— Tu vois, c’ qui lui faudrait, c’est Berthe. Ma Mégère, n’importe qui, je lui défie de pas goder avec elle, devant son expertise.
Et, aux autres :
— V’ voyez, les guêpes, même vous autres, Berthy vous entreprendrait, vous passeriez à la casserole, à condition bien sûr qu’elle voudrait s’en donner la peine. Elle a un don…
Il continue de vanter sa poupée d’amour. Il la raconte, en pleine technicité érotique : les royales pipes, les gratouillis d’acupuncteur, l’épaisseur de ses lèvres qui forment cataplasme en certains points sensibles de l’organisme. Et des choses encore, étonnantes. Les multicoïts réalisés par son brancard : mammaires, anaux, bucaux, ridaux[8]. Un enchantement. Une perfection… L’immense, l’incommensurable pied. La félicitate absolue.
On dodeline… Ludo pionce. Eléonore plonge aussi du menton.
Et alors, brusquement, me vient une sensation bizarre de danger imminent. Oui, là, pendant que mon valeureux collaborateur débloque, mon sixième sens m’avertit qu’il va se passer quelque chose de grave. Et que c’est pour tout de suite, et peut-être avant ! À croire que la chose a déjà démarré, que mon sub la réalise avant mes sens. Qu’est-ce qui me prend ? Hein, dis ?
V’là que je bondis sur mes pieds, hagard (je suis l’hagard de Lyon). Paré pour n’importe quoi de surprenant… Je veux comprendre. Comprendre tout, et dans l’instant. Cette panique. Quoi ? Un bruit ? Non, AU CONTRAIRE ! La cessation d’un bruit. Pendant que nous séjournions dans la carrée du blessé, j’entendais, sans y prendre garde, le tic-tac d’un réveil. Et ce tic-tac vient de cesser. Je bondis vers le lit de Bordeaux. Sur sa table de chevet, l’est une pendulette de voyage, gainée de croco. Elle a un minuscule balancier apparent qui fait le charme de cet objet. Or, le balancier continue de battre. Donc la pendulette marche. Et re-donc, le tic-tac de naguère provenait d’ailleurs.
Je ne fais ni hune, ni hideux, je bondis sur le comédien endormi et l’arrache de son lit, à bras-le-corps. Sa tête endolorie choque la mienne. On dirait qu’on va faire la danse des ours. Je me jette sur le tapis, parmi mes compagnons qui ne pigent rien à mon action, qui veulent m’en demander la raison, qui n’en ont pas le temps, qui se retrouvent pêle-mêle dans des plâtras…
Car la chose grave vient de se produire.
Un boum très impressionnant. À la tête du plumard espagnol (ou p’t’ être portugais ?). Un lit de ce prix-là, dites, si c’est pas malheureux ! Déchiqueté. Et le mur derrière, tout noirci, tout démantelé, comme si on venait de l’entreprendre au marteau piqueur. Et le matelas, à la tête du lit, qui s’enflamme, de même que l’oreiller. Ça se met à puer la bergerie en feu (le matelas est en laine) et la basse-cour incendiée (l’oreiller est en plume). On déplore la fin tragique d’un merveilleux Christ du XVIe siècle (avant J.-C.). Celle d’un flambeau en bois tourné (et qui vient de mal tourner). Les dames hurlent de trouillance. Béru qui ne perd ni son self-contrôle ni une occasion de se rendre utile, va puiser de l’eau à la salle de bains, dans la poubelle à pédale (ici, tu penses qu’ils n’allaient pas en acheter une autre), et vient noyer le début d’incendie. Une fumée qui va, noircissant, indique que ses efforts sont couronnés de succès.
— Pas de bobo ? demandé-je à la cantonade.
Laquelle me répond que non, d’un ton flageoleur.
Christian achève de s’éveiller. Il voudrait piger. On lui explique que quelqu’un a essayé de réaliser son rêve.
HISTOIRE VRAIMENT TRÈS SURPRENANTE D’UN 2 JUIN
— J’ai peur.
