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— Quelle chambre, M. Chultenmayer ? me permets-je.

Mon aimable informateur a de la mémoire, car il ne se donne pas la peine de rouvrir son grimoire.

— 148 !

Je vais pour lui dire merci, machinalement, puis décide que ça risquerait de le vexer et m’éloigne sans autre.

* * *

Ah, la ravissante soubrette ! Seigneur ce qu’elle est belle dans sa blouse à fines rayures bleues et blanches. Tu sais pas ? A cro-quer ! Un visage de déesse noire, la peau café au lait clair avec des joues roses. Des lèvres d’un marron tirant sur le bordeaux. Un regard tendre et rieur. Et alors, son châssis, oh ! la la ! Oh ! pardon ! Elle est justement occupée à « faire la chambre » du professeur Chultenmayer lorsque je me pointe. La chanson langoureuse de son aspirateur ne me lui entend pas venir[5]. C’est seulement ma main fiévreuse sur son bras frais qui la sursaute. Elle file un coup de talon sur le commutateur de l’électrolux lequel, obéissant, ferme sa gueule. M’est avis qu’ici, les aspirateurs doivent vivre moins vieux que les centenaires.

— Bonjour, modulé-je en avançant mes lèvres et mes yeux vers elle.

Elle me file un appel de phares avec ses dents. Boudi, cette blancheur ! Je prends au moins deux cents watts à bout portant dans les rétines.

— B’jour, elle me répond.

— Il est sorti, le monsieur qui habite cette chambre ?

— Oui, y a deux trois minutes.

J’ai un zinzillement là où tu sais, c’est-à-dire dans mon compteur bleu de flic. Toujours désagréable d’apprendre qu’on a raté un homme qu’on cherche, de quelques poussières de temps. Qui sait si le professeur Chultenmayer n’est pas passé dans mon dos tandis que je m’informais de lui ?

— Il était seul ici ?

— Ben oui, m’sieur.

Et j’ai cette question idiote, désespérée, mais qu’on se doit de toujours poser, malgré tout.

— Vous ne savez pas où il est allé ?

Comme si cette femme de chambre à merveilleuse tête de Vénus-linotte pouvait connaître l’emploi du temps de l’inventeur du rayon Ubli ! Faut être moi, je te jure !

La ravissante boutonne mal sa blouse, ce dont je lui rends grâce, car cette inadvertance me permet de découvrir ses cuisses fabuleuses. Eh quoi, bon, une paire de cuisses, on aura beau dire, beau faire, plus t’en vois, moins il t’en reste à voir, non ? Ou si je me trompe ?

— Ah non, j’sais, m’sieur. J’ai frappé la porte pour lui demander si je pouvais faire la chambre. Il m’a dit qu’oui. Et pis le téléphone a sonné, et il a répondu qu’oui. Et pis qu’il descendait le rejoindre tout de suite, et puis que, c’est ça : il le rejoignait au parkingue, qu’il pouvait sortir sa voiture[6].

— Qui ça, il, mon petit chou ?

Elle glousse.

— Mon petit chou ! Vous alors, vous avez envie de baiser français pour me dire ça ! Moi, je baise français, aussi bien qu’à Paris. Vous voulez qu’on baise français, les deux ? Avant de travailler ici, je faisais boutique-mon-cul, mais c’est plein de voyous qui me prenaient tout. Alors j’aime mieux travailler. C’est moins fatigant et je peux garder mes sous, et de temps en temps baiser français avec des beaux hommes comme vous qui baisent bien comme y faut français.

Elle me téléphone une main tombée au calbute.

C’est preste, expert, gentil, prometteur.

Je cueille sa dextre, la flatte entre mes deux paluches fraternelles. C’est pas tout de suite l’époque des champignons, dis ! J’ai d’autres chagattes à fouetter. Tu m’imagines en pleine enquête, et avec Marie-Marie dans l’hôtel, faisant le coup de l’amanite folâtre à une coquine soubrette ivoirienne ?

— Attends, confonds pas chaude-lance et précipitation, doux trésor, tu me racontais que le vieux monsieur disait à un certain « il » de sortir la voiture du parking ?

Mon tutoiement soudain lui laisse bien augurer de la suite. Elle envisage une belle glissade de nos relations.

— Oui, il lui disait ça comme ça et comme quoi qu’il allait le rejoindre.

— Mais tu as une idée de qui était ce fameux « il » ?

— Je crois que c’était un monsieur ou une dame, répond-elle sans ambiguïté.

— Bravo. Le vieux bonhomme n’a pas dit de nom ?

