Выбрать главу

Elle releva un côté de sa jupe jusqu’à la taille, exhibant au malheureux agent médusé un bas de soie vaste comme une hotte à vendange, maintenu par une jarretelle à fleurs. Au-dessus, continuait une formidable cuisse pleine de fossettes profondes, de cellulite bien ancrée, de vergetures marmoréennes et, de-ci, de-là, de grains de beauté velus.

Tout en dévoilant ces trésors inestimables en pleine rue, l’épouse de l’Excellence, donc Excellence par alliance, elle entrouvrit sa bouche et dégaina une langue taillée dans le filet, d’au moins une livre et demie, qui se mit à frétiller comme un poisson arraché de l’onde. L’organe charnu possédait une agilité d’écureuil ; il était évident qu’il avait léché davantage de pénis jusqu’à ce jour, qu’une postière retraitée de timbres au cours de sa carrière. Le policier en fut impressionné et recula.

— Petites mademoiselles salopes ! reprit la dame du ministre après avoir récupéré sa menteuse. Amour, baisanche very gode, monnaie ! You scie ?

Elle s’escrima avec tant d’obstination que son terlocuteur finit par comprendre. D’entrée d’explication, il assura que l’endroit était proche et désigna, au loin, le pont en dos-d’âne qui y conduisait.

La dame remercia chaleureusement. Elle s’était à ce point parfumée avant de quitter Paris, que tout Amsterdam commençait déjà à fouetter « Gerbe de Printemps » de Croquignol et Bézu. L’agent éternua à quinze reprises avant de se réinsérer dans le trafic.

Les deux occupants de l’Opel quittèrent leur voiture et éternuèrent à leur tour dans le sillage de la femme en rose.

C’étaient des voies tranquilles, étroites comme celles du Seigneur, piétonnes de surcroît. D’un côté, un canal romantique, bordé d’arbres. De l’autre des maisons basses, aux rez-de-chaussée en vitrines. Chacune d’elles s’encadrait de rideaux pimpants. Au-delà de la grande vitre, on découvrait un intérieur intime, figurant un salon coquet.

Une ou plusieurs femmes occupaient chacun de ces salons. Certaines avaient les seins nus, d’autres se trouvaient en guêpière et bas résille, d’autres encore portaient des déshabillés vertigineux, quelques-unes au contraire étaient attifées d’ensembles de cuir dans lesquels on avait ménagé des ouvertures pour la poitrine et le sexe ; et il s’en trouvait — mais elles étaient rares — en robe du soir dans le style « presse du cœur », chiquant les jeunes filles de bonne famille selon la conception que s’en font les midinettes, les serveuses de bar et les garçons bouchers.

Ces personnes proposées aux sens exacerbés des mâles bataves et des touristes en mal d’exotisme ne se montraient pas racoleuses. Ce qui frappait chez elles, c’était leur sagesse exemplaire. La plupart brodaient ou tricotaient, les moins nombreuses lisaient des bandes dessinées[2], d’autre somnolaient, languissamment allongées sur des canapés recouverts de satin, parmi des poupées de fête foraine et des animaux en peluche.

L’épouse du ministre contemplait chaque alvéole avec intérêt. Elle était la seule femme de la rue (à l’extérieur), mais la gent masculine ne lui prêtait guère attention, la prenait pour l’une de ces dames sortie s’aérer.

Elle suivait le comportement des mâles qui passaient la revue. Guettant les visages tendus de ceux qui désiraient consommer et qui, tout à coup dynamités par leur désir, poussaient une porte et pénétraient dans l’un des studios de travail. La pute choisie l’accueillait mornement et tirait les rideaux. Cet occultage de la vitrine ne chassait pas les chalands ; au contraire, l’étoffe tendue les fascinait car ils se mettaient alors à imaginer ce qui se passait derrière. C’était un écran sur lequel ils projetaient les films X de leur rêve salace ; le support plissé de leurs fantasmes. Les plus avides tentaient de dénicher une brèche dans les rideaux et se contorsionnaient sans pudeur, allant même jusqu’à s’accroupir dans la rue pour essayer d’utiliser un intervalle ou un accroc.