C’est vrai qu’il est verdâtre, le Christian. Pomme verte. Épinard, même, dans les coins.
Il tremble de partout : du tronc, des branches, des racines, des feuilles. La frousse passe sur cet être indécis comme une tornade sur un saule pleureur.
Du reste, il pleure. Il s’égoutte à goutte. Clinc, clinc…
Pauvre bonhomme. Son 2 juin, tu parles d’une fête !
— Vous m’avez sauvé la vie, il ajoute.
Et alors il m’attrape par le cou et m’accolade fraternellement.
— Je ne l’oublierai jamais. Vous voyez, mon rêve…
— Peut-être en avez-vous trop parlé, mon vieux.
— C’est-à-dire ?
— En annonçant que vous pressentiez votre mort pour ce 2 juin, vous avez donné à vos ennemis l’idée de vous l’infliger ce jour-là. Les assassins, comme la plupart des hommes, n’ont pas beaucoup d’imagination.
— Mais je… je n’ai pas d’ennemis, bredouille Bordeaux d’un ton qui ferait annuler son Premier Prix de conservatoire, classe Tragédie.
— Si j’en crois les événements…
Il baisse la tête.
— Donc, je ne suis pas en sécurité chez moi ?
— Pas tellement, en effet.
— Alors, que faire ? Aller à l’hôtel ?
— Croyez-vous ?
— Ma maison est peut-être entièrement piégée ?
— Ça m’étonnerait. Logiquement, le coup du plumard aurait suffi.
— Qui a pu placer cette bombe ?
— Quelqu’un sachant que vous dormiriez chez vous cette nuit, bourré de somnifères.
— Quelqu’un de mon entourage ?
— Ma foi… À l’exception bien sûr d’Eléonore, puisqu’elle aurait dû y rester aussi, et vraisemblablement de Ludo qui somnolait paisiblement dans votre propre chambre au moment de l’explosion.
— Alors, Bébert ?
Je lui réponds par un geste mou. Ensuite je lui conseille de se réfugier dans la chambre de son épouse, en compagnie de Bérurier, pour y attendre le jour.
— Et vous ? demande Cricri.
— Moi j’ai à faire.
— Vous n’allez pas me laisser !
— Non, rassurez-vous, je ne quitte pas la maison.
Patache revient avec les médicaments. Il sent le frais de la nuit.
— Voilà, annonce-t-il, brandissant un sac de papier frappé d’une croix verte.
— Dis donc, Bébert, ça ne t’ennuie pas de dormir avec Cricri ? je lui brûle-pourpointe.
Il écarquille ses gobilles.
— Moi ?
— Par mesure de sécurité, car il me paraît très agité et je crains que la présence d’Eléonore ne l’énerve au lieu de le calmer.
— Comme vous voudrez…
Je ris.
— Non, c’était… une blague, je voulais seulement voir comment tu réagirais. Il s’est produit un petit turbin…
— Quoi donc ?
— Tes potes t’expliqueront.
Je le quitte pour aller rejoindre la blonde soubrette au second étage…
Avec ce branle-chose, elle ne dort pas, c’est évident.
Mon arrivée paraît lui complaire. La soulager même, si j’ose cette vantardise à une heure pareille.
Dans son… (comment qu’on dit, déjà, pour faire instruit ?)… arachnéenne (c’est ça : arachnéenne) chemise de nuit, bien que démaquillée et apeurée, elle présente bien, cette minouchette.
— On peut bavarder un instant, petite Louisette ? (j’ai entendu son prénom).
Elle acquiesce.
Je cherche une chaise ; la seule qui se trouve dans sa chambre supporte : une robe, un collant, un slip et un soutien-nanar. N’osant porter une main sacrilège sur ces vestures, je dépose mon dargiflard sur le lit, au niveau de ses genoux repliés qui produisent sous le drap l’effet que j’y produirais moi avec mon touille-fillettes.
— Il y a longtemps que vous travaillez chez Bordeaux ?
— Quatre ans.
— Donc vous avez pu vous faire une idée du personnage ?
— Je pense, oui.