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— Je comprends. »

Orla O’Kane soupira. « Très bien… Je ne sais pas si vous pouvez tuer Gerry Fegan. Je ne sais pas si quiconque en a les moyens. Vous avez raison. C’est en effet une chose qui vient d’ailleurs, d’après ce que raconte mon père. Fegan est parti sans une égratignure, après une fusillade qui a fait quatre morts et blessé mon père au ventre. Il est parti, tout simplement. Si vous répétez ce que je vais vous dire maintenant, je le saurai. Et si j’apprends que vous l’avez répété, j’enverrai tous nos gaillards à vos trousses. Vous êtes prêt ?

— Oui.

— Gerry Fegan est le seul homme en vie dont mon père a peur. »

Le Voyageur faillit lâcher une réponse facétieuse. En substance, que lui n’avait peur de rien, contrairement au Bull. Après réflexion, il décida de s’abstenir. « C’est vrai ? fit-il.

— Oui, répondit Orla. Mon père a passé un marché avec lui ce jour-là. Il a promis de ne pas s’en prendre à lui ni à Marie McKenna si Fegan lui laissait la vie. Vous comprenez ce que je suis en train de vous dire ?

— Quoi ?

— C’est Bull O’Kane, bon sang ! Le Bull. Les flics, l’armée britannique, le SAS, le MI5, l’UVF, l’UDA, et tous les autres qui ont essayé de lui foutre des bâtons dans les roues… Il n’a jamais plié devant personne. Mais pour rester en vie, il a supplié Gerry Fegan. À terre, comme un clébard. Il l’a supplié de ne pas le tuer. »

Le Voyageur gardait le silence, sans trop savoir comment réagir à la confidence de Orla.

« Vous m’entendez ? demanda-t-elle.

— Oui.

— Vous comprenez ce que je suis en train de vous dire ?

— Non, répondit le Voyageur avec honnêteté.

— Je ne peux pas laisser en vie un homme dont mon père a peur. C’est aussi simple que ça. À présent, écoutez-moi bien. Je vous ai confié quelque chose dont je n’ai jamais parlé à personne. Parce que je pense que vous êtes le seul homme qui ait une chance face à Fegan. Votre vie se résume à cette alternative : soit vous le tuez, soit il vous tue. Il n’y a pas d’autre choix possible. Vous ne pouvez pas faire marche arrière. Plus maintenant. »

Le Voyageur encaissa en avalant sa salive. « Ne vous inquiétez pas, je… »

Il se tut en s’apercevant qu’on avait raccroché à l’autre bout du fil.

22

Fegan avait besoin de son passeport. Pas pour quitter le pays, pas encore, mais il lui fallait partir de New York. Pyè avait sûrement prévenu les Doyle qui ne tarderaient pas à envoyer leurs sbires chez lui. Peut-être même était-ce déjà fait ? Fegan ne pouvait exclure cette hypothèse.

Au débouché de Ludlow Street, adossé aux bardeaux en acier, il risqua un coup d’œil en direction de son immeuble. La porte blindée attendait sagement sa clé. Aucun bruit. Les devantures des échoppes de cuisine chinoise à emporter se taisaient sous leurs auvents, derrière des stores hermétiquement fermés et striés de graffitis. Entre les voitures garées pare-chocs contre pare-chocs le long du trottoir, il chercha en vain à surprendre une tête, des épaules, un reflet dans un rétroviseur. Rien non plus dans les sombres recoins des portes. Mais ils l’attendaient peut-être, visibles ou non.

Attention. Un peu plus loin, une vieille BMW. De la fenêtre côté passager à peine entrouverte s’échappait la fumée d’une cigarette. Ou était-ce son imagination fatiguée qui lui jouait des tours ?

Là. Quelqu’un bougeait. Une autre bouffée.

Il lâcha un juron. L’immeuble comportait une entrée de service à l’arrière, mais la porte était blindée et ne s’ouvrait que de l’intérieur. Les Doyle, s’ils étaient malins, auraient chargé des hommes de la surveiller. Mais à moins d’être vraiment très malins, ils n’y posteraient qu’un ou deux gardes. Une fois ceux-ci neutralisés, Fegan gagnerait son appartement en empruntant l’escalier de secours.

