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J’en doutais… Je le voyais fort bien, barricadé dans leur petit meublé en attendant des nouvelles de Mina.

Il devait peu sortir, peut-être était-ce cela qui empêchait Blanchin d’agir ?…

Par acquit — j’allais écrire de conscience ! j’ai envoyé une carte postale de Ronchieu à mon prédécesseur. Une simple carte, sans texte, qui comportait seulement l’adresse du pauvre type.

Je tenais à lui tisonner un peu la mémoire. S’il comptait s’en tirer avec la force de l’inertie, il se trompait.

Trois jours étaient passés… C’était le calme plat. Et puis, un matin, comme nous prenions le petit déjeuner, un télégramme est arrivé au nom de Mina, apporté par le cafetier du village.

Il m’a tendu le papier bleu d’un air navré et s’est dépêché de filer…

— Qu’est-ce que c’est ? a fait Mina…

Elle avait deviné que c’était pour elle. Elle n’arrivait pas à dominer son trouble.

— Oui, ai-je fait, c’est pour toi… Des nouvelles du petit c… sans doute !

Elle m’a arraché le pli des mains. D’un coup d’ongle elle l’a éventré. Mon cœur cognait fort… Quelle nouvelle apportait ce petit rectangle couleur d’azur ?

Mina a lu. Elle était calme… Mais il m’a semblé qu’on ôtait l’armature de son visage. Il s’est produit comme un affaissement de sa figure. Elle a déposé le papier sur la table. J’ai lu :

« DOMINIQUE GRISARD DÉCÉDÉ. CONDOLÉANCES. Marie Bertrand. »

Je suis resté de marbre, moi aussi.

— Qui est Marie Bertrand ?

— Notre concierge, je suppose…

Elle avait la même voix.

— Qu’est-ce qui a bien pu lui arriver ? ai-je murmuré…

Elle a pris le télégramme, l’a relu encore, puis s’est mise à le tortiller autour d’un doigt.

— Paul…

— Mina ?

— Il faut que je te dise…

— Dis…

— S’il s’est suicidé, je te tuerai !

J’ai attiré avec le pied la table roulante supportant les liqueurs pour saisir une bouteille de scotch. J’en ai versé une rasade dans un verre et le lui ai tendu. Elle m’a repoussé le bras, sans violence.

— Je n’aime pas l’alcool, tu sais bien ?

Son calme avait quelque chose d’effrayant… J’ai bu le whisky.

— Tu es une femme forte, Mina…

— Très forte, oui, Paul… Tu veux bien sortir la voiture ?

— Pourquoi faire ?

— Pour aller voir son cadavre, Paul. Je veux m’assurer qu’il ne s’agit pas d’une farce…

Je lui ai pris le bras.

— Penses-tu vraiment que ça en soit une, Mina ?

— Non… Non, mais je veux savoir comment ça s’est passé !

Il n’y avait pas à la dissuader. Je l’ai bien compris.

— Bon, préparons-nous, mais je te préviens que c’est risqué…

— Pourquoi ?

— Parce qu’on va prévenir son père, vraisemblablement… S’il vient et qu’on te présente comme étant Anne-Marie Grisard, il…

Elle a hurlé :

— Tu ne comprends donc pas que je m’en fous ? Que tout m’est égal maintenant ?

*

Tout de même, j’ai réussi à la dissuader de voir la concierge. Elle avait « sa peau de vingt ans » et ça aurait immédiatement déclenché un scandale. Elle m’a donc attendu dans la voiture, à deux rues de là…

La concierge a cru bon de fondre en larmes en me voyant.

— Ah ! mon pauvre monsieur… C’est affreux ! Heureusement qu’on m’avait laissé votre adresse…

— Qu’est-il arrivé ?

— Il a passé sous une auto… Tenez, c’est dans le journal de ce matin… C’est arrivé hier soir, juste dans la rue… Il allait traverser… La voiture a cassé sa direction et… Ah ! surtout n’allez pas voir ça, c’est abominable !

