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Mathias demande :

— Qu’est-ce que je fais de son petit bazar, commissaire ?

— Dans tes poches, grand. En tout cas, les intentions de cette mocheté étaient claires : avec un tel attirail, elle allait pouvoir te souhaiter ta fête.

Roulant toujours, je traverse les faubourgs d’Amsterdam. Bientôt c’est la douce campagne hollandaise, plate comme un discours d’officier supérieur. Tout cela est découpé sagement en rectangles, et sur chacun il y a une maison cossue ; voire un moulin à traction à vent. Les forêts, c’est pas ce qui domine ici. Alors l’idée me vient, pour trouver un coin de quiétude nocturne, de rallier le bord de mer.

Pas moyen de te gourer : tu prends à l’ouest toute !

Pas besoin de commentaires entre le Rouillé et moi. Aucune question. Il s’en remet à mon autorité souveraine. Un quart de plombe après ma sage décision, je stoppe entre deux dunes de sable recouvertes d’herbacées. La nuit est plus noire que la conscience d’un huissier : ciel bas, lourd, pour peintres flamands, justement. La mer du Nord ronchonne dans un infini où ballottent de confuses loupiotes. Entre les dunes galeuses et l’eau sombre, une étendue de sable gris clair sur lequel souffle un vent acide chargé de particules granitiques. C’est abrasif et ça te mord la gueule comme une râpe à fromage. Le coin me paraît sinistros tout plein. Je respire l’air marin à pleins poumons. Tout cela est formidable, si vaste, si redoutable. Tu piges que nous sommes les participants chétifs d’une pauvre planète en péril. Tous agrippés aux maigres poils d’une balle de tennis lancée dans le cosmos. Si frelus, si que dalle, si moins que nuls et non avenus que t’en prends le tournis, Henri.

— On est peu de chose, hein ? je dis à Elsi.

En anglais.

Elle ne répond rien. Ses traits se sont vachetement creusés à moins que ce ne soit un effet dû à l’obscurité.

Je la vois frissonner. Miss Mademoiselle a les glaglas, je t’affirme. Tiens, touche comme elle trembille, la vilaine !A croire qu’elle roule en Parkinson décapotable, non ?

— Mathias, je dis-je à mon pote, j’ai cru remarquer, en mettant ma valdingue dans la malle arrière, qu’une pelle à manche court figure parmi les outils. Tu veux bien t’en munir ?

Docile, il obtempère. Effectivement, c’est une pelle campinge, avec un manche de quatre-vingts centimètres formant une boucle. Le fer est pointu, incurvé.

— On y va ! décidé-je.

Je dévale la dune, bien droit, enfonçant mes talons dans le sol fluide. Tu me dirais le père de Foucauld arpentant le Sahara à la recherche d’un bar-tabac. La fille menottée est à mon côté car je lui tiens le bras d’une main ferme.

Parvenu au pied du mamelon[9] je m’arrête. Voici une grosse touffe de plantes vivaces qui ressemblent à du genêt.

— Je crois que cela ira, fais-je au Rouquemoute, tu peux creuser ; quand tu seras fatigué, je te reprendrai.

Et je m’assieds à quelques mètres de là sur une espèce de fausse souche rejetée par le flot un soir qu’il en avait marre de trimbaler cette saloperie.

La secrétaire de feu Hans Bergens reste debout, de plus en plus grelottante. Elle regarde Mathias agenouillé, qui creuse à tout-va, comme une taupe qui aurait oublié de fermer le gaz en partant de chez elle. Les pensées qui la bitent (pardon : qui l’habitent) sont aisées à deviner. Il est clair qu’on va la buter et l’ensevelir là. Un monstrueux effroi grimpe le long de ses jambes, traverse son cul carré pour aller escalader sa poitrine en caisse d’horloge. La scène est d’autant plus intense que nous ne mouftons pas. Mathias creuse, creuse. Moi je me tais, tais. La bise souffle, souffle.

Une ambiance folle ! T’aurais ça dans un film d’épouvante, les gens du troisième âge (à gauche en sortant) flouzent plein leurs hardes.

Le trou s’agrandit. Devient éloquent par sa forme. Un consciencieux, le lauréat du prix Cognacq. Il le sait bien que je vais pas refroidir la nana et que tout cela c’est de la mise en scène, mais il met autant de cœur à l’ouvrage que s’il était fossoyeur professionnel !

A un moment, il s’arrête pour souffler.

— Tu veux que je te reprenne ?

— Non, pas la peine.

— Passe-moi le pistolet de cette Vénus que je l’examine.

