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— Vous êtes malade, Mina ?

Devant Dominique, nous évitions de nous tutoyer.

Elle a eu un geste vague.

— Un peu de migraine, ça passera…

— Parbleu, vous restez toujours cloîtrée… Il faut vous aérer un peu…

Dominique a fait un signe d’approbation.

— Paul a raison, m’man. Tu as une mine de papier mâché… Va te balader avec lui dans les bois… Ça doit être au poil en cette saison… Je sais que moi, si je pouvais…

J’ai fait chorus et Mina s’est décidée à chausser des souliers de marche et à me suivre.

Nous avons pris un sentier que je connaissais bien et qui s’enfonçait en zigzaguant dans le bocage. Il menait à un vieil étang dont l’eau pourrissait sous les nénuphars… C’était un itinéraire de promenade plein de charme.

Lorsque nous avons été éloignés de la maison, j’ai pris Mina par la taille. Des branchages morts craquaient sous nos pas et des oiseaux signalaient notre approche.

— Tu es heureuse, Mina ?

— Très heureuse, Paul… Tu as le don de créer du bonheur autour de toi.

— Oh…

— Si, je te le jure. J’ai beaucoup réfléchi… Il faut que je te parle…

J’ai attendu, sans ralentir l’allure. Mais elle n’a pas parlé tout de suite. Nous avons parcouru près d’un kilomètre, tendrement enlacés. La senteur du sous-bois nous grisait. Enfin, nous avons débouché dans la clairière où l’étang reposait, pareil à un vieux miroir au tain écaillé. Nous nous sommes assis sur un tronc d’arbre et nous avons longtemps regardé l’eau verdâtre à la surface de laquelle éclataient de grosses bulles d’air.

C’est alors qu’elle a répété :

— Il faut que je te parle, Paul…

— Eh bien, je t’écoute, mon amour…

Elle s’est raclé la gorge. Jamais je ne lui avais vu cet air gêné et misérable.

— Paul, je commence seulement à réaliser notre aventure… Vois-tu, il me semble que j’ai fait un rêve… Depuis des années j’attendais un homme comme toi…

Ces paroles mettaient du miel dans mon cœur. Je lui ai donné un baiser sur la nuque et je l’ai sentie frissonner sous la caresse.

— Paul… La présence de mon fils ici m’a ramenée un peu sur terre. Dans un sens, c’est dommage, mais, tu sais, on ne peut pas toujours vivre dans l’euphorie.

Où diantre voulait-elle en venir ? Elle était grave et parlait avec une extrême application.

— Il y a une question que nous n’avons jamais abordée. Tout a eu lieu si vite, dans un tourbillon… pour ainsi dire. C’est la question financière.

J’ai eu un haussement d’épaules.

— Quelle vilaine parole et quelle vilaine pensée, Mina ! Sans être très riche, je possède une petite fortune personnelle qui, Dieu merci, m’ôte ce genre de préoccupation…

— À toi, oui. Mais pas à moi, je suis même plutôt pauvre. Mes faibles revenus suffisent à peine à faire vivoter Dominique en attendant qu’il vole de ses propres ailes… On peut donc considérer que je suis à ta charge !

— En voilà une idée saugrenue ! N’es-tu pas ma femme ?

— Évidemment, mais…

— Alors la question est tranchée, n’y revenons plus…

Elle a eu une moue d’énervement.

— Pas du tout, je suis obstinée, tu sais, mon chéri, et j’entends obtenir satisfaction…

Il fallait en passer par là.

— Bon, je t’écoute, quelle extravagance vas-tu bien me sortir ?

— Paul, je suis plus âgée que toi… Non, ne m’interromps pas. De plus… Je… je suis malade…

J’ai ressenti une fois de plus une brûlure féroce dans ma poitrine. Je me suis placé devant elle. J’étais accroupi et je la regardais intensément, cherchant sur son visage fatigué les signes d’un mal quelconque.

