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« Par ailleurs, poursuit Doc Jéjé, emporté par son emphase explicative, si on considère l'ensemble du lotissement, on comprend qu'il est situé à un endroit particulièrement discret puisqu'il se trouve bordé d'une rivière, d'un bois et de la route. Donc : pas de voisinage immédiat. »

Il va chercher une boutanche de bière dans le petit réfrigéranium, la décapsule avec ses dents pour clavier Pleyel et la vide comme un qui la renverserait au-dessus de l'évier, réprime le rot consécutif et revient à sa démonstration.

— Maintenant, je vais attirer ton attention sur des trucs-machins pas ordinaires. Tu le remarqueras sur cette photo, entre les six constructions s'inscrit une pelouse agrémentée de massifs de fleurs.

— Exact.

— Reprends la loupe et examine chacun d'eux. Tu ne vois rien ?

Je frotte mes châsses encaustiquées de roupille.

— On dirait des tuyaux coudés ? finis-je par déclamer.

— Dalila[25], confirme l'Ebèné.

— Bouches d'aération ? proposé-je.

— Vraisemblablement, mon général.

— Ce qui impliquerait une vie souterraine ?

— Sans aucun doute.

Je me perds (de burnes) dans l'inspection de ces manches à air ingénieusement camouflées.

— Alors ? me demande l'investigateur.

— Tu as mis le doigt sur un élément capital, admets-je. On étudiera ça demain, à la lumière de l'astre du jour !

Et je retourne me pieuter entre mes draps encore tièdes.

* * *

Sur un coup de bignoche, dame Fridoline se la ramène, pimpante dans un tailleur de daim vert et de bruyère en fleur.

Elle sent bon : parfum à base de tabac blond, si je me fie à mon tarbouif exercé. Elle est nette, sans arrière-pensées des recoins. N'a pas l'attitude d'une dame m'ayant ébroué le Petit Chose la veille. Elle fait P.-D.G. d'une société chocolatière ou dirluche d'une maison de cure, style Cambuzat.

Je lui ai laissé le fauteuil de ma chambre, me suis assis en tailleur, face à elle. Vue imprenable sur son angora qui, si elle ne porte pas de culotte, porte, lui, la raie au milieu.

Pendant que je contemple, Vendredi montre et commente les clichés. Notre collaboratrice n'en revient pas. Un bigntz de cette magnitude, en pleine Suisse, lui déboulonne les méninges.

— Vous croyez ? Vous êtes sûr ? qu'elle psalmodie, inconvaincue.

Patiemment, mon Diamant Noir se lance dans ses explications. N'en fin de compte (en banque, puisque nous sommes en pleine Confédération), elle admet. Comprend que notre mission n'est pas une œuvrette de patronage pour petites filles à tresses blondes.

La démonstration achevée, elle se tourne vers moi.

— Cachottière ! lui fais-je avec un sourire de loup-cervier.

— Pourquoi me dites-vous cela ?

— Parce que vous êtes en réalité très brune.

Tu crois qu'elle rougirait ou fermerait son arche d'alliance ? Elle la béante, au contraire.

Ça ne l'empêche pas de s'informer, d'un ton aussi rigide que mon braque :

— Vous pensez modifier vos projets ?

Sourire angélique de Fra San-Antonio.

— Loin de là, ma belle âme : nous allons les activer !

19

Nous arrêtons un plan dont le moins qu'on puisse assurer est qu'il est « d'action ».

S'ensuit un long conciliabule avec Mathias. Il prend note de mes désirs et m'annonce qu'il sautera dans le premier T.G.V. pour Lausanne où il louera un véhicule afin de gagner Berne. Il préfère, pour passer la frontière, voyager en dur, les douaniers du rail montrant un certain laxisme vis-à-vis des bagages.

