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— Montre-moi comment tu as fait avant.

— Une autre fois, si tu es sage. Mais maintenant, tu vas apprendre à te servir de tes yeux. Thorby, cette gymnastique de l’esprit a été développée il y a très longtemps par un homme avisé, le docteur Renshaw, sur la planète Terre. Tu as entendu parler de la Terre ?

— Mais… Bien sûr.

— Hum… Ce qui veut dire que tu n’y crois pas ?

— Euh, je ne sais pas… Mais avec toutes ces histoires sur l’eau glacée qui tombe du ciel, les cannibales de trois mètres de haut, les tours plus hautes que le Praesidium, et les hommes plus petits que des poupées qui vivent dans des arbres. Enfin, Pop, je ne suis pas un idiot.

Baslim poussa un soupir en se demandant combien de milliers de fois il avait déjà soupiré depuis qu’il s’était mis un fils sur le dos.

— Les histoires sont embrouillées. Un jour, quand tu auras appris à lire, je te laisserai visionner des livres auxquels tu pourras faire confiance.

— Mais je peux déjà lire.

— Tu crois que tu peux. Thorby, il y a un endroit qui s’appelle Terre, un lieu vraiment étrange et merveilleux, une planète étonnante. Malgré la proportion habituelle d’imbéciles et de scélérats, beaucoup d’hommes sages y ont vécu et y sont morts ; un peu de leur intelligence nous est parvenue. Samuel Renshaw était l’un d’eux. Il a prouvé que la plupart des gens vivaient leur existence à moitié éveillés. En outre, il a montré comment un homme peut se réveiller, vivre en voyant avec ses yeux, en entendant avec ses oreilles, en goûtant avec sa langue, en pensant avec son esprit, et se rappeler de tout ce qu’il a vu, entendu, goûté, et pensé. – Le vieil homme sortit son moignon. – Ceci ne fait pas de moi un infirme. Je vois mieux avec mon œil unique que toi avec deux. Je deviens sourd… Mais pas aussi sourd que toi, car je me souviens de ce que j’entends. Lequel de nous deux est l’infirme ? Mais, fiston, tu ne vas pas rester infirme ? Je vais t’appliquer la méthode Renshaw, même si je dois l’enfoncer à coups de poing dans ta tête de linotte !

A mesure qu’il apprenait à utiliser son esprit, Thorby réalisait que cela lui plaisait. Il était gagné par un appétit insatiable pour la page imprimée ; Baslim devait toutes les nuits lui intimer l’ordre d’éteindre la visionneuse et d’aller au lit. Thorby ne voyait pas l’utilité de ce que le vieil homme l’obligeait à assimiler, par exemple, des langues qu’il n’avait jamais entendues parler. Grâce à son nouveau talent, elles ne lui semblèrent pas difficiles. Il les trouva même dignes d’intérêt quand il constata que Baslim avait des bobines et des bandes qui pouvaient être lues ou écoutées seulement dans ces langues « inutiles ». Il adorait l’histoire et la galactographie. Son univers personnel, élargi des années-lumière dans l’espace physique, avait été en réalité aussi étroite que l’enclos des esclaves chez un intendant. Thorby toucha des horizons immenses avec la joie d’un bébé qui découvre son poing.

Cependant il ne voyait pas d’autre but aux mathématiques que l’usage barbare de compter de l’argent. Mais il apprit bientôt qu’elles n’en avaient pas besoin. C’était un jeu, comme les échecs, mais en plus amusant.

Le vieil homme se demandait quelquefois à quoi tout cela servait ? Il savait désormais que le garçon était plus intelligent qu’il ne l’avait supposé. Mais était-ce juste envers lui ? N’était-il pas en train de lui apprendre à être insatisfait de son sort ? Quelles étaient les chances de l’esclave d’un mendiant sur Jubbul ? Zéro à la puissance zéro restait toujours égal à zéro.

— Thorby.

— Ouais, Pop. Attends une minute. Je suis au milieu d’un chapitre.

— Tu le finiras plus tard. Je veux te parler.

— Oui, mon seigneur. Oui, maître. Tout de suite, chef.

— Sois poli, s’il te plaît.

