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— Mesdames, attaqué-je, après l'audition des jeunes gens dont vous vous occupez avec tant de sollicitude, il appert que le garçon égorgé avait un rendez-vous qu'il qualifiait d'important dans le labyrinthe. Il aurait même déclaré que celui-ci allait changer beaucoup de choses. Il s'y est donc rendu pour n'en plus revenir. Comme il y a eu ici, dans la soirée, une sévère partouze avec toute la troupe, partouze aimablement engagée par la projection d'une cassette « X » intitulée La Tzarine en folie, œuvre en costumes, d'un certain niveau artistique. Comme il y a eu cette partouze, dis-je, je ne pense pas que le rendez-vous dont parlait le jeune Riton ait été pris avec quelqu'un de cette maison. Il n'y avait aucune raison, à mon sens, que le pauvre diable aille rejoindre secrètement une personne qui venait de tout lui accorder ouvertement. Par conséquent je vous mets hors de cause.

Un éclair de satisfaction passe dans les huit prunelles. A cet instant, je me baisse et fais mine de ramasser quelque chose que j'ai préalablement placé dans ma main, bien que j'aie eu le réflexe de n'y pas toucher de prime abord. Mais moi, tu le sais, Cugnazet, je carbure à l'instinct, à l'élan, à la foucade. Ma vie et ma carrière consécutent d'initiatives spontanées, prises sans avoir été préméditées.

Je me redresse en brandissant entre le pouce et l'index le tube de rouge à lèvres trouvé par Béru dans les buis du labyrinthe.

— L'une de ces dames a perdu ça, murmuré-je d'un ton détaché.

Je dépose le tube sur un guéridon. Francine de Saint-Braque s'en approche, le prend pour l'examiner.

— Soleil d'or de Chanel, fait-elle, c'est le vôtre, Marguerite.

La « dame du milieu » c'est-à-dire celle qui frise la quarantaine, tend la main. S'empare du tube à son tour. Puis elle va chercher son sac à main posé sur la cheminée et le glisse dedans.

J'échange avec Alexandre-Benoît un regard éloquent. Léger mouvement de tête, et Sa Majesté se penche sur la personne.

— Vous voudrez-t-il qu'nous passassions dans vot'chamb', jolie médème, gazouille le moumouté. C'est rapport qu'j'aurais quéqu'chose à vous dire d'en particulier.

Un peu surprise, la dame sort au côté de mon éminent camarade. Le silence qui succède est un peu huileux. Mal fagoté. Elles attendent des décisions de moi. Et ma pomme de balancer sur la conduite à adopter. Il est grand temps d'alerter le procureur de la République. Cet assassinat dont on diffère la révélation toute une journée va finir par nous bordéliser la vie à tous. Depuis une heure je suis complice du silence. Seulement, si la meute des confrères du cru se pointe, il en sera terminé de ma liberté de manœuvre. Il faut donc que j'ouvre le parapluie.

A cet instant, une bouffée d'amitié m'arrive en la personne de Jérémie Blanc. Il est impec, le Noirpiot, dans une veste de daim jaune et un pantalon noir. II fait batteur d'orchestre. Il sent bon la brillantine de bureau de tabac. Son sourire est si blanc que tu ne peux pas le contempler sans porter des lunettes de soleil.

Cette assemblée de femmes le déconcerte quelque peu. Il salue d'un « Mesdames » claironnant et vient à moi, la main tendue.

— Salut, Sana ! Eh ben, la reprise ne traîne pas avec toi !

Mon expression coincée lui fait mettre une sourdine. Sa large prunelle rapetisse un peu.

— Tiens compagnie à ces aimables personnes pendant que je vais téléphoner, dis-je.

Lui, un peu marri. Il ignore chez qui il se trouve et ce qui s'y passe. N'ose questionner l'habitant.

Pour ma part, je cherche un coin isolé, me permettant de communiquer à l'aise. Finis par opter pour un bureau-bibliothèque situé au bas de l'escalier.

Par chance, le Dabe est encore à la Grande Volière. Il doit y lutiner sa nouvelle conquête car je perçois des gloussements flûtés.

— Qui ? Ah ! San-Antonio ! Quel bon vent, mon garçon ?

