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— Je ne veux pas la surveiller.

— Je t’en prie, tu vas la surveiller. Tu vas te coller à ses pas et la protéger. Tu vas le faire parce que je suis enfermé et que je ne peux pas le faire. Cette bande n’attaque que la nuit, mais quand ils se décident, ce sont des rapides. Il faut que tu fasses ça le temps que je parvienne à convaincre Laura de rentrer à Paris. Il me faut quelques jours sans doute. J’espère qu’elle sera partie dimanche.

— Je ne peux pas, Tibère. Je t’ai dit que j’allais rentrer maintenant.

— Je t’en prie, Valence, fais-le pour moi.

— Je ne fais rien pour les autres.

— Je ne te crois pas.

— Tu as tort.

— Alors fais-le pour toi.

— Non.

Le garde ouvrit la porte et fit un signe à Valence.

— Vous avez fini votre temps, dit-il. Vous reviendrez demain si vous voulez.

Valence le suivit. Du bout du couloir, il entendit Tibère qui criait.

— Valence, nom de Dieu, essaie d’être un peu biblique !

Valence ne repassa pas au bureau de Ruggieri, il ne s’en sentait pas capable. Il regrettait cette discussion avec Tibère, et il regrettait de l’avoir vu supplier. Si ça se trouvait, l’empereur Tibère devait chialer maintenant, c’était le genre de choses qui ne le gênait pas.

Il croisa Claude et Néron qui venaient sans doute aux nouvelles, et il ne réussit pas à les éviter. Aucun d’entre eux n’avait envie de parler.

— Vous en venez ? demanda Néron.

Valence hocha la tête. Pour la première fois, il voyait Néron le visage sévère, ce qui n’était guère rassurant.

— Vous le croyez ? demanda Claude.

— Oui, dit Valence sans réfléchir.

— Si on l’inculpe pour les deux meurtres, dit Néron d’une voix calme, Rome brûlera pour ma vengeance.

Valence ne sut pas quoi répondre. Il eut la certitude que Néron pensait ce qu’il disait.

Il retourna rapidement à son hôtel.

— Préparez ma note, dit-il en attrapant sa clef, je pars ce soir.

XXXII

Valence faisait les cent pas dans la gare de Rome en attendant que se forme le train de vingt et une heures dix pour Milan. Il était arrivé avec presque deux heures d’avance, parce qu’il ne savait plus quoi faire à l’hôtel. Ça allait mieux dans la gare. Il voyait passer devant lui des centaines de gens qui n’avaient jamais rien su de l’affaire Valhubert, qui n’y avaient jamais pensé, et qui n’y penseraient jamais. Il entendait parler des tas de gens qui n’avaient jamais eu le corps tourmenté par l’affaire Valhubert, et qui s’en foutaient, et qui s’en foutraient toujours. Ça lui fit du bien. Il arrivait à penser à ce qu’il avait à faire à Milan. Il arriverait sûrement à s’intéresser demain aux dossiers qu’il avait laissés en plan, à son rapport sur les actions préventives de la municipalité contre le milieu. Il avait laissé des rendez-vous en suspens et il aurait une semaine chargée.

Quand le train quitta enfin le quai, il regarda s’en aller les toits de Rome, hérissés d’antennes, et il respira. Vraiment un foutoir, ces toits. Il s’assit et ferma les yeux sans avoir le temps de s’en rendre compte.

Il se réveilla en sueur. Il y avait des gens qui s’étaient installés à côté de lui pendant qu’il dormait, cinq personnes, qui ne savaient rien de l’affaire Valhubert et qui s’en foutaient. Cinq personnes sans intérêt qui n’étaient pas en train de penser à l’affaire Valhubert. Valence les détesta. Leur ignorance lui fit horreur. La femme d’en face, qui était assez belle, allait peut-être essayer de lui parler, alors qu’elle ne savait pas un mot de l’affaire Valhubert. Il se leva et recula dans le couloir. Il frissonnait, avec cette fenêtre qui envoyait trop d’air sur sa chemise trempée. Il fallait qu’il change de chemise, il fallait qu’il se calme.

