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— Colossal !

Amère, mon hôtesse se lança dans des rancœurs :

— Elle fausse le jeu, cette salope. C’t’une Asiatique par sa mère alors elle se fout de tout, ces gens-là, tu les connais ! On a essayé d’intervenir pour qu’ils cessent cette concurrence déloyale, mais ils sont protégés, ces salauds.

— Par qui ?

— Le Syndicat.

— Quel syndicat ?

Elle me vitriola du regard.

— Tu débarques, hé, plouc ! Le Syndicat de la drogue, bien sûr. Ici, il est plus puissant que le gouvernement.

— Et où se trouve leur petit atelier à baise ?

— A cent pas d’ici : la rue sans trottoir, à gauche en sortant.

— O.K., merci.

Je me levai. Alors, comprenant que je m’en allais, la gonzesse entra en transe.

— Quoi ! Tu me largues pour aller chez cette pute ! Non mais t’es un emmanché de première ! Une grande lope ! Tu veux te faire fourrer par le nain, hein, bougre de sale dégueulasse ? Pédale ! Enfoiré !

Je partis précipitamment sous ses invectives. Elle me coursa jusqu’à la rue et me désigna à la foule en hurlant des malsonnances. Dans sa rogne, elle les clamait en français, et peu de gens les comprirent en dehors du Gravos.

Les rideaux de miss Marika étaient fermés lorsque nous parvînmes devant sa boutique.

— Que faisâmes-nous ? demanda Béru à qui je venais de rapporter ma conversation avec la Française expatriée.

— On attend que le taxi soit libre, gars. Je me vois mal questionner une dame qui a la bouche pleine.

Nous nous mîmes à arpenter la strasse en attendant que la tenancière referme ses jambes pour pouvoir rouvrir son établissement.

Le Dodu s’assombrissait comme un ciel d’orage.

— J’croive pas que tu fusses bien aspiré en m’am’nant ici, Sana, bougonna-t-il ; on perd son temps. J’serais resté chez moi, les gaziers annonçaient la couleur et l’contac s’nouait…

Comme tous les gens dans l’ennui, il avait besoin de s’en prendre à quelqu’un de son infortune ; je comprenais sa réaction. Les autres sont notre seul exutoire possible, le réceptacle et la cause de presque tous nos maux. Nous n’avons qu’eux pour nous décharger des tourments qu’ils nous créent.

— Ecoute, mec, murmuré-je. Peut-être as-tu raison et peut-être as-tu tort. Pour l’instant, nous n’avons pas d’autre solution que de foncer dans la voie choisie.

A l’instant où j’humectais mes lèvres asséchées par cette phrase bien sortie, j’aperçus, débouchant du fond de la venelle, un personnage qui me fit dresser les poils des bras sur la tête.

Un nain !

Un vrai.

Un de moins d’un mètre ou de pas beaucoup plus. Homme d’un certain âge, massif, avec une tête de notable et un corps de motif chinois. Il ressemblait à un « 8 » à cause de ses bras et de ses jambes torses. Un « 8 » à tête.

Il marchait en se dandinant, le menton dressé pour tenter de gagner deux centimètres. Je le trouvai élégant dans son costard prince-de-Galles bien coupé et son polo de soie noire.

— Mords un pneu ce qui nous arrive, Gros !

Bérurier eut un hennissement de licorne (à chaussures) en rut.

— T’veux parier qu’c’est not’bout d’zan ? bavocha le Prophète.

— Allez, go ! Laisse-moi usiner.

Je me dirigeai vers le nabot d’un air décidé non sans avoir accroché un sourire à ma face, comme l’écrit mon cher Aznavour dans son célèbre tube : Tu te laisses haler.

— Vous êtes mister Teddy ? je lui demandai en anglais.

Le nain portait des lunettes, ce qui n’était pas incompatible avec sa taille ; il les assura sur son nez, comme le font tous les binoclés.

— Oui, pourquoi ?

