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Thorby ne répondit pas. Baslim continua.

— Une main pour la première faute. C’est le prix que Ziggie a payé pour apprendre son métier. Oh, c’est sûr qu’il est bon, sinon il ne serait pas dans les parages en train d’exercer sa profession. Sais-tu ce qu’implique la récidive ? Pas seulement la deuxième main, n’est-ce pas ?

La gorge de Thorby se serra.

— Je ne suis pas sûr.

— Je crois que tu en as entendu parler, mais tu ne veux pas t’en souvenir. – Baslim passa son pouce en travers de sa gorge. – C’est ce qui arrivera à Ziggie la prochaine fois, il sera raccourci. La justice de sa Sérénité considère que quelqu’un qui n’a pas tiré la leçon la première fois n’apprendra pas la deuxième, alors on le liquide.

— Mais, Pop. Je ne serai pas pris ! Je ferai très attention… Comme aujourd’hui. Je te le promets !

Baslim soupira. Le gamin refusait de croire que cela pouvait lui arriver.

— Thorby, va chercher ton acte de vente.

— Pour quoi faire ?

— Va le chercher.

Le garçon ramena le papier, Baslim l’examina : « un enfant de sexe mâle, enregistré sous le nombre (cuisse gauche) 8XK40367 ». Prix : neuf minimes et débarrassez le plancher ! Il regarda Thorby et s’aperçut avec étonnement qu’il était plus grand d’une tête que le jour de la vente.

— Apporte-moi mon stylet. Je vais te libérer. J’ai toujours voulu le faire, mais cela ne pressait pas. Mais nous allons le faire tout de suite, et demain nous irons aux Archives Royales pour t’enregistrer.

Le visage de l’enfant se décomposa.

— Pour quoi faire, Pop ?

— Tu n’as pas envie d’être libre ?

— Euh… Enfin… J’aime bien t’appartenir.

— Merci, petit. Mais je dois le faire.

— Tu veux dire que tu me mets à la porte ?

— Non, tu peux rester. Mais seulement comme un affranchi. Tu sais, fiston, un maître est responsable de la conduite de son serviteur. Si j’étais noble, j’aurais une amende. Mais comme ce n’est pas le cas… Enfin, si je perdais une main, encore une jambe et un œil, je pense que je ne pourrai pas m’en sortir. Alors si tu as l’intention d’apprendre le métier de Ziggie, je dois te libérer. Je ne peux pas prendre les risques à ta place. J’ai déjà trop perdu. Si on m’enlève encore quelque chose, je serai plus heureux mort.

Il avait exposé la situation brutalement, sans mentionner que la loi n’était jamais appliquée avec autant de sévérité. En pratique, l’esclave était confisqué, vendu, et le prix de la vente servait à indemniser la victime, si le maître n’avait pas de biens. Si celui-ci était un homme du commun, il était à même de recevoir le fouet, dans le cas où le juge le croirait non seulement responsable légalement, mais complice du délit. Cependant Baslim avait cité la loi. Puisque le maître pouvait exercer haute et basse justice sur son esclave, il était donc personnellement responsable des actes de celui-ci, pouvant l’entraîner jusqu’à la peine de mort.

Thorby se mit à pleurer, ce qui arrivait pour la première fois depuis le début de leur vie en commun.

— Ne me laisse pas tomber, Pop. Je t’en prie, ne le fais pas ! Je dois t’appartenir.

— Je suis désolé, fiston. Je t’ai dit que tu peux rester.

— Je t’en prie, Pop. Je ne chaparderai plus jamais !

Baslim le prit par l’épaule.

— Regarde-moi, Thorby. Je vais te proposer un marché.

— Tout ce que tu veux. A condition que…

— Ecoute d’abord ce que j’ai à te dire. Je ne vais pas encore signer tes papiers. Mais je veux que tu me promettes deux choses.

— D’accord ! Quoi ?

— Ne te précipite pas. La première, c’est que tu me donnes ta parole de ne plus jamais rien voler. Ni aux belles dames dans des chaises à porteurs, ni aux pauvres comme nous. Dans le premier cas c’est dangereux, et dans le deuxième… Eh bien, c’est indigne, mais je ne suis pas sûr que tu comprennes la signification de ce mot. Ensuite, tu ne devras plus jamais me mentir sur aucun sujet… sur rien.