— Non, pas de nom. Il a juste dit « Oui ». Et puis il a ajouté : « D’accord, je vous retrouve au parkingue, commencez de sortir la voiture ». Et il est parti.

Donc, il voussoyait son correspondant. Chultenmayer tutoie-t-il son épouse ? J’aimerais avoir le père Boujus à portée de question pour le lui demander.

— Il était habillé de quelle façon, le monsieur de cette chambre ?

— Comme un monsieur-monsieur.

— C’est-à-dire ?

— Il avait un complet-complet, avec la veste, et un gilet et pis une cravate, et encore des souliers, et puis un chapeau.

— Quelle couleur, son complet-complet ?

— Gris bien foncé, tu sais ?

— Et son chapeau ?

— Noir. Tu sais ?

— Ça va, merci.

— Alors tu veux qu’on baise français ? Moi je te fais pareil qu’à Paris : avec de l’huile de palme dans l’ognon. Et aussi je t’enveloppe la bibique dans des feuilles de kokikako, pour que ça t’la chauffe. Xactement comme à Paris, j’te dis. Tiens, voilà mon adresse en ville. J’sus chez moi à partir de six heures le soir.

Très organisée, la môme me cloque un petit rectangle de papier dans la poche.

Je lui promets une prompte visite et m’esbigne.

* * *

Le voiturier est un grand diable en uniforme, coiffé d’une casquette galonnée. Comme les couteaux de la vaillante année helvétique, il est à plusieurs usages et met la main aux bagages, le cas déchéant. Vareuse posée, il lui arrive aussi de laver des bagnoles, et c’est pile ce qu’il est en train de faire lorsque je me pointe au parking.

— Salut, fiston, l’abordé-je familièrement. T’as déjà vu un billet d’un dollar ?

Je lui en montre un qui traînassait dans un compartiment désaffecté de mon portefeuille.

— Ouais, il me répond, tout en épongeant l’abdomen d’une Citroën noire, y a plein d’Américains dans l’hôtel.

— Tu le veux ?

— Mettez-le dans ma poche, siouplaît, j’ai les mains mouillées.

Je glisse la banknote là où il demande avec son menton.

— T’as dû voir partir un vieux bonhomme avec un costume gris et un chapeau noir, non ? Y a un instant ?

— Çui qui se faisait du vent avec son chapeau ?

— Sans doute. Quelqu’un l’attendait en voiture, tu sais ?

— Oui.

— C’était quoi, comme bagnole ?

— Une grosse Chevrolet blanche décapotable.

— Qui la conduisait ?

— Un chauffeur.

— Il était comment, ce chauffeur ?

L’épongiste s’arrête d’éponger. Il tord le zoophyte mort au-dessus de son seau, puis en essuie son front ensué.

— Et pour un dollar, faudrait vous dire quoi encore ? il me demande en rigolant.

Mais ce n’est qu’espièglerie de sa part.

— Vous êtes de la C.I.A., non ? me demande-t-il.

Comme j’ignore si cet organisme a ses faveurs ou pas, je préfère éluder, estimant qu’une non-réponse est souvent plus satisfaisante qu’un oui ou qu’un non franc et massif.

Ma moue renfrognée l’excite.

— Bon, alors je vais vous dire. Le chauffeur, c’était un nègre, comme moi. Et il était plus vieux que moi, avec des cheveux blancs comme j’ai pas. Et la bagnole, je sais pas, mais il me semble bien que c’était une voiture officielle, à cause qu’y avait un porte-fanion sur l’aile avant, mais sans le fanion. Elle était matriculée ici, en Côte-d’Ivoire. Et le chauffeur, y l’est arrivé y avait une heure. Je l’ai fait remiser là-bas, à l’ombre. Il était parti dans l’hôtel parce qu’une décapotée, au soleil, on se brûle le cul en s’assoyant. Et puis il est revenu juste avant ce vieux qui se faisait du vent avec son chapeau noir. Il a sorti la voiture et a attendu le vieux ici, vous voyez ? Et quand le type a arrivé, en se faisant du vent avec son chapeau noir, le chauffeur lui a ouvert la portière de derrière. Et bon, voilà, ils sont partis. Ça doit être vachement chouette de travailler à la C.I.A., hein ?

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5

Ça sonne pas très bien, mais faut tout essayer, pas craindre les tentatives, on ne va pas toujours rester les deux pieds dans le même stylo, quoi, merde !

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6

Puis-je te faire observer que mes héros noirs n’escamotent pas les « r », ainsi qu’il est d’usage dans une littérature dont je tairai le nom ? Et que dans ma boutique, même quand il prononce le mot « monsieur » tu distingues parfaitement le « r ».