Il était à genoux sur la route. Je me suis incliné sur son oreille et j’ai murmuré :
— Va prendre ton pied ailleurs, bougre de vieux sadique, sinon je te shoote en pleine gueule !
Il s’est relevé avec ses pattes draculesques.
Un grand, je le revois, avec des cheveux gris coupés court, genre officier de réserve. J’ai rien contre les officiers, rien pour non plus. Si y en avait pas, on serait obligés de faire les guerres tout seuls, et on risquerait de les gagner.
Donc, la petite journaleuse avance sa dextre jolie vers mes plaies. Et tout soudain, elle me plante ses ongles dans la viande et laboure ma pauvre frite déjà martyrisée. Rrrran ! Oh ! cette douleur atroce ! Je pousse un rugissement de souffrance à l’intérieur duquel, si tu tends bien l’oreille, tu peux percevoir un cri de surprise. Me jette en arrière. Si fort que je vais tomber. Non ! Deux canons de revolver me retiennent. Heureusement, que sinon je pouvais me bigorner le bulbe contre l’angle du mur.
Les deux tubes d’acier me poussent en avant. Ça fait mal au dossard, mais ça me rattrape l’équilibre.
Ce qui s’opère alors, y a pas de mots, dans aucune langue autre que le sourd-muet pour le raconter. Pourquoi le sourd-muet ? Simplement parce que la langue sourde-muette n’utilise que des gestes et que c’est par gestes que s’écrit la suite. Je t’explique. Ça t’empêchera pas de mourir idiot, mais j’aurai ma conscience pour moi.
Mon sub réalise les choses avant ma pensée pourtant aussi rapide que la lumière (j’ai la preuve, on en a fait l’expérience à l’observatoire de Saint-Alban-de-Roche et le professeur Bauzob m’a fait un certificat que je tiens à ta disposance).
Deux flingues dans les côtelettes. Tu fais quoi ? Tu lèves les bras. C’est d’un classique à se cloquer des pointes Bic dans l’oigne à la place de suppositoires vitaminés. Donc, je lève les mains. Pas longtemps car, avant d’avoir achevé ce mouvement de soumission, je les abats (c’est mon jour d’abats) sur les épaules de Gerda, toujours debout face à moi et dans un élan irrésistible, la fais pirouetter de manière à ce qu’elle occupe ma place et moi la sienne. Tout ça n’a pas duré le temps d’un battement de cils. Dans le mouvement je reconnais les deux gorilles de feu l’armateur que j’ai soporifiés la nuit précédente. Le plus moche tire, mais trop tard et Gerda se chope la bastos dans la hanche. Elle hurle. Ça confusionne. Moi, je feins de braquer une arme entre les superbes nichemards de la gonzesse.
— Laissez quimper vos seringues sinon je la bute et vous avec : je suis premier prix du Conservatoire, classe de Parabellum ! Allons, vite ! beuglé-je.
Les deux argousins de mes fesses lâchent leurs feux. Alors je propulse de toutes mes forces la perfide salope contre eux. Ils trébuchent, tombent, elle de même. L’Antonio joli ramasse les deux pétoires qui gisent sur le plancher. Cela s’appelle avoir la situation bien en main, non ?
— Maintenant, faut vous retenir de respirer, les gars ! je les avertis-je, car au plus léger mouvement je presse les deux détentes à la fois et le joli pied-à-terre ressemblera au garage où se perpétra le vilain massacre de la Saint-Valentin.
Ils restent cois, honteux comme des poules (de luxe) que des renards auraient prises (en levrette). Faut dire que je les ai joués de première, ces deux malfrats et avec une aisance que même au cinoche, dans les superproducs ricaines d’action où tu vois le gars Rambo buter la moitié de l’Asie, torse nu, avec juste des couilles grosses comme ça et un ruban autour de la tête, tu ne trouves pas pareil. T’as mordu un peu, mon neveu, l’efficacité santoniaise ? Deux pétards dans le dos. Et en un temps trois mouvements : bras levés, bras abaissés, pirouette, il reprend l’avantage. Tu crois pas rêver, ta pomme ? Si, bon, alors continue sur ton matelas multisoupirs pendant que je vaque.