— Tu es malade, Mina ?

— Oui, le cœur… Personne ne le sait, que mon médecin et moi… Je souffre d’un infarctus… J’ai eu une crise très sévère… il y a deux mois. J’ai failli mourir… C’est un peu pour ça que je me suis décidée à me remarier… Pour avoir cette part de caresses et de paix qui m’a toujours manqué, tu comprends…

— Mon cher amour, mais il faut te soigner. Nous allons consulter de grands spécialistes, tu verras…

— Non, j’en ai déjà vu… Leurs avis sont identiques : je peux vivre longtemps ainsi, mais je peux aussi… Alors, tu comprends, il fallait que je te prévienne. En ce moment, je ne me sens pas dans mon assiette, c’est l’émotion, l’autre jour, lorsque tu t’es mis en colère…

Elle m’a relevé la tête.

— Dis-moi, Paul, tu ne m’en veux pas de ne pas t’avoir averti avant ? C’est en somme de l’abus de confiance, non ?

— Tais-toi, Mina, je t’aime… Je te guérirai…

— Je n’ai pas achevé de te dire mon projet…

Elle m’a embrassé doucement sur la bouche. Ses lèvres étaient merveilleusement souples et tièdes.

— Ton projet, Mina ?

— Oui…

— Eh bien, dis-le…

— Je ne serai vraiment rassurée que lorsque j’aurai mis mes affaires en ordre et payé ma dette morale envers toi.

— Où as-tu pris que tu me devais quelque chose ?

— Je sais ce que je dis. Alors je vais contracter une assurance-vie à ton profit, mon chéri…

Ça m’a abasourdi.

— Hein ? Mais tu es folle !

— Non. Ainsi, je n’aurai plus de scrupules à vivre à tes crochets. En mourant, je penserai que tu pourras hériter quelque chose de moi.

— Mina ! S’il t’arrivait quelque chose, j’hériterais du plus beau des souvenirs… L’argent que ta mort m’amènerait serait odieux.

— Je le veux, Paul, ne proteste plus.

— Mais, mon ange, si tu tiens absolument à souscrire une assurance, fais-le au nom de ton fils !

Elle a secoué la tête.

— Il n’a pas besoin d’argent. Un garçon doit se débrouiller seul… Tu le lui laisseras par testament, si tu veux…

Son obstination m’exaspérait. Mais elle avait son idée fixe et je savais ce qu’est une idée fixe.

Nous avons fini par nous mettre d’accord. Je tenais à lui ôter tout souci. Elle contracterait une assurance-vie de cinq millions en ma faveur et moi je testerais en faveur de Dominique. Je n’avais pas de parent et ce testament ne léserait personne. Et puis, je peux vous avouer que ces questions financières me laissaient froid, je ne retenais qu’une chose de notre conversation : Mina souffrait d’un mal très grave qui pouvait me la ravir d’une seconde à l’autre. Cette nouvelle me serrait le cœur.

En regagnant la propriété, il me semblait qu’on m’avait découvert à moi aussi une maladie impitoyable… Cette notion de la mort que j’avais eue en apprenant l’histoire de Germaine Blanchin me traquait maintenant.

— Tu me promets, Paul, que nous réglerons ces questions-là demain ?

— Juré !

— Après je serai tranquille, il me semble que je respirerai mieux.

Les cernes sous ses yeux étaient plus marqués encore qu’à notre départ en promenade.

— Tu devrais t’étendre un peu, Mina… Et puis, à partir de maintenant, je vais prendre une bonne, je ne veux pas que tu te surmènes…

— Ah ça, je te le défends bien ! Et notre intimité, alors ?

J’ai détourné les yeux. Notre intimité ! Dominique en avait fait bon marché !

Il croupissait sur sa chaise longue. Des feuilles de papier à dessin déchirées jonchaient le sol autour de lui. Il somnolait. Notre arrivée l’a fait sursauter.