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J'attends les envoyés du Service Kub car il serait temps de mettre le cadavre au placard. On vit un moment drôlement biscornu, dans ce château où de jeunes repris de justice sont cajolés, sucés et déburnés par des dames fofolles, gentiment dépravées. Comme le dit ma crémière Mme Petibois : « On ne peut pas croire que ça existe, ces choses-là ! » Et pourtant si : elles existent.

Je perçois le pas lourd du gars Béru au-dessus de nos tronches. Ce qu'il fait, le gros marle, tu penses que je le sais : il fouille dans toutes les pièces à la recherche d'indices. Il cherche du linge ensanglanté, il cherche un rasoir, éventuellement aussi une biroute et ses pruneaux d'Agen. Il joue le crime « in », par acquit de conscience, avant que nous n'envisagions le crime « out ». Mais d'après les dires du rouquin qui partageait la piaule de Riton, ce dernier avait un renque sérieux qui pouvait changer beaucoup de choses. Et ça signifie quoi, « changer beaucoup de choses », dans sa situation ?

Le Service Kub se pointe enfin. Deux hommes avec un fourgon sombre, sans vitres. On se dit peu. J'allonge ma brème et les guide jusqu'au corps dans le soir tombant. Ils se sont munis d'un brancard pliant et chargent Riton sur cette civière. Puis ils repartent sans un mot.

Je retourne au salon et biche Francine de Saint-Braque en aparté.

— On a emporté le cadavre, lui annonce-je. Considérez que, jusqu'à nouvel ordre, l'affaire est au point mort. De deux choses l'une : ou bien l'enquête prouve que c'est quelqu'un de l'extérieur qui a tué le môme, et vous n'en entendrez plus parler, ou bien, au contraire, elle indique que le meurtrier est quelqu'un d'ici, et les choses suivront un cours normal.

— Merci, fait la châtelaine dévergondée ; je suis intimement persuadée que mes invités sont étrangers à cet horrible meurtre.

— Je vous le souhaite.

Bérurier réapparaît enfin, l'air buté, le front large. Son regard contient des amertumes de choix. Depuis qu'il porte moumoute, il a tendance à garder son chapeau à la main, ce qui lui confère une politesse à laquelle il ne nous a jamais habitués.

— Dans le fion la balayette ? lui lancé-je en loucedé.

— Jusqu'au gosier, mec ! Et c'est pas faute qu'j'aie farfouillé tout azimut ! J'm'ai même payé le contener des ordures.

Nous prenons congé de la cotterie. J'informe ces étranges personnes qu'elles ne devront pas quitter la propriété jusqu'à nouvel ordre et que nous reviendrons incessamment et peut-être même avant.

Y a comme une grande misère existentielle dans ce noble domaine. On sent que les mânes des aïeux font la gueule en voyant ce qui se passe en ces lieux qu'ils édifièrent, chérirent et auxquels ils s'attachèrent à donner une réputation de dignité. Un bordel en folie ! Un lieu de crapuleuses débauches.

Jérémie, qui n'a pas l'habitude de ces endroits presque historiques (celui-ci est hystérique), déclare rêveusement :

— Elle a de la classe, cette femme.

— Beaucoup, dis-je, surtout quand elle fait des pognes à ses protégés pour recueillir le produit de leur éjaculation dans une coupe de champagne qu'elle vide ensuite à leur santé !

Là, il bloque un penalty avec son plexus, le Noirpiot. N'en croit pas ses baffles.

— Elle…

— Elle !

— Merde !

— Y a de ça !

— T'en es certain ?

— C'est le petit gars trucidé qui me l'avait appris, et ses potes m'ont confirmé la chose.

— Elle est malade ?

Sa Majesté intervient :

— C'est pas la première pétroleuse qui se lance dans la dégustation, Blanche-Neige. On voit qu'dans tes cocotiers, on trempe just' pour s'reproduire. V's'emmenez la femme à l'homme comm' nous aut' la vache au taureau.

— Tandis que vous copulez en intellectuels ! riposte Jérémie.