Ce point réglé, la demoiselle Schwartz va se rendre à Zobflask et entrera en contact avec l'agence immobilière du coin pour s'enquérir des ventes et locations possibles, car il faut s'avancer à pas comptés. Elle « arrêtera » une maisonnette, ou un appartement dans la région. Ceci étant réglé, elle ouvrira un compte à la Grossmonisch Bank, expliquant qu'elle quitte son domicile bernois pour venir habiter cette riante vallée.

Le surlendemain, Fridoline y retournera pour déposer de l'artiche et prendre le chéquier qu'on lui aura préparé. A ce moment-là, s'opérera la partie délicate de sa mission.

Discret, le Dark s'éclipse. Je pose sur ma visiteuse un regard moelleux comme de la Chantilly fraîche. Elle le subit avec calmitude.

— J'aimerais savoir ce qu'est l'amour, pour vous, belle amie.

— Est-ce bien le moment ?

— Pour en parler, il n'existe pas d'instants moins appropriés que d'autres. A ne rien vous cacher, lors de notre premier contact, j'ai cru que vous pratiquiez les femmes. Mais notre exquise séparation a jeté le doute en mon cœur.

Elle rit :

— Vous avez un langage du dix-huitième siècle ! En vérité, ma sensualité me rend avide de toutes les formes de plaisirs, qu'elles soient saphiques ou orthodoxes.

— Vous vivez avec… quelqu'un ?

— Question bien française ! Oui, mon cher. Je vis même avec deux personnes : un couple d'amis rencontrés lors d'une mission en Roumanie. Je les ai aidés à s'installer dans mon pays, depuis, ils partagent mon corps et mon appartement.

— C'est une forme de liberté comme une autre, conviens-je.

Sur ces sages paroles, elle s'en va.

Une trente-sizaine d'heures s'écoulent.

Nous les occupons à découvrir des restaurants prônés par le rigoriste Michelin, et, au cours de la nuit, risquons un nouveau passage devant la Grossmonisch Bank.

Elle baigne dans l'obscurité, si l'on excepte les faibles loupiotes des alarmes classiques, tandis que l'urbanisation est éclairée par des lampadaires en forme de réverbères anciens. On distingue de vagues lueurs derrière les volets clos. Rien qui puisse inquiéter la paisible population de ce canton.

— J'ai des doutes, avoue Othello : tout est si calme, si serein…

— Tu espérais quoi, un exercice de tir à la mitraillette ?

Qu'à peine je viens de causer ces mots, une grosse tire s'annonce, ralentit ; puis stoppe non loin de la banque. Nous poursuivons inexorablement notre route ; mais, au premier virage, mon camarade s'écrie :

— Attends, Grand ! Je vais aller mater discrètement. Ne te fais pas de mouron, ma frime se fond parfaitement dans la nuit.

Avant la fin de la phrase et de l'arrêt de notre véhicule, il a déjà débondé et disparu de mon rétroviseur.

Me voici seulâbre sur le bas-côté. La caisse émet des petits craquements en se refroidissant. Je baisse ma vitre pour percevoir l'odeur de la terre.

Pourquoi je ressens-t-il de la haine pour ces maudits du Consortium ? Des cancrelats, tous ! Il faudrait en faire un tas et y bouter le feu purificateur.

Je savoure ce temps mort, arraché à l'improviste. Il réactive je ne sais quoi en moi ; peut-être mon cerveau altéré par l'amnésie ?

Mister Négus ouvre la portière droite sans que je l'aie vu, ni entendu revenir. Puis monte à bord dans la lumière maussade du plaftardier.

— Quelque chose d'intéressant, Capitaine Némo ?

— Je l'ignore. Une femme pilotait la Range Rover immatriculée en Deutschland. Dans le noir, je n'ai pu la défrimer. Elle portait un manteau de cuir sombre, et un foulard sur la tête. Deux bergers allemands, gros comme des ânes, l'accompagnaient, qui se sont mis à aboyer. Elle a actionné un contacteur. La lourde s'est ouverte et la voiture a disparu dans le lotissement.

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25

Ce qui, traduit de notre langue privé, veut dire « C'en sont » (Samson).