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Ben Bova

Colonie

(Tome I)

Il ne s’agit pas actuellement d’une attaque de nerfs, l’heure n’est pas aux vacillements des âmes faibles. Mais nous sommes à un grand tournant de l’histoire de la pensée scientifique. Nous affrontons une de ces crises qui ne se produisent qu’une fois tous les mille ans… À ce carrefour, avec, devant nous, la perspective des progrès à venir, nous devrions nous féliciter de vivre à cette époque et de participer à l’enfantement de l’avenir.

VI. Vernadski, 1932.

Je ne voudrais pas avoir l’air de dramatiser mais la seule conclusion que je puisse tirer des informations dont je dispose en tant que secrétaire général est qu’il reste peut-être dix ans aux pays membres de l’Organisation des Nations Unies pour régler une fois pour toutes leurs vieilles querelles et créer une collaboration globale afin de mettre un terme à la course aux armements, d’améliorer l’environnement humain, de désamorcer l’explosion démographique et de prendre l’élan nécessaire pour consentir aux efforts exigés par le progrès. Si cette coopération globale ne se réalise pas dans les dix ans à venir, je crains fort que les problèmes que j’ai évoqués prendront alors des proportions si effrayantes qu’ils échapperont à notre contrôle.

U. Thant, secrétaire général des Nations Unies, 1969.

À Barbara

LIVRE I

MAI 2008

Population mondiale : 7,25 milliards d’habitants

1

Le concept, le projet et jusqu’au terme d’« Île Un » dérivent des recherches menées dans les années 1970 par le professeur Gérard O’Neill à l’ancienne université Princeton. À l’origine, il envisageait Île Un comme une colonie spatiale installée sur une orbite lunaire que l’on monterait dans le vide en se servant de matériaux recueillis sur le satellite. Sa capacité prévue était de dix mille résidents permanents. C’était gigantesque selon les critères de l’époque et les gens en eurent le souffle coupé. Pourtant, l’Île