— J’aimerais m’entretenir avec vous, mister Teddy. Je suis un réalisateur de cinéma français. Et voici mon producteur, mister Montgau. On nous a beaucoup parlé de vous et il se trouve que nous aurions un rôle important à vous proposer dans un film sur la Rome antique.

Il sourit, hocha la tête et me tendit vingt-cinq centimètres de bras terminés par une main que je pressai sans grand enthousiasme.

— Je dois vous prévenir que je suis artiste de music-hall, mais n’ai jamais fait de cinéma, déclara cet homme intègre.

— Ce n’est pas une objection valable, mister Teddy, ripostai-je ; car il faut un début à tout.

— Juste ! admit-il, bien que nain.

— Où pourrions-nous discuter tranquillement, mister Teddy ?

Il hésita.

— J’habite ici, fit-il en désignant l’immeuble. Un petit appartement que je partage avec ma nièce, c’est très modeste, je vous préviens.

— Nous n’avons pas l’habitude de signer des contrats dans des palaces, mister Teddy, lui répondis-je tout en m’efforçant d’avoir l’air moins grand que nature afin de le mettre à l’aise.

Il nous fit pénétrer dans cet immeuble du dix-septième siècle où la Hollande souffrante venait copuler. Justement, le client de la demoiselle Marika était en partance pour Panardland et poussait des clameurs de goret saigné en offrant à l’univers blasé quelques centilitres de semence à perpétuer la connerie.

Nous gravîmes un escalier de pierre, ce qui nous permit d’atteindre le premier étage où habitaient le nain et sa nièce. Le logis était en grand désordre ; visiblement, la Marika ne s’occupait pas du ménage. Elle vendait son cul et se camait, là se limitaient ses activités. Le nain ne se cassait pas non plus la nénette.

Il débarrassa un canapé d’un monceau de hardes féminines qu’il déposa précieusement par terre ; libéra un fauteuil de la vaisselle sale qui l’encombrait et nous pria de nous asseoir. L’endroit puait la bière et le H, avec des relents bizarres de cuisine honteuse et de mauvaises digestions consécutives.

Escalier grimpant, j’avais raconté un joli petit scénar au gnome comme quoi il allait jouer un nain maître de plaisirs à la cour de Stradivarius le Grand. Il devait organiser les réjouissances du corps et montrer l’exemple en « aménageant » des vierges pour les préparer à la verge impériale. Il assura que ce rôle le bottait.

Il se voyait déjà en péplum, la bitoune aux quatre vents sous des dais de brocart, mystifiant les colonnes marmoréennes avec son formidable appendice.

Lorsque nous eûmes pris place, il sortit une bouteille d’aquavit ainsi que trois verres douteux qu’il remplit à ras bord et nous offrit.

Bérurier prit alors la parole. Jusque-là il m’avait laissé manœuvrer sans moufter, mais la menteuse lui démangeait.

— Ecoute, grand, m’apostropha le Gros, j’ai rien pigé aux vannes qu’t’as sorties à ce basset artésien, vu que si je parle couramment l’anglais, j’le comprends pas très bien ; mais moi j’trouve que ça va commak et qu’on doit enclencher la vidéo. D’penser qu’c’est c’te moitié d’homme qu’a engouffré ma Berthe av’c sa matraque d’C.R.S., ça m’démange d’le massacrer.

— Calmos, mon lapin.

Béru vida son glass cul sec.

— As-tu une photo de ta bonne femme sur toi ? demandai-je.

— Ben voilions, ça croule de source.

— Donne !

D’un portefeuille marocain en peau de chameau repoussée (et repoussante), mon ami sortit[3] un rectangle de papier glacé sur l’avers duquel figurait sa dame attablée devant une choucroute.

— Un souv’nir d’nos vacances aux Baléares, commenta le cher homme.

Le cliché montrait B.B. épanouie, la bouche grande ouverte prête à y accueillir une saucisse.

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3

Je voulais employer le verbe extraire, mais son passé simple n’existe pas. Et tu voudrais que je cesse de bricoler mon français, toi !