Thorby articula lentement.

— Je te le promets.

— Je ne parle pas simplement de l’argent que tu m’as détourné. Je veux dire rien. A propos, un matelas n’est pas un bon endroit pour cacher de l’argent. Regarde-moi, tu sais que j’ai des relations dans toute la ville.

Le garçon hocha la tête. Il avait délivré des messages pour le vieil homme dans des endroits bizarres et à des gens curieux. Baslim reprit.

— Si tu voles, je le saurai… un jour ou l’autre. Si tu me racontes des mensonges, je t’attraperai… en fin de compte. Si tu mens aux autres, c’est ton affaire, mais je te préviens : quand un homme se fait une réputation de menteur, il n’a plus qu’à devenir muet, parce que les gens ne prêtent pas attention au vent. Ça ne fait rien. Le jour où j’apprends que tu as volé quoi que ce soit… ou que je te surprends en train de me mentir… je signe tes papiers et tu seras libéré.

— Oui, Pop.

— Ce n’est pas fini. Je te chasserai d’ici avec ce que tu avais quand je t’ai acheté : un pantalon et une série de bleus. Entre toi et moi, tout sera terminé. Si j’ai l’occasion de te revoir, je cracherai sur ton ombre.

— Oui, Pop. Je ne le ferai jamais, Pop !

— Je l’espère. Va te coucher.

Baslim gisait sur son lit, éveillé et inquiet. Il se demandait s’il n’avait pas été trop dur. Mais, bon sang, c’était dans un monde sans pitié qu’il lui fallait apprendre au gamin à vivre.

Il entendit un bruit qui ressemblait à un grignotement. Il se figea et écouta attentivement. Le garçon se leva doucement et alla vers la table, là il perçut le tintement des pièces de monnaie posées sur le bois, enfin l’enfant retourna à sa paillasse.

Quand Thorby se mit à ronfler, le vieil homme put enfin s’endormir à son tour.

3

Baslim avait depuis longtemps appris à Thorby à lire et à écrire le Sargonais et l’Interlingua, en l’encourageant avec des taloches et d’autres stimuli, car l’intérêt du garçon vis-à-vis des matières intellectuelles était à peu près nul. Mais l’incident concernant Ziggie et la prise de conscience que le petit grandissait lui rappela que le temps ne restait pas figé, en tout cas pas avec les enfants.

Thorby ne fut jamais capable de dire exactement à quel moment il comprit que Pop n’était pas précisément (ou pas uniquement) un mendiant. Il recevait désormais une formation extrêmement rigoureuse, accélérée à l’aide de moyens étonnants, un enregistrement, un projecteur, un répétiteur, pendant le sommeil. Tout cela aurait dû le mettre sur la voie, mais à ce moment-là rien de ce que Pop pouvait faire ou dire ne le surprenait. Pop savait tout et pouvait résoudre n’importe quoi. Thorby connaissait suffisamment bien les autres mendiants pour remarquer des différences, mais elles ne le troublaient pas. Pop était Pop, comme le soleil et la pluie.

Ils ne mentionnaient jamais à l’extérieur de chez eux ce qui se passait à l’intérieur, ni même où était situé leur domicile. Ils n’y invitaient jamais personne. Thorby se fit des amis, Baslim en avait des douzaines, voire des centaines, et semblait connaître de vue la ville entière.

Mais le garçon était le seul à avoir accès à sa cachette. Il était conscient que Pop avait des activités parallèles à la mendicité. Une nuit, ils allèrent se coucher comme d’habitude. Thorby se réveilla vers l’aube, entendit du bruit et appela d’une voix ensommeillée :

— Pop ?

— Oui, c’est moi. Dors.

Au lieu d’obéir, il se leva et alluma les plaques éclairantes. Il savait que Baslim avait du mal à se déplacer sans sa jambe dans le noir. Si Pop voulait un verre d’eau ou autre chose, il irait le lui chercher.