Tout ce manège énervait la visiteuse dont le sensoriel démarrait généralement au quart de tour. C’était une personne très portée sur les choses de la vie surtout quand elles étaient grosses. Aussi, lorsqu’elle sentit sur sa croupe impétueuse un effleurement qui ressemblait à une caresse, eut-elle un frisson délicat qui se propagea par toute sa personne et établit des têtes de pont à ses centres nerveux.

Elle chercha d’abord à capter la physionomie de celui qui s’intéressait à son postérieur dans la vitre isolant une admirable péripatéticienne travestie en dompteuse (bottes noires très montantes, culotte noire très menue, veste rouge à brandebourgs très ouverte). Elle décela confusément un visage jeune de S.S. au crâne rasé, porteur de lunettes sombres. Jusqu’alors elle n’avait accordé ses faveurs qu’à des hommes plutôt débonnaires, ou à des galantins pour noces et banquets. L’aspect du personnage lui intimida le glandulaire. Cet être athlétique et froid avait un aspect un peu sadique qui inquiétait et troublait à la fois.

Comme elle ne le rebuffait pas, l’homme accentua ses avances. Ce furent ses deux larges mains qui se plaquèrent sur le michier de madame l’épouse du ministre. Elles les caressaient en décrivant des cercles symétriques pour se rejoindre au bas de la raie médiane. Et là, les deux pouces prenaient leur autonomie par rapport au reste des mains, leur conformation se prêtant à la chose, et montraient des intentions parasitaires certaines. Il y avait de la technique dans la manœuvre, elle faisait bien augurer de la suite possible des événements.

La dame en rose tourna le plus possible la tête en arrière pour rencontrer le regard du polisson afin d’y lire ses intentions. Il pouvait s’agir d’un simple touche-à-tout, comme il en est dans les rassemblements humains et qui font avec leurs mains ou leur sexe des promesses qui restent sans lendemain. Mais les verres des lunettes étaient si foncés qu’elle n’y apercevait que son propre reflet. Cela dit, l’homme lui décocha un léger sourire.

L’arrivante y répondit spontanément.

— Vous aimeriez visiter l’un de ces studios ? demanda-t-il avec un fort accent du genre germanique.

— Pourquoi ? demanda la personne en rose.

Sa forte poitrine se souleva, vingt-cinq kilogrammes de glandes mammaires atteignirent la hauteur de son menton, puis retombèrent mollement.

— Vous semblez intéressée, murmura l’homme au crâne rasé ; il faut aller y voir de plus près.

— Croyez-vous-t-il ? minauda l’invitée.

— Je suis certain que vous y prendriez de l’agrément, affirma le type en se plaquant contre sa conquête.

Elle sentit du costaud à travers leurs étoffes respectives, ses ultimes hésitations cédèrent.

— C’est p’t’êt’pas raisonnab’, mais c’est offert de si bon cœur, fit-elle.

L’homme au crâne rasé la prit par un bras, presque tendrement. La dame en fut chavirée.

— Venez !

Il l’entraîna vers une ruelle perpendiculaire au quai dans laquelle s’alignaient d’autres vitrines.

— Vous alors, on peut dire qu’ v’s’allez vite en besogne ! gloussa la ministresse.

Son nouveau compagnon ne répondit pas. On devinait un être qui avait le sens du verbe et, donc, économisait le sien.

Ils avancèrent rapidement, sans plus prêter attention aux vitrines. Au bout de quelques centaines de mètres, l’homme stoppa devant une ravissante maison du dix-septième siècle, à colombages et fenêtres à meneaux.

— C’est là, fit-il en ouvrant la porte.

Ils pénétrèrent dans une entrée de pierre où flottaient des remugles de parfum à bon marché, de hareng fumé et d’eau de Javel. L’homme pivota pour frapper à la porte de gauche. On lui ouvrit. Il fit claquer ses doigts avant d’entrer et l’hôtesse s’en fut fermer les rideaux. Ensuite seulement l’homme et sa conquête pénétrèrent dans le studio.

вернуться

2

Peut-on prétendre qu’on « lise » une bande dessinée ?