— Où est-il ?

— Ben, à la morgue…

Je l’ai remerciée.

— Je peux faire quelque chose pour cette pauvre Mme Grisard ?

— Non, rien hélas…

J’ai rejoint Mina… Elle avait déchiqueté le drap de la banquette avec les ongles… Son visage était livide et ses beaux yeux bleus ressemblaient à ceux d’un lièvre mort.

— Tu te trompais, lui ai-je dit… Il a été écrasé sur le trottoir par une automobile dont la direction s’est rompue… Tiens, voilà l’article relatant l’accident !

Elle a saisi la coupure du journal, mais elle ne pouvait en prendre connaissance tellement ses mains tremblaient.

— Lis !

J’ai lu. Décidément, le gros Blanchin avait des dispositions. Tout s’était déroulé ainsi que je le lui avais suggéré… L’accident était tellement prouvé et sa responsabilité morale à ce point dégagée qu’il n’avait pas même été arrêté…

— Voilà…

— Bon, allons à la morgue…

— Tu veux…

— Évidemment !

— La concierge m’a dit que…

— Je me fous de ce que t’a dit cette imbécile, Paul ! conduis-moi à la morgue…

— À quel titre vas-tu demander à voir le corps ? Tu ne peux prétendre être sa mère, ainsi attifée… D’autant plus que c’est une parenté qu’il est bon d’oublier en ce moment…

— Eh bien, je serai sa fiancée, mais pour l’amour du ciel, Paul, conduis-moi là-bas !

J’ai murmuré :

— L’amour du ciel ! Tu as de ces mots !

Elle m’a repris l’article du journal et tandis que je demandais le chemin de la morgue à un agent, l’a relu attentivement avant de le glisser dans son sac.

CHAPITRE XIX

La concierge n’avait pas exagéré en prétendant que « c’était affreux ». Dominique avait la moitié du visage emporté. L’auto l’avait pris de plein fouet. Il était tombé et le pare-chocs de Blanchin lui avait écrasé une partie de la tête contre une borne-fontaine…

Ce garçon étendu dans un récipient de zinc ne m’a pas fait de peine. Il était mort à cause de moi, pourtant je ne regrettais rien. Dans tout cela la justice transparaissait, triomphante. Il avait eu une mort rapide, « tué sur le coup » affirmait le journal… À voir la blessure on le croyait sans mal. C’était un sort équitable. S’il avait vécu, Domi aurait traîné par le monde son hérédité chargée et sa fainéantise… C’était un gentil raté qui serait devenu une loque en vieillissant. La seule chose valable qu’il avait faite au cours de son existence, ç’avait été de montrer mon annonce à Mina… Ce faisant, il avait pleinement justifié à mes yeux sa triste vie.

Elle a regardé. J’étais prêt à la soutenir en cas de défaillances mais c’était mal la connaître. Mina est demeurée calme… Une moue écœurée a un peu tordu le coin de sa bouche… Ç’a été tout !

Je lui ai pris le bras.

— Allons, viens…

Elle m’a suivi docilement. Ses hauts talons faisaient sur le dallage de la morgue un clic-clac amplifié par le sinistre écho de l’endroit.

Dehors nous avons respiré librement. J’avais en tête une atroce odeur de mort… Dans l’établissement elle était supportable, mais ses remugles me donnaient envie de vomir.

Je ne savais que faire… Les funérailles de Dominique allaient poser un problème : elles réuniraient la concierge et le père du jeune homme. S’ils échangeaient une seule parole au cours de la cérémonie — et c’était possible bien qu’ils ne se connussent pas — Mina serait démasquée… Je le lui ai dit.

Elle a haussé les épaules.

— Eh bien, je n’irai pas à l’enterrement, voilà tout !

Je n’en espérais pas tant.