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Valence soupira. Le jeune empereur… Qu’est-ce qu’ils allaient devenir à présent, les deux autres ?

Il était arrivé au Vatican. Il grimpa d’un pas fatigué jusqu’au cabinet de l’évêque, qui ne travaillait toujours pas.

— Ce n’est plus la peine de s’arc-bouter, monseigneur, dit-il. Ils l’ont pris. Tibère est entre les mains de Ruggieri. Ils ont récupéré ce matin chez Maria Verdi ce que vous n’avez pas réussi à y trouver hier. Les billets étaient roulés dans un des tuyaux de la salle de bains.

Le visage de Vitelli s’altéra et Valence baissa les yeux.

— Qu’est-ce que vous espériez faire, monseigneur ? Plaider directement sa cause auprès de Dieu ? Depuis quand les évêques protègent-ils les assassins ?

Valence se sentait à bout de forces. Il fallait qu’il rentre. Édouard Valhubert serait soulagé, aucun scandale n’atteindrait sa famille.

— Depuis que les assassins ensorcellent des évêques, murmura Vitelli. Il avait les meilleures qualités du monde et il a tout flambé. J’espérais en sauver quelques morceaux, le reconstruire, enfin… je ne sais pas. Je ne pouvais pas, je ne pouvais pas le livrer à la police.

— Comment l’avez-vous dépisté ?

— Des inquiétudes depuis longtemps. Depuis que Ruggieri m’avait confié une partie de l’enquête, je surveillais la salle des archives. Je surveillais Maria Verdi aussi, qui en était la clef. J’essayais de la voir autrement qu’en meuble de la Bibliothèque, j’essayais de m’apercevoir qu’elle vivait, et j’y suis parvenu. Jeudi soir, je me suis décidé à fouiller son bureau. J’y ai trouvé deux billets de la main de Tibère, avec les messages que vous connaissez. J’ai convoqué Maria le lendemain à la première heure. Je crois bien l’avoir terrorisée, mais elle était si soulagée d’apprendre que je ne donnerais pas Tibère qu’elle était prête à m’obéir sur l’heure et à quitter plus tard la Vaticane, quand l’affaire serait tassée. J’ai détruit les deux messages que je possédais et elle m’a juré qu’elle détruirait les autres le soir même. Parce qu’il y en avait d’autres, que cette folle entassait dévotement chez elle au lieu de les faire disparaître. Elle est partie très bouleversée. Et cette nuit-là, Tibère l’a tuée. Et même après ce crime, même après l’horreur de ce spectacle, quelque chose m’empêchait de lâcher Tibère. J’ai joué le tout pour le tout et j’ai forcé hier la porte de Maria pour récupérer ces billets qui seuls pouvaient incriminer Tibère. Je n’étais pas certain que Maria les ait détruits dès son retour. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps de les trouver. Je suppose que je suis passible de complicité. Dois-je vous suivre ?

— Ruggieri ne sait rien à votre sujet. Il ne trouvera jamais l’homme qui a brisé les scellés, et à présent, ça n’a plus d’importance pour lui, il abandonnera. Vitelli soupira.

— Qu’est-ce qu’on peut dire d’autre ? murmura-t-il.

— Il faut que je rentre, dit Valence. Je vais rentrer.

— Vous avez un endroit où rentrer ?

— Je crois, oui, hésita Valence.

— Ah bon, dit Vitelli. Moi pas.

XXX

En fait, Valence ne rentra pas.

Il n’arrivait pas à prendre la décision de partir.

Depuis quatre jours, Tibère était en état d’arrestation, l’enquête était close, l’appareil judiciaire allait faire son travail, et il n’arrivait pas à rentrer. Tout le monde était sûrement rentré. Laura, que la police avait à présent dégagée de toute obligation de résidence à Rome, avait dû rentrer. Claude et Néron avaient dû rentrer dans le travail ou on ne sait quoi, et l’évêque avait dû rentrer en lui-même.