— Pardon, Pop. Qu’y a-t-il ?

— Fiston, que vas-tu faire quand je serai mort ?

Le garçon eut l’air impressionné.

— Tu te sens mal ?

— Non. Autant que je puisse en juger, je durerai des années. D’un autre côté, je peux ne pas me réveiller demain. A mon âge, on ne sait jamais. Si cela se produit, que feras-tu ? Occuper mon emplacement sur la Place.

Thorby ne répondit rien. Baslim continua :

— Tu ne peux pas le faire et nous le savons bien tous deux. Tu es déjà trop grand, tu n’es plus convaincant. Les gens ne donnent plus autant que quand tu étais petit.

— Je n’avais pas l’intention d’être une charge pour toi, reprit-il lentement.

— Me suis-je plaint ?

— Non. – Thorby hésita. – J’y ai pensé… un peu. Tu pourrais me louer à une entreprise.

Le vieil homme fit un geste d’impatience.

— Ce n’est pas une réponse ! Non, fiston, je vais te renvoyer.

— Pop ! Tu avais promis de ne pas le faire.

— Je n’ai rien promis.

— Mais je ne veux pas être libéré. Si tu me libères, eh bien, je ne m’en irai pas !

— Ce n’est pas exactement ce que je veux dire.

Thorby resta silencieux un long moment.

— Tu vas me vendre, n’est-ce pas ?

— Pas exactement. Enfin… oui et non.

Le visage du garçon prit une expression vide. Enfin il dit calmement :

— C’est l’un ou l’autre, je comprends… J’imagine que je ne devrais pas me plaindre. C’est ton droit et tu as été le meilleur… maître… que j’ai jamais eu.

— Je ne suis pas ton maître !

— C’est pourtant ce que disent les papiers. Témoin le numéro sur ma jambe.

— Ne parle pas ainsi ! Ne parle jamais ainsi !

— Un esclave ne doit tenir que ce langage, sinon il ferait mieux de ne pas ouvrir la bouche.

— Alors garde-la fermée, pour l’amour de Dieu ! Ecoute, fiston, laisse-moi t’expliquer. Tu n’as rien à faire ici, tu le sais aussi bien que moi. Si je meurs avant de t’avoir libéré, tu reviens au Sargon.

— Ils devront m’attraper !

— Ils y arriveront. Mais l’affranchissement ne résout rien. Quelles sont les corporations ouvertes aux affranchis ? La mendicité, bien sûr, mais tu serais obligé de te crever les deux yeux pour gagner de l’argent ! La plupart des affranchis travaillent pour leur ancien maître, car les hommes nés libres ne leur laissent que les rognures. Ils sont irrités par un esclave libéré. Ils ne veulent pas travailler avec lui.

— Ne t’inquiète pas, Pop. Je me débrouillerai.

— Je m’inquiète. Alors écoute-moi. Je vais m’arranger pour te vendre à un homme que je connais, qui t’emmènera loin d’ici. Ce ne sera pas un vaisseau d’esclaves, juste un vaisseau ordinaire. Mais au lieu d’aller au lieu indiqué sur le connaissement, tu…

— Non !

— Tais-toi. Tu seras lâché sur une planète où l’esclavage est contre la loi. Je ne peux pas te dire laquelle, parce que je ne suis pas sûr de l’itinéraire du vaisseau, ni même encore du nom du vaisseau. Je n’ai pas encore mis au point les détails. Mais je suis convaincu que tu te feras une place dans n’importe quelle société libre.

Baslim s’arrêta pour ruminer une pensée qui l’assaillait souvent. Devait-il envoyer le gosse sur sa propre planète d’origine ? Non, ce serait non seulement trop difficile à organiser, mais ce n’était pas le bon endroit pour un nouveau venu… Il fallait l’envoyer à n’importe quelle frontière du monde où un homme n’a besoin que d’être intelligent et travailleur. Il y en avait plusieurs sur la route commerciale avec les Neuf Mondes. Il souhaita avec lassitude trouver un moyen de connaître le lieu d’origine du garçon. Il aurait probablement de la famille, des parents qui seraient à même de l’aider sur place. Bon sang, il devrait y avoir méthode d’identification valable dans toute la galaxie !