Il me tend l’arme extra-plate. Je l’ouvre pour l’examiner. Je connais l’outil : fabrication polonaise. Certains agents des pays de l’Est s’en servent volontiers car ça crache des prunes explosives minuscules mais terriblement efficaces et ça ne tient pas de place, la crosse étant repliable.

— Charmant objet ; peut également servir de presse-papiers ; c’est le feu de la femme élégante, murmuré-je.

C’est là que la frangine craque.

— Vous n’allez pas me tuer ? baglatouille-t-elle.

— Pourquoi serions-nous là, comme trois cons, à creuser un trou, sinon ? objecté-je d’un ton indifférent.

Elle gémit :

— Mais je ne vous ai rien fait !

— Si !

Comme si je ne tenais pas à poursuivre la converse, je me lève pour faire quelques pas. Alors la môme se fout à hurler. J’attrape une poignée de sable et la lui flanque dans la trappe. Magique ! Elle s’étouffe, crache, halète, tandis que je continue mon petit footinge en rond autour de la tombe qui s’approfondit de plus en plus.

— Ça irait, comme ça ? demande Mathias.

Je saute dedans. Le niveau du sol m’arrive aux genoux.

— Encore un chouïa, mon gars, le premier petit carnassier venu viendrait la déterrer, tel que c’est maintenant.

Mathias reprend ses fouilles énergiques. San-A. joue avec le pistolet noir qui ressemble à une petite équerre, tant il est plat. Miss Tauzensher sanglote en crachotant ses grains de quartz.

J’ai raison de ne pas moufter. Les grognaces, tu les as au mutisme plus aisément qu’au baratin. T’as remarqué, avec mam’zelle Zouzou, la souris du Vioque, la manière dont je l’ai plombée directo, sans en casser une ! Eh bien à présent, avec Elsi, c’est du kif. Ma partie de mutisme l’affole. Les hommes silencieux sont les plus dangereux.

Elle tombe à mes genoux, saisit mes fumerons à pleins bras, me câline de la joue.

— Je ne vous ai rien fait. Ne me tuez pas !

Peut-être serait-il opportun de commencer à dérouler cet écheveau de laine, non ?

— Ce que vous avez fait à mon ministre ne mérite pas de pardon.

Elle égosille :

— Mais ce n’est pas moi ! Je n’y suis pour rien.

— Tous dans le même sac, et vous y passerez tous, lâché-je.

J’arme le feu et dis à Mathias :

— Arrête, ça doit coller. On va l’allonger dedans et je lui ferai sauter la tête quand elle sera au fond du trou, ça ne laissera pas de trace en surface.

D’un mouvement violent, je la fais basculer à la renverse ; elle s’affale dans la fosse. L’horreur la paralyse !

Le contact du sable, humide dans le fond du trou, la mène aux rives de l’évanouissement. Elle défaille à force de terreur, cette pauvre dame.

J’avance la main.

Elle geint :

— Je ne veux pas ! Je ne veux pas !

En hollandais. Mais Mathias me traduit.

Alors je pousse une monstre gueulée sous le grand ciel de nuit du Seigneur.

— Eh bien, si tu ne veux pas, parle, saloperie !

Quoi ! Qu’est-ce à dire ? Elle a peine à comprendre. Y aurait une lueur d’espoir pour elle ? Il subsisterait un poil de cul de chance de ne pas crever dans l’instant ? Je lui mens, c’est fatal, mais tant pis. Elle peut pas laisser échapper ce brin d’espoir. N’a pas le courage de souffler sur cette faible lueur.

Elle parle, très vite, presque en chantonnant. Elle débite comme grignote un insecte. Cric, cric, cric, crac !.. Elle dit, elle s’affale. Ne laisse rien traîner, rien dans l’ombre. Tout ce qu’elle sait, tout ce qu’elle croit savoir. Tout ce dont elle se doute, qu’elle a cru deviner, subodoré, déduit. En voilà, en voilà encore. Elle sait que tant qu’elle babillera, je ne tirerai pas. C’est de la vie qu’elle se tricote. Elle brode, Pénélope éperdue, un petit coin de tapisserie à sa vie qu’elle juge achevée. Encore un petit moment, monsieur le bourreau, comme disait la Du Barry[10] avant d’y aller du cigare.

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9

Si tu comptes sur moi pour ajouter « de Cavaillon », tu te goures, c’est fini, l’époque des calembours. Ils m’ont élu à la Cadémie sous promesse formelle que j’y renonçais.

San-A.
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10

Je crois que c’est elle ; mais si ce n’est elle c’est donc sa sœur.