Le train freina, on était en gare. C’était une gare sans importance. Le train repartit presque tout de suite, lentement, avec des chocs. Valence attrapa sa valise et sa veste. Il eut le temps de sauter sur le quai avant que le train n’ait pris de la vitesse.

— C’est interdit de faire ça, dit un employé en s’approchant.

— Français… dit Valence en matière d’excuse. À combien est-on de Rome ? Combien de kilomètres ?

— Quatre-vingts, quatre-vingt-cinq… Ça dépend d’où on calcule.

— À quelle heure le prochain train ?

— Pas avant une heure et demie.

Valence sortit en courant de la gare. Il trouva un taxi en remontant une grande rue au hasard.

Il se cala contre la banquette arrière et ferma les yeux. Sa chemise le glaçait. On sortait de la ville, on prenait l’autoroute. Rome, soixante-dix-sept kilomètres.

XXXIII

Il se fit déposer devant l’hôtel Garibaldi. La meilleure chose à faire était de prévenir Laura Valhubert qu’il se tenait à sa disposition au cas où sa bande de malfrats hausserait le ton. Maintenant qu’il était à nouveau à Rome, il était moins inquiet. On ne tue pas quelqu’un comme ça, sous prétexte qu’il s’approche un peu trop des flics. Encore que Laura pouvait balancer tout le réseau. Valence fit tout de même le tour de l’hôtel Garibaldi par les petites rues qui l’encadraient.

Les chambres qui donnaient sur l’arrière du bâtiment étaient presque toutes obscures. D’après l’escalier qu’elle avait pris l’autre fois, sa chambre devait donner sur l’arrière. Il essayait de se rappeler le numéro de sa clef, qu’il avait vue près de son verre. Il était sûr qu’il commençait par un 2, deuxième étage donc. Il passa sous les fenêtres, dont la plupart étaient restées ouvertes, à cause de la chaleur. En face du Garibaldi, il y avait un petit hôtel beaucoup plus modeste, et quelqu’un debout sur un des balcons. Un peu saisi par le silence de la rue, un peu tendu, Valence resta immobile à le regarder, à une distance d’une quinzaine de mètres. En réalité, la silhouette était peu visible, la chambre n’étant pas éclairée. On pouvait seulement deviner qu’il s’agissait d’un homme. Valence ne bougeait plus. Il n’aimait pas que cette silhouette ne fasse pas un mouvement, et il n’aimait pas que ce balcon soit au deuxième étage. C’était absurde de se méfier d’un homme solitaire qui prenait l’air sous prétexte qu’il logeait en face du Garibaldi, à la hauteur de la chambre de Laura. Il pouvait exister des centaines d’hommes en train de prendre l’air sur des balcons ce soir. Mais celui-ci ne remuait pas. Valence se déplaça sans bruit pour s’approcher, en longeant le mur pour ne pas risquer d’être dans le champ de vision de l’homme s’il se penchait. Qu’est-ce qui n’allait pas sur ce balcon ? Est-ce qu’on reste sur un balcon dans le noir pendant des minutes entières sans bouger d’un seul centimètre ? Oui, ça arrive. Ça peut arriver.

Valence respirait lentement. La nuit le transformait en un guetteur dangereux et il ne pouvait absolument plus partir. Guetter dans le silence était devenu son unique pensée. Il s’écoula ainsi trois quarts d’heure. Un vent d’orage se levait par à-coups. Le volet du balcon se replia et heurta la silhouette. Cela rendit un son sourd et Valence se crispa. Ce son ne lui plaisait pas. Si le volet avait cogné une arme, ça aurait fait exactement ce bruit. Le volet avait pu bien sûr cogner n’importe quoi d’autre de métallique. Mais il avait pu aussi cogner une arme. Valence ramassa doucement sa valise et recula sur le trottoir en longeant toujours le mur. Parvenu à l’angle de la rue, il courut et se fit ouvrir la porte du Garibaldi. Depuis une heure à présent, il y avait un homme posté dans la nuit, face au deuxième étage, et qui avait avec lui un machin métallique.