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Lennon ne parvenait pas à sombrer dans le sommeil. Son corps réclamait le repos, mais son esprit battait la campagne. Chaque fois que ses pensées se laissaient capturer par les sables mouvants de l’endormissement, elles repartaient de plus belle et s’éparpillaient en tous sens.

L’inspecteur principal Gordon avait reçu sa déposition en présence de Dan Hewitt et de Uprichard, debout chacun à un coin de la pièce. Gordon s’était montré bourru, détaché. Lennon fit part de sa conviction : l’homme était responsable des morts respectives de Kevin Malloy, Declan Quigley, Brendan Houlihan et Patsy Toner. Il s’adressa autant à Gordon qu’à Hewitt, en guettant leurs réactions. Tous deux gardèrent un visage impassible.

Hewitt et Uprichard quittèrent la pièce, mais Gordon resta, tandis qu’un rond-de-cuir de la police Ombudsman[21] consignait la déclaration de Lennon. Il demeura silencieux, regardant droit devant lui, quand Lennon expliqua que le suspect bénéficiait probablement de la protection des forces de sécurité.

Une fois les rapports rédigés et le dépositaire en route vers son bureau, Gordon posa une main sur l’épaule de Lennon.

« Ce sont là des paroles dangereuses, mon garçon.

— C’est la vérité.

— La vérité est parfois traître. Un conseil, surveillez vos arrières. »

Marie et Ellen l’attendaient près de l’accueil lorsqu’il sortit à deux heures du matin. Marie avait été interrogée par un sergent. Ils ne parlèrent pas beaucoup non plus pendant le trajet jusqu’à l’appartement de Roscoe à Carrickfergus ; elle n’avait rien vu.

La lumière du jour fit une percée par l’interstice entre les rideaux du salon. Dehors, des mouettes criaient en tournoyant au-dessus de la marina. L’esprit saturé de fatigue, Lennon s’assoupit enfin.

Il rêva des femmes qu’il avait connues, celles à qui il avait menti, celles qu’il avait déçues. Il passait parmi elles, essayait de leur parler. Elles se détournaient, refusaient de l’écouter. Sa mère se tenait au milieu, serrant dans sa main une chemise en lambeaux. En s’approchant, il vit du sang sur le tissu. La chemise que Liam portait le jour de sa mort.

Sa mère dit quelque chose. Les mots se perdirent dans la clameur grandissante des femmes.

« Quoi ? » essaya-t-il de demander. Mais ses lèvres et sa langue engourdies étaient incapables d’émettre un son. Il essaya encore, d’une voix rauque. « Quoi ? »

Elle ouvrit la bouche. Ses paroles se confondaient maintenant avec une sonnerie insistante.

« Quoi ? » demanda à nouveau Lennon.

Sa mère sourit en reculant dans l’ombre. « Réponds au téléphone », dit-elle.

Lennon se dressa sur son séant, la tête bourdonnante, le cœur battant la chamade. Il lâcha un juron entre ses dents.

Encore la sonnerie. Il parcourut la pièce du regard. Le sac à main de Marie était posé sur une table basse en verre, gueule ouverte. Quelque chose brillait à l’intérieur. Lennon se pencha en avant sur le canapé. Sa main qui fouillait le sac rencontra un téléphone. Il appuya sur le bouton vert et porta l’appareil à son oreille.

« Allô ? » dit-il, haletant.

Silence au bout du fil. Puis : « Où est Marie ?

— Qui est-ce ? »

Quelque part, un haut-parleur diffusait un message. « Passez-moi Marie.

— Elle ne peut pas vous parler.

— Où est-elle ?

— Je ne vous le dirai pas. Qui êtes-vous ? »

Encore une pause. « Elle est en sécurité ? Ellen aussi ?

— Toutes les deux, oui. Qui est-ce ?

— Où sont-elles ?

— Vous êtes… vous êtes Gerry Fegan ? »

Plusieurs secondes de silence, excepté un bruit de fond et des voix indistinctes. « Je tuerai tous ceux qui porteront la main sur elles. Gardez-les hors de danger jusqu’à ce que je les trouve.