Il fit demi-tour, remonta Hester Street jusqu’à la boutique et au coffee-shop, puis trouva la venelle qui passait derrière son immeuble. L’accès était barré par un portail en tôle ondulée derrière lequel M. Lo, le concierge chinois, garait sa vieille Ford Taurus. Fegan ne l’avait jamais vu s’en servir.

Le portail, peint à l’image du drapeau Stars and Stripes[16] et portant la mention STATIONNEMENT INTERDIT, était logé dans un cadre métallique fermé sur le dessus par une barre transversale. Fegan sauta mais ne put l’atteindre.

Avisant une poubelle devant le coffee-shop, il souleva le couvercle attaché au volet par une chaîne et le posa doucement sur le trottoir. Il renversa la poubelle, prêt à stopper la chute de tout objet trop sonore, la vida, et l’emporta devant le portail pour y grimper et attraper la barre transversale. Après s’être hissé à la force des bras, il balança une jambe sur la barre et se laissa entraîner de l’autre côté par son propre poids. Une odeur d’huile de moteur lui parvint dès qu’il atterrit.

Sur le pare-brise de la voiture miroitait la faible lueur orangée de la rue. Fegan se faufila dans l’étroit espace le long de la carrosserie en se demandant comment M. Lo réussissait à ouvrir la portière pour s’asseoir au volant. L’obscurité l’engloutit lorsqu’il tourna au coin de la ruelle. Devant les bennes à ordures, il évita les détritus épars sur son chemin. Il avançait lentement, à l’affût de formes humaines dans le noir, respirant à peine pour ne pas…

Oh non mon Dieu le feu elle brûle elle pleure l’enfant brûle…

Le souffle coupé, il s’appuya contre le mur suintant d’humidité. La douleur qui se pressait derrière ses yeux lui balaya l’arrière du crâne avant de se déverser dans sa colonne vertébrale. Ses jambes tremblaient, raides, le soutenant à peine. Il avala une goulée d’air, se força à contrôler sa respiration, attendit que son cœur retrouve un rythme plus régulier.

Des pas plus loin dans la ruelle, mesurés, prudents, craintifs. Il s’aplatit contre le mur et scruta les ténèbres. Quelqu’un l’attendait. L’avait-on vu ? En tout cas on l’avait entendu. Les pas se rapprochaient, hors de son champ de vision mais venant vers lui. Il plissa les yeux pour mieux…

Non Seigneur ne la laissez pas brûler le feu le feu la dévore faites que…

Fegan poussa un grand cri. Il s’effondra, recroquevillé sur lui-même parmi les vieux journaux et les emballages de hamburgers qui s’échappaient d’une pile appuyée contre une benne retournée. Des rats détalèrent entre ses pieds. Il se prit les tempes dans les mains, tenta de refouler l’image produite par son esprit qui envahissait le monde réel. Le brasier s’apaisa et un râle monta de sa poitrine haletante. Après une dernière inspiration, il bloqua sa respiration.

Des chuchotements maintenant. Puis deux voix graves, au débit rapide. Plus que quatre ou cinq mètres. Fegan se roula en boule contre la poubelle. Il ne distinguait rien dans l’ombre épaisse. Eux aussi sans doute n’y voyaient goutte. S’il pouvait juste…

Le feu le feu oh mon Dieu le feu non non…

« Non ! » murmura-t-il en serrant les dents. Il chassa la vision, ravala un peu de bile, respira profondément, tendit l’oreille.

La ruelle était redevenue silencieuse mais Fegan sentait leur présence, tout près. Il se glissa entre la benne et le mur, et guetta un mouvement dans l’obscurité.

Une voiture passa devant lui en cahotant sur les pavés. Une voix poussa un juron étouffé. Une autre la fit taire. Fegan se redressa lentement derrière la benne et appuya un pied contre le mur.

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16

Surnom du drapeau des États-Unis.