Tu sais quoi ? Je glisse un des pétards dans ma ceinture pour garder la main libre et, vite fait, prends une deuxième capsule de gaz soporifique dans ma poche gousset.
« Ptchouff ! »
Le trio roupille illico. Moi je me retiens de respirer et, quand je les juge K.-O., vais au fond de la strasse ouvrir une fenêtre afin de renifler de l’air de bonne qualité. La vue donne sur un bosquet gracieux avec plein d’oiseaux en guise de fruits[16]. Charmant tableau qui incite à la méditation. Je médite donc (à compte d’auteur). Et ce que je parviens à tirer de mes méninges sollicitées suffirait à permettre la réinvention de la fission de l’atome au cas où un con aurait paumé la formule. Ma conduite se développe harmonieusement, telle une route fleurie dans un tableau de Monet. J’envisage, je projette, structure, échafaude, concocte, établis, développe, rectifie.
Primo : neutraliser les trois rigolos de manière à ne rien redouter d’eux quand ils sortiront des vapes. Deuxio : leur faire dire ce qu’il est advenu de l’ex-Excellence Bérurier. Troisio : gagner des contrées plus hospitalières avant que l’homme aux cheveux d’or ne déploie le grand fourbi pour me soustraire à la circulation.
Allez, vzoum ! Passons à l’action !
Si les galériens de jadis étaient entravés de cette manière : les chevilles unies par une chaîne, les poignets attachés dans le dos avec une autre chaîne pour rejoindre celle des chevilles, c’est que la méthode était éprouvée. A quoi bon se mettre le caberluche à l’envers à tester de nouvelles astuces ? J’use de la recette des bagnes d’antan avec mes vilains. Les sangles internes du canapé constituent des liens surchoix. J’emballe mon petit monde comme pour un long voyage et quand je me redresse, satisfait de mon œuvre pis que Bernard Palissy quand il eut découvert l’émail Diamant, j’ai un fort mal de reins dû à mon accroupissure prolongée.
A cet instant de répit, un léger coup de klaxon me fait tressauter (ou sursaillir, si t’aimes pas les verbes du premier groupe). Je mate par la fenêtre et c’est pour entraver une fourgonnette de fleuriste arrêtée devant la porte. Un mec en blouse bleue de livreur saute de son siège et se radine : un rouquin qui pourrait faire le tournesol du fond dans une toile de Van Gogh. Il est maigrelet, avec un pif de belette tuberculeuse. Ses joues mal rasées, du fait de sa rousseur congénitale, le font ressembler à un souci en train d’éclore. C’est fou ce qu’on peut rencontrer comme rouquemoutes aux Pays-Bas. Un patelin situé au-dessous de la mer, c’est fatal que ses naturels aient une pigmentation de carotte, faut comprendre.
Le gus avance son bras pour toquer à la porte, mais j’ouvre dès l’amorce de son geste, le happe par le revers de sa blouse, l’attire à l’intérieur et lui colle mon front olympien dans les gencives.
La douleur que me cause cet impact me fait mesurer l’intensité de la sienne.
Il en tombe à genoux pour une prompte prière. Manchette superbe sur sa nuque. Pourri ! Ecroulaga. Re-bravo, Santonio, cette fois t’es bien l’invincible superman annoncé sur le bon de livraison. J’aurais bouffé une pizza à la cocaïne, je ne serais pas plus puissant. Ethéré, si tu vois. Je plane.
J’emporte mon gus jusqu’à un fauteuil et l’y attache. Dans le fond du local, y a un mignon aménagement en kitchenette. Une casserole d’eau ! Vlaouf ! Dans la bouille à monsieur ! Il ranime. Monte ses stores pour une vérification. Mais ses lanternes sont sourdes. Je lui administre une nouvelle branlée de flotte. Ça réveille. Il extirpe sa langue que mon coup de tronche lui a tuméfiée et, malgré son mauvais état, s’en sert pour repérer les brèches faites dans sa denture. Trois incisives et une canine qui ne valaient pas tripette manquent à l’appel.
16
La poésie de San-Antonio est incontestable, noble, laxative, et aussi acratopège que l’eau de Volvic.