— Ne les approchez pas, dit Lennon. Vous m’entendez ? Ne vous approchez pas de ma fille.

— Vous êtes le flic dont elle m’a parlé. Vous les avez abandonnées.

— Ce n’est pas…

— Veillez sur elles. »

Lennon entendit un déclic, puis plus rien.

« C’était qui ? » demanda Marie, à la porte du salon.

60

Fegan remit le téléphone dans sa poche et s’adossa au mur de la cabine des toilettes. Le flic avait emmené Marie et Ellen avec lui. C’était le père de la petite. Peut-être pourrait-il les protéger. Sauf qu’il ignorait à quel genre d’hommes il avait affaire. Fegan, lui, connaissait l’ennemi. Parce qu’il était de la même espèce.

Il attrapa son sac et sortit des toilettes. De part et d’autre de l’Atlantique, personne ne s’était vraiment intéressé à son passeport. Il avait essayé de dormir dans l’avion mais ne put fermer l’œil par crainte de rêver d’incendies. Ses jambes et ses bras lui faisaient mal dans le siège étriqué.

Dès qu’il atterrit, après avoir passé le contrôle des passeports, il chercha un endroit à l’écart pour écouter son message, puis composa le numéro laissé par Marie. Son inquiétude n’en fut qu’avivée. Il devait absolument la retrouver et éliminer tout danger. Où commencer ses recherches, se demanda-t-il, sinon à l’appartement d’Eglantine Avenue ? Au bureau de change, il troqua ses derniers dollars contre des livres.

Le ciel était gris et lourd lorsqu’il sortit de l’aéroport pour prendre le bus. Marie et Ellen se trouvaient quelque part, sous le même ciel. Ceux qui leur voulaient du mal aussi. Fegan les neutraliserait avant. Toute autre possibilité était inconcevable.

61

On lui donna du thé et des toasts. Le thé était froid, les toasts mous. Sa tête lui faisait mal à crever. Le paracétamol fut tout ce que l’on trouva pour le soulager. En pure perte, mais il avala quand même les comprimés.

Son poignet bandé était raide et pesant. Il le posa sur la table. La peau de ses doigts le démangeait. Sous le carré de coton et de gaze qui lui fermait l’œil droit, il sentait sa paupière brûlante et humide. Un flic impassible, assis à la table en face de lui, le regardait. Gordon, il avait dit qu’il s’appelait. Il y en avait un autre, debout au coin de la pièce, pâle, le visage luisant de sueur comme s’il avait les boyaux tordus par la chiasse.

Gordon parla à l’intention du magnétophone. « Le suspect, qui déclare se nommer Barry Murphy, a refusé toute représentation légale. » Il s’adressa ensuite au Voyageur. « Monsieur Murphy. Nous avons vérifié auprès de nos collègues de la Garda Síochána. Il y a bien un Finbar Murphy qui vit à Galway, à l’adresse que vous avez fournie. Par mail, nous avons reçu une photo de son permis de conduire. »

Gordon retourna une feuille de papier, dévoilant la copie d’un permis de conduire de l’Union européenne. La photo montrait un homme roux avec des oreilles en feuille de chou et les dents en avant.

« Y serait parfait en joueur de banjo, devant une cabane en bois dans le fin fond de l’Alabama », commenta le Voyageur.

Gordon ne lui rendit pas son sourire. « Vous reconnaissez donc que l’homme que l’on voit sur ce permis de conduire, portant le nom et l’adresse que vous avez déclarés, n’est pas vous ? »

Le Voyageur haussa les épaules. « On dirait que non.

— Quel est votre vrai nom ?

— Thomas O’Neill.

— Et votre adresse ? »

Le Voyageur donna l’adresse de Wicklow qu’il avait mémorisée.

Gordon arracha la feuille de son bloc-notes. Il se dirigea vers la porte. tendit le papier à quelqu’un dans le couloir, puis revint s’asseoir.

« Puis-je espérer confirmation de cette identité, ou bien s’agit-il encore d’une fausse information ?

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21

Branche médiatrice qui enquête sur les plaintes déposées contre les agents de police.