Que ce ton théâtral ne te paraisse point excessif, surtout.

Tu vas croire que je romance, que je fantômasse. Et pourtant, ce que je déclare ici est la sous-expression de la vérité. La certitude qu'un esprit démoniaque étendait sa toile d'araignée sur l'Europe s'est affirmée au cours d'un sommet des polices britannique, allemande, française et italienne. Trop de meurtres importants non élucidés dans ces pays. Trop d'affaires ténébreuses dans lesquelles intervenaient des banques et des holdings cotés en Bourse. Trop de « suicides » de P.-D.G. ont éveillé la suspicion des autorités.

Nous nous sommes donc réunis (les quatre partenaires) pendant une semaine dans un hôtel discret du Connemara pour une mise au point approfondie ; chaque participant était arrivé avec ses dossiers. Au bout d'une longue étude et une méticuleuse confrontation de ces documents, le doute n'était plus possible. Sans une réaction de vaste envergure, le chancre submergerait un jour notre société européenne, comme la Maffia certaines régions italiennes. Rien de plus inquiétant, de plus lancinant, que ces forces malignes qui croissent dans l'ombre en créant lentement un contre-pouvoir.

Notre « bande des quatre » disposait d'un bureau à Londres chargé de coordonner toutes les informations relatives à ce que, d'un commun accord, nous avions appelé « Le Consortium », et d'une équipe de flics spécialisés dans les missions délicates.

Maintenant que je t'ai exposé l'affaire, cher confident aux glandes défaillantes, tu vas me demander pourquoi Lanzarote ?

Changeons de page, je te vas narrer la chose.

3

Décidé à ne pas faire appel à mes effectifs habituels, jusqu'à nouvel ordre du moins, j'avais constitué un commando pour entreprendre cette croisade.

Maigre troupe de départ, mais je savais que, le moment venu, je n'aurais qu'un geste à faire pour qu'elle atteigne les proportions de celle du Cid.

Je m'étais délesté d'une grosse part du quotidien sur Jérémie Blanc, dont les qualités de chef ne sont plus à prouver. Pour un ancien balayeur des rues[1], il offre une gamme étendue de performances : malin, psychologue, courageux, déterminé.

Après l'avoir mis au courant de ce qui se perpétrait en secret, il m'a promis son entier dévouement en me confiant qu'il brûlait de se lancer lui aussi à l'assaut de cette nouvelle plaie d'Egypte.

« — Patiente, lui ai-je dit. Attends que les vieux briscards des R.G. mis en piste commencent à déblayer le terrain. Plus tard, tu participeras à la kermesse. »

Il a branlé le chef (sans toucher à ma braguette).

Parmi les durs rameutés pour me prêter main-forte, se signalait Franck Blando, un gus rayé des services à la suite de combines torves. Ce mec avait eu sa vie sentimentale saccagée par le jeu, bien avant de se faire virer de la Poule pour la même raison. Dans la Rousse, on l'avait surnommé « l'As de Pique » car c'était sa brème fétiche. Elle avait fini par lui porter la scoume puisqu'il se trouvait au tapis avec une ragouze en forme de clopinette cintrée.

Illico, son nom m'était venu à l'esprit. Blando possédait du chou, du culot et un minimum de scrupules, qualités indispensables pour réussir dans la partie « immergée » de nos activités.

Lorsque je l'ai contacté, il jouait à la passe anglaise dans l'arrière-salle du Rintintin, où une douzaine de cancrelats de son espèce flambaient leurs ultimes piastres. En m'apercevant, il s'est humidifié, réalisant d'emblée que si je venais à la relance, c'était pour du labeur marginal. A le voir avec ses potes dans cette ambiance cafardeuse, les pupilles dilatées par la concentration, j'ai ressenti une poussée d'altruisme. Je savais que ma propose allait lui insuffler une énergie nouvelle, au gars Franck.

De le trouver, brèmes en main, pareil à un hareng d'aquarium dont on n'a pas changé l'eau, m'a flanqué un coup de buis sur le cassis. Y a rien de plus con que les cartes !

Comme c'était l'heure de la jaffe, je l'ai emmené bouffer au restau de mon pote Louis Prin, boulevard Haussmann qui, question vins de comptoir, ne craint personne. Je me rappelais qu'il raffolait du muscadet sur lie, l'artiste. On s'en est sifflé deux boutanches en savourant des cochonnailles. Tout en mastéguant, j'ai exposé le topo.

T'aurais vu l'aurore boréale qui lui a illuminé la tronche ! Transfiguré il paraissait, l'ami Blando. Ruy Blas auquel on ordonne de calcer la reine d'Espagne ! Soudain, il n'en avait plus rien à cirer de ses flushes et de ses brelans. Le positif, chez lui, c'est qu'il pige les choses d'instinct. Je lui proposai une mensualité de vingt-cinq raides, plus le remboursement de ses frais. Son calbute douteux a dû être à la peine davantage qu'à l'honneur, espère !

« — Seulement, y a un petit détail à régler, ajoutai-je : tu vas me donner ta parole que pendant cette campagne, tu ne toucheras plus aux cartons, Francky. J'ai besoin d'un mec totalement disponible. Si je te prends à manier les biseautées, je t'envoie chez Plumeau ! »

Il a juré.

* * *

Il s'est passé quelques semaines, au cours desquelles j'ai charpenté mon commando de l'ombre. Deux autres recrues d'un style différent : Magnol et Handermic. Le premier avait baroudé sur les cinq continents avant de marner pour les Renseignements généraux. Un casse-cou à qui il suffisait de crier « Chiche ! » pour le faire sauter d'un douzième étage avec un pébroque en guise de parachute. Quant à Handermic, c'était un furtif, un peu teigneux, qui haïssait la terre entière et évitait de se regarder dans une glace pour ne pas avoir à s'insulter. Mais à côté de cette particularité, un flic de première : madré comme un maquignon dauphinois et d'une témérité de roquet prenant à partie un doberman.

Mon équipe réduite et moi nous réunissions tous les deux jours pour faire le point ; mais à vrai dire l'enquête piétinait. Sitôt que nous pensions lever une piste, elle tournait court. Quoi de plus éprouvant que de rechercher un ennemi dont on ne sait rien, sinon qu'il existe ?

Il en allait de même pour mes homologues étrangers.

Et puis, une nuit, alors que je dormais profondément (m'man m'avait préparé un bœuf en daube hallucinant), mon biniou a carillonné. C'était Franck Blando.

« — Boss, m'a-t-il dit, je crois tenir quelque chose. »

« — Raconte vite ! »

« — Je ne peux pas. Vous pouvez passer chez moi demain, en début d'après-midi ? »

« — Naturellement. Mais pourquoi pas tout de suite ? »

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1

Dont l'appellation officielle est « technicien de surface ».