Son garçon lui fait un résumé admirablement succinct des événements qu'il a eu la joie de te narrer avec son brio habituel. Je lui rapporte la visite chez « nous » de Francine de Saint-Braque ; le petit Riton et son histoire de pafs entreposés dans le réfrigérateur d'une pharmacienne ; la seconde visite nocturne en ma compagnie et la déconvenue du garnement ; son assassinat suivi de la fâcheuse émasculation, et nous maintenant à pied d'œuvre.

— Drôle d'affaire, mon petit homme, qui va où ? demande-t-il.

— Bien incapable de vous le préciser pour l'instant, monsieur le directeur ; je voudrais pouvoir taire la chose pendant encore un jour ou deux afin d'avoir ma liberté de mouvements.

— Eh bien ! taisez-la, mon vieux ; taisez-la !

— Seulement, il y a un cadavre dans un parc, ça fait désordre.

— Faites-le évacuer par une voiture du Service Kub, Antoine. Ils vous le foutront au frigo sous une étiquette numérotée. Zouzou ! Vous me mordez, taquine ! Je vais avoir une marque sur le gland ! C'est tout, mon petit ? J'ai pas mal de travail en ce moment, et je…

— C'est tout, monsieur le directeur. Pardon d'avoir interrompu un instant vos travaux !

— Je vais faire mettre les bouchées doubles ! glousse le Vioque. Bonne chasse !

Je raccroche, soulagé. Compose le numéro du Service Kub. Qu'à cet instant, un hurlement tombe de l'étage. Grand cri déchirant de femme déchirée.

Je m'élance.

Des plaintes succèdent. Des protestations véhémentes !

— Oh ! non, c'est de la folie ! il me l'a foutu dans le petit, ce gros con !

Je parviens en une chambre tumultueuse où Béru est en train d'embroquer de magistrale manière la personne que je lui ai naguère confiée pour être interrogée. Elle démène du fion, la bourgeoise, mais le grand primate des campagnes normandes la maintient en position convenable de ses paluches d'airain.

— Calmos, ma grande ! exhorte-t-il. Déménage pas des miches d'cette manière ! J'ai huilé l'engin après m'avoir mouché dans mes doigts ! T'vas voir : le premier moment d'surprise passé, ça va d'viendre délectabe. Agite-toi pas, j'vas te faire un accompagnage de guitare par-devant pour t'aider. Là, brrr ! Tout beau ! Doucement ! Le finegueur dans la moulasse ! Voilà, on se calme ! On épanouit des meules ! J'y vais sans forcer. Au pas d'parade ! Comme à Buchinegame ! Ah ! on chiale plus, maint'nant, petite médème ! Ça tourne au bonheur, le chibrac à Béru, ma poule de lusc ! On s'l'encadre fastoche ! A la paresseuse ! Comme si j'te jouererais « L'Beau Danube Bleu ». Aspro, la douleur s'en va ! Refais-toi un n'ognon tranquille, ma chérie, rien n'presse. Dès qu'tu m'rec'vras confort'ment, j'forcerai l'allure, t'donner d'I'agrément.

« Ah ! déjà, on emballe du joufflu ! On prend l'initiative elle-même ! C'est tout d'sute la rage du cul ! Médème chôme pas du valseur. On sent qu'elle raffole les sensations fortes ! Qu'elle a l'habitude de s'enquiller des mandrins dans les orifesses ! Oh ! dis donc, c'cent' d'accueil ! Et dire qu'é protestait y a pas deux minutes comme quoi j'la fourrais par l'petit bout d'la lorgnette ! Ah ! non, j'vous jure, c'est ben pour dire d'magnérer ! Le goût d'se faire plaind' ! Toujours des mondanités, quoi, même quand on s'en déguste quarante centimèt' dans la malle arrière ! Des chichis ! C'est la tavisme qu'elle fait ça ! La haute, c'est la haute ! Ça peut pas rester simpl' ! S'laisser miser sans rauner. Faut simagréer coûte qu' coûte pour en jeter ! S'mett' en valeur !

« Moi, j'vois une serveuse d'routier, j'l'empétarde sans qu'é fasse un frometon ! Mon gros braque, elle fait « ouille » un bon coup et on tourne la page ! Qu'au b'soin é pleure en silence. Mais c'te rombière huppée, avec son pétrus kif une porte d'grange, é se croirerait déshonorée de morfler mon Pollux sans faire d'cinoche.