Et lui, Valence, il n’arrivait pas à rentrer. Il se levait tard, il marchait, pendant des heures, il mangeait, il se parlait de temps en temps, et il retournait s’allonger sans vraiment bien dormir. Le lendemain de l’arrestation de Tibère, il avait fait sa valise, avec soin, mais il avait tout redéfait petit à petit.

Depuis, il attendait de savoir pourquoi il ne rentrait pas. Il était poursuivi par l’image de Tibère égorgeant Sainte-Conscience par-derrière. Sanglant. Le véritable empereur Tibère n’aurait jamais égorgé de sa propre main, il faisait faire par d’autres. L’idée de revoir cet égorgeur ne le tentait pas. Il n’avait plus rien à faire avec lui et il n’y avait donc plus de raison d’y penser. Mais ça ne coûtait rien en revanche de passer voir Ruggieri pour avoir des nouvelles. Après tout, c’était normal.

Ensuite, il partirait.

XXXI

— Vous êtes encore à Rome, monsieur Valence ? dit Ruggieri en se levant pour lui serrer la main. Qu’est-ce qui vous retient ici ?

— Des obligations, murmura Valence. Entre deux rendez-vous, je passais voir où en était le dossier.

Ruggieri ne paraissait pas se souvenir de leur dernier accrochage. On pouvait dire tout ce qu’on voulait de ce type, mais il n’était pas rancunier.

— Rien de secret, dit Ruggieri. En une année, Thibault Lescale — Tibère, si vous préférez — a fait sortir de la Bibliothèque vaticane onze dessins de la Renaissance, pas tous aussi voyants que le Michel-Ange. Ce Michel-Ange l’a perdu. Il en a vendu cinq, ce qui lui a permis de récolter de bonnes sommes qui sont déposées dans un coffre à Paris. Maria Verdi touchait sa part, la moitié, ce qui est très correct compte tenu que c’est Tibère qui prenait tous les risques, depuis le démarchage jusqu’à l’encaissement. Il a raconté toute cette histoire très volontiers. Il est incapable d’expliquer pourquoi il voulait tout cet argent, il rit, il dit qu’il aime ça, qu’il ne pouvait pas résister, que c’était si facile. Tout le monde lui faisait confiance à la Bibliothèque. Il avait fait souvent l’expérience de sortir avec un livre en disant qu’il le rapporterait le lendemain, et le scripteur Prizzi le laissait faire. Et il le rapportait le lendemain, bien sûr.

Ruggieri s’arrêta de parler et roula sa cravate autour de son index avec application. Valence eut l’impression que l’enquête n’allait pas si bien que ça.

— Je n’en peux plus de ce type, dit l’inspecteur.

Il chercha une cigarette avant de continuer.

— Quand Tibère s’est présenté ici, docile, souriant, un peu grave, il était pieds nus. Exprès. On lui a fourni de quoi se chausser, car il avait laissé ses affaires dans la rue, et elles avaient disparu. Vous rendez-vous compte à quel point il peut être déséquilibré ? Et depuis, ça fait quatre jours et demi, il refuse de mettre des chaussures ou même des chaussettes, surtout pas des chaussettes ! Dès qu’on s’approche pour essayer, il hurle. Il dit que pour une fois qu’il a l’occasion d’être « biblique », il ne va pas rater ça, et que je n’ai qu’à chercher s’il existe un article de loi qui l’oblige à porter des chaussures. Sinon, que j’aille me faire foutre. Ce sont ses mots. Hier, il a été présenté au juge comme ça. Il reçoit tout le monde comme ça, avec l’air de se foutre de nous. C’est déprimant.

— Laissez tomber, ça n’empêchera pas l’accusation de suivre son cours.

— Si, justement, soupira Ruggieri.

Il se leva et fit le tour de la pièce les mains dans le dos.

— Tibère, articula-t-il, récuse les deux assassinats. Il nie. Il nie sereinement. Il veut bien reconnaître tout ce qu’on veut sur les vols, mais il nie les deux assassinats. Ruggieri se rassit dans un mouvement las de défaite.