— Textuel ! confirme Béru. C'qu'import' en amour c'est c'qu'on y met autour. Les gentillesses, la tendresse. Un qui plante sans moufter et s'laisse éternuer l'bigorneau comme un con, tu m'dis d'à quoi ça l'avance en dehors d's'vider les aumônières ? Tandis qu' çui qui charme en bouillavant, qu'emballe dans l'romantiss, alors lui, voui, il module son coup d'bite. Son paf, ça d'vient un archer d'violon. En même temps qu'il rémoule le zigouinet d'sa part'naire, il la fait voiliager du bulbe. Elle mouille au sentiment. Ses glandes, c'est comme qui direrait l'encrier où qu'on puise l'encre d'une page d'amour, comprends-tu ? Ta pineuse, racontes l'déroulement en termes choisis. Tu lu fais roucouler la moulasse. La grimpes en mayonnaise. Elle vertigine d'la babasse.

« Alors là tu peux tout t'permett'. C'est la conquête d'l'espace ! Tu lu maîtrises la chatte. Elle valdingue dans des bonheurs qu'é soupçonnassait pas.

« Si t'serais pas black, mec, j'essayererais d'te dresser un peu. D't'enseigner les rudimentaires de la bornique. S'l'ment y a ton ataviss cont' auquel j'peux pas aller. On cause la même langue, mais pas la même race. Vous, chez vous, c'est l'pion dans l'mortier. Tout just' qu'vous concassez pas du manioc av'c vot' zob. Vos gerces, elles s'en font mett' d'quoi vous pond' des négrillons à la pelle. Mais la grande décarrade du cul, c's'ra pour plus tard, quand v's'aurez l'eau su' l'évier et l'gaz à tous les étages d'vos cases bambou. Deux générations d'films pornos pour vous dégrossir la chibrance ! Vous inciter à aut'chose qu'à la bourrade papa-maman.

« La civilisation, ça, mon pote ! On a mis la charrue avant les zébus, chez vous : on vous cloque la grammaire avant l'Kamassoutra, et la pénicilline avant l'vibromasseur. V's'aurez pas eu d'chance av'c les Blancs, Blanc ! »

Nous atteignons le parking où sont remisées nos deux tires.

— Où allons-nous ? s'inquiète Jérémie.

— Vilain-le-Bel.

— Connais pas.

— Suis-moi, nous allons arranger ça.

Un petit garçon sur un vélo d'homme est une image qui me fera toujours chanter le cœur. Ça me rappelle Tep, un pote de la cambrousse, quand j'étais moujingue. Moi, gosse de gens à peu près aisés, j'ai eu des bicyclettes à ma taille, depuis le petit vélo à stabilisateurs de mes tout débuts, jusqu'au vélo de course à plusieurs plateaux, en passant par la bécane garçonnet avec changement de vitesse et guidon bas dont je passais mon temps à changer la couleur des poignées. Tep, le môme du « magnin » qui réparait les bassines trouées, les lessiveuses et les clés brisées, se servait d'une antique machine, trouvée dans quelque déblai, que son vieux lui avait rebectée. L'engin était si haut que, pour l'utiliser, il pédalait debout, en passant une jambe à travers le cadre. Fallait être acrobate pour rouler avec ça. Tep l'était. Au point de me battre quand nous faisions la course. Je prenais chaque fois un bon départ, construisant une confortable avance mais, au bout d'un moment, j'entendais croître derrière moi le bruit de sa bécane déglinguée. Elle cliquetait et grinçait de partout. C'était un vélo terrifiant, animé d'une espèce de vie propre et qui poussait des cris ! Tep finissait par me rejoindre. Je me sortais la tripe pour forcer l'allure, mais le minuscule gamin, tel un gnome en folie, me passait dans son ferraillement indescriptible. II se tenait de guingois, penché hors de la bicyclette, si je puis dire, comme les anciens mécaniciens de locomotive hors de leur monstre noir. Sa blouse battait au vent. Son béret basque s'aplatissait et il pédalait, semblait-il, d'une seule jambe, celle qui traversait le vélo pour s'en aller chercher une pédale à première vue inaccessible. Salut, Tep ! Qu'es-tu devenu ? Tu mâchais des bâtons de réglisse de bois qui, lorsque tu les sortais de ta bouche, ressemblaient à des pinceaux effilochés. Qu'est-ce que la vie a fait de toi, diabolique lutin ?