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Le type heureux de la rue a fini de brailler sa canzone. Déjà, le jour soirit. Mon vague à l’âme s’estompe.

CHAPITRE VII

Il faut (ou bien l’on doit, voire : il est prudent de) se méfier des adresses ; ne pas tomber dans le piège des idées préconçues. Ainsi, un mec qui t’annonce qu’il habite avenue Foch, tu penses : « Mazette, il se met bien, le frère », avant de découvrir qu’il occupe une chambre de bonniche dans les communs d’une arrière-cour. Un autre, qui avoue crécher dans le populaire dix-huitième, jouira en fait d’un duplex somptueux, avec vue sur « tout ce qu’il y a à voir », salles de bains en marbre noir et robinets d’or, jardin suspendu ; la classe, le superchic Maison et Jardin-Jour-de-France.

Moi, en me rendant Corso Québellaputassa, dans la Rome grouillante, je crois débouler dans une friterie ; eh bien ! cours te faire mettre, chérie : c’est sur un délicat immeuble moderne, de quatre étages, que je tombe (sans me faire mal). Dans les tons ocre ; comme toujours à Roma (à moins que rose), grandes baies, balcons, stores à rayures noires et jaunes, porche marmoréen bourré de bioutifoules plantes vertes et d’un concierge bourré au chianti.

La signora Antonella Mariani ? Au quatrième. Mais faut s’annoncer au prélavable, comme dit Bérurier. Interphone.

On actionne. « Mon cul ! » comme disait l’autre jour la reine d’Angleterre, mais en anglais pour faire plus distingué. Nobody ne répond.

Ce dont le cerbère déduit que la signora n’est point at home (de chèvre, si ça ne t’ennuie pas).

Je réponds que merci beaucoup pour son obligeance, tenez, voilà cinq mille lires, n’auriez-vous pas un vieux chiffon à me prêter rapport à une tache d’huile qui souille mon pare-brise ? oh, ce que vous êtes gentil de vous donner cette peine.

Il pénètre dans sa loge.

— Attends le chiftir, toi, fais-je au Gros, et éclipse-toi. Moi, je vais faire un tour chez la gonzesse.

Là-dessus je dégoupille le thermo-saleur de la porte de verre et me coule dans l’immeuble, profitant de ce que le concierge ne me voit pas. Ça, tu l’as sans doute compris parce que t’es une fille pas conne, mais je précise à l’intention d’une chiée de patates qui me lisent comme une carte routière.

Pouf ! Quatrième. Ascenseur laqué. Docile comme un laquais. Vite fait, sans secousse. Sur le palier : quatre portes. Y a les blazes dessus. Par acquit de conscience j’y vais d’un petit air allègre sur la sonnette, style « Coucou c’est moi, même si t’as le cul nu viens m’ouvrir, tu le regretteras pas. »

Silence.

Donc, sésame entre en piste.

Tric-trac, fric-frac. Les serrures italoches ont tellement l’habitude d’être violées qu’elles ne mettent même pas de culotte. J’entre chez Antonella comme Daudet chez lui, à Fontvieille. Logis de belle venue, moderne mais de classe. Pas du tout la crèche qu’on imagine à une voleuse de bagnoles.

Tout y est d’un blanc légèrement rosé : les sols, les murs, les sièges. Des toiles intéressantes, des meubles d’acier, l’ensemble serait parfait s’il n’y avait ce cadavre d’Antonella sur le tapis du livinge. Elle porte une robe bleue à fleurs mauves de chez Roberta. En guise de collier, une corde dont il ne faut pas parler dans la maison d’un pendu. L’autre extrémité d’icelle est attachée à l’espagnolette de Francis Lopez. Il s’en est fallu de dix centimètres pour que la tête de signorina Mariani repose sur le tapis blanc ; faute desquels elle est morte étranglée de fond en comble, la pauvre. Une si jolie gosse, pleine de charmes, dont j’avais conservé un souvenir vivace malgré qu’elle m’ait pris pour un demeuré ! Des papiers épars jonchent le sol. J’en ramasse des bribes. Ce sont des lettres d’amour, vachetement brûlantes, tellement même qu’elles l’ont consumée, si on se fie aux apparences. Moi je me dis que si elle ne s’est pas suicidée, c’est très bien imité. Supposons que des mecs soient venus pour fouiller chez elle. Ayant trouvé ces babilles, en plus de ce qu’ils cherchaient, ils étranglent la gosse, l’accrochent à l’espagnolade de la fenêtre et déchirent ces bafouilles pour qu’on déducte un chagrin d’amour.

