Partout que tu vas dans les grandes villes, c’est le même enlisement. Plus la vie va rapidement, plus les déplacements sont durailles. On perd sa jeunesse et, qui piset, sa vieillesse pour se rendre d’un point à un autre. Heureusement que l’informatique permet de plus en plus de rester chez soi. Bientôt personne décarrera plus de sa boutique. On se terrera dans son alvéole, à balancer des messages, des données, des coderies en tout genre. On gagnera son bœuf avec son ordinateur, on se reproduira grâce à lui, on vivra de lui et par lui, tu verras. L’existence sera plus qu’une mémorisation de la vie. Y aura même plus mèche de se branler : on n’aura plus de bite.
Mon taxi driver se range en triple file dans une voie houleuse où grouillent les voitures de police. Il me désigne un vaste bâtiment de béton et verre fumé, neuf mais déjà patiné par la pollution.
J’y plonge. Un peu terrifié à l’idée de prendre d’assaut (comme dit Marcel) cette place forte, mais mon appréhension est injustifiée car tout est vachement balisé dans la grande taule d’Amsterdam. Un vaste hall rappelant celui de l’hosto, avec, au centre, une bulle vitrée qui ressemble à la coupole d’observation du mont Palomar (dont le télescope a 5 mètres d’ouverture, comme me le rappelait l’autre soir l’aîné des frères Lissac). Cette coupole est ponctuée de guichets derrière chacun desquels tu as une préposée en uniforme bleu et taches de rousseur jaunes. Ces dames disposent toutes d’un clavier et d’un écran récepteur rappelant ceux des compagnies aériennes (section enregistrement).
Je me dirige vers une lucarne libre. S’offre à moi une bouille pas baisante, toute en grandes dents excluant mes rêves de fellation les plus impétueux. La demoiselle a dépassé la trentaine à tombeau ouvert, sans marquer le stop, et braque d’autant plus aisément son regard sur moi qu’il est affligé de strabisme tout ce qu’il y a de convergent.
Je tente de la désamorcer avec mon regard 28 bis, celui qui figure sur mon manuel du parfait dragueur à la rubrique « Enjôlage d’une pécore rébarbative » ; mais il reste inopérant. Je risque alors le 29, puis le 30, mais c’est du kif, d’où je conclus : soit que cette péteuse est aveugle, soit qu’elle est de sexe contrarié.
J’allonge ma brème par sa lucarne.
— Je suis un collaborateur du chef de la police parisienne, lequel a dû prendre un rendez-vous pour moi auprès du directeur Hieronymus Krül pour une affaire de la plus haute importance.
Le dragon avance des griffes interminables sur ma carte, l’empare, la dépose devant lui et se met à frapper, très vite, sur son clavier.
Qu’ensuite il guette le résultat, comme un croupier songeant à ses hémorroïdes en attendant que s’immobilise la roulette qu’il vient de propulser. Je poireaute en risquant cette fois mon sourire 56, celui qui est réservé exclusivement aux aliénées réputées dangereuses.
Elle n’y prend pas garde.
Un bruit soyeux se produit et la gorgone concentre son attention sur son cadran. Elle me parle enfin :
— Quatrième étage, couloir A, porte 17.
Je lui virgule une courbette.
— Mille mercis, jolie mademoiselle. Vous savez, il ne faut pas vous tracasser, comme l’on dit chez moi : on n’a que l’âge de ses jarretières.
Dans un pullulement de poulets, je me rends au bureau indiqué. Il est moderne mais plutôt modeste, pas du tout ce qu’on envisage pour un big boss de la Rousse.
Un officier de police en bras de chemise fume un cigare dégueulasse dont il chasse la fumée avec la main pour pouvoir prendre connaissance du dossier étalé devant sa bedaine full of beer.
Il se dresse à mon entrée et hoche la tête. Un malgracieux, cézig, tu peux le chatouiller sous les testicules avec une plume d’autruche tout en l’assurant qu’il est la huitième merveille du monde, il conservera toujours son expression de chiotte bouchée.
— Capitaine Van Dhäl, se présente-t-il, ravi de faire votre connaissance, monsieur le commissaire.
Il parle un bon français, un peu guttural. Accent gestapiste. Et son expression est aussi avenante que celle du gars qui faisait macérer mon ami Samuel dans une baignoire pleine d’eau et de volts.
Le capitaine me désigne un fauteuil en tubulures chromées auquel je confie le contenu de mon pantalon.
Il attend et j’attends, si bien que nous attendons tous les deux. A la fin, comme je ne me décide pas à brancher ma sono, il dit, assez rogue :
— Eh bien, je vous écoute, commissaire ?
Sourire angélique dudit.
— Je suppose qu’il y a eu une erreur dans les transmissions, fais-je, c’est à votre directeur, M. Hieronymus Krül, que je dois parler.
Mon vis-à-vis balaie de la main la cendre de cigare qui vient de choir sur sa limouille.
— Il m’a chargé de le remplacer car actuellement il préside une conférence.
J’opine.
— Alors j’attendrai la fin de celle-ci car je dois lui parler en main propre[11].
Mon électrocuteur tire sur un coin de sa bouche et son mégot de cigare se met à pendouiller comme une quéquette de vieil Annamite (phalloïde).
— Vous risquez d’attendre longtemps : elle vient seulement de commencer.
Toujours mon désarmant sourire de prince consort gardant en point de mire le cul de son épouse régnante.
— La patience fait partie de notre profession, capitaine, ça n’est pas à vous que je vais l’apprendre. Sans elle un flic ne peut réussir. Comme je ne veux surtout pas vous importuner, je vais attendre dans le couloir où j’ai remarqué des chaises qui m’ont l’air confortables.
Je me lève et gagne la porte. Il commence à suer, le gros lard. Il arrache de sa gueule tordue cinq centimètres de merdouille brune enrobée de bave et mugit :
— Hé ! commissaire, un instant !
Me retourne.
— Oui, capitaine ?
— Vous auriez meilleur compte de repasser cet après-midi.
Je plante deux mètres dix de regard intense dans ses vasistas crapauteux.
— Cet après-midi, j’ai rendez-vous avec la presse et il est capital, je dis bien : capital, que j’aie auparavant un entretien avec M. Krül.
Il erre dans une sorte de no man’s land de l’esprit, à la fois emmerdé et perplexe, rageur aussi, mais en sourdine.
D’un geste d’acupuncteur, il plante son reliquat de cigare dans un gros cendrier de métal.
— Asseyez-vous ! grogne l’ours mal léché (s’il l’était mieux, il aurait meilleur caractère).
Je me redépose dans le fauteuil chromé.
— Attendez-moi là, je vais voir ce qu’on peut faire, déclare le capitaine Van Dhäl en décrochant sa veste d’uniforme du portemanteau où elle se reposait.
A cause de son embonpoint ça lui pose autant de problos que s’il s’agissait d’une tenue de scaphandrier. Il finit par se harnacher tant mal que bien sans omettre un seul bouton et sort en claquant la lourde.
Le fils unique et préféré de Félicie prend alors une pose détendue devant l’œilleton du système vidéo dont la pièce est pourvue. Mon petit doigt de pied me souffle qu’on m’observe et je tiens à donner de moi une idée qui me soit avantageuse. Je fais dans le relax. Le gazier sûr de soi et dominateur, comme disait le Grand Colombin de mes deux (étoiles). Je pousse même la décontraction jusqu’à sortir mon petit canif Piaget avec lime à ongles pour me rogner les griffes, du temps que je suis seulabre.