Je palpe la belle enfant. Raidar. Voilà un bon bout de moment qu’elle est allée voir au paradis si Mussolini y était.

Je ne touche à rien, mais je procède à une inspection détaillée des lieux. Trop fin limier, l’Antonio, pour ne pas s’apercevoir que l’appartement a été exploré. Certes, on a tout remis en place, mais il reste des traces de perquise : contenu des tiroirs, en vrac, vêtements mal suspendus dans les penderies, tableaux un poil de guingois, ainsi de suite. Il y a de la fraîche dans un coffret d’argent : huit cent mille pions en gros fafiots, des bijoux en massif dans un autre d’ébène. Drôle d’affaire. Qui donc savait que la donzelle détenait ces papiers, en dehors de Letizia ? Tu parles d’un caramel mou !

Je m’assieds sur l’accoudoir plantureux d’un canapé sur lequel traîne encore une revue de mode. Il devait faire bon rendre visite à Antonella. Pas pour la suriner, mais pour lui faire l’amour. Je donne une chiquenaude à l’électrophone hi-fi. Le bras descend sur le disque avec une détermination impressionnante. La voix de Sinatra s’élève. L’indestructible Franky chante un truc fameux, dont j’ai oublié le titre mais qui fait comme ça : « La…lala la…laaa… » Je me dis que cette musique et cette voix vont bien avec la morte et le décor ; et puis avec moi aussi, après tout. On constitue une conjoncture, tous : l’appartement, Antonella, Sinatra et mézigue. Quelque chose d’indiciblement harmonieux, qui te vague l’âme. Bon, « ils » sont venus, « ils » sont partis. Dans l’intervalle ils ont fauché les fafs et tué la fille. Bientôt, un autre locataire s’installera ici et regardera la Ville éternelle à travers les vitres de la baie. « La… lala… lalaaaa… » C’est bath. La vie qui flirte avec le néant. La mort apprivoisée un instant par l’organe du vieux voyou américano-rital. Je stoppe l’électro. Docile, le bras retourne coucouche panier, comme disent les cons plus cons que les cons. Adieu, Antonella ! Seulement il va faudre que je m’esbigne sans être vu du concierge, tu parles. Comment renouveler l’astuce qui m’a permis d’entrer ?

Je vais à la kitchenette. Près du bigophone mural se trouve punaisé un bristol dactylographié sur lequel figurent des numéros de téléphone usuels pour le locataire : médecin, pharmago, taxi, etc. Le gardien de l’immeuble est tête de liste. Il s’appelle Ferrari. Je le sonne.

— Pronto ? rétorque l’homme.

Je colle ma langue contre mon palais pour jacter, ce qui me fait une voix à la Michel Simon.

— Signor Ferrari, j’aimerais savoir qui a déposé cette saloperie au garage du second sous-sol ! aboyé-je. Si vous n’enlevez pas ça immédiatement, vous aurez de mes nouvelles.

Je raccroche en violence. Paré !

Et c’est pile au moment de mettre les adjas que j’aperçois un petit trucmachinchose qui me fait tiquer. Je décroche le bristol des téléphones usuels et l’enfouis dans ma hotte droite.

* * *

Il fait nuit et doux. Les travailleurs libérés populent sur les trottoirs. Ça discute à pleins rires. Chez nos frères latins, la situasse est toujours désespérée, mais elle n’est jamais grave. Il reste plein de temps pour vivre en dehors de ses soucis. Chez nous, les emmerdes, on les étire pour qu’ils fassent plus d’usage, faut qu’ils nous remplissent l’existence. En Italie, au contraire, on les prend au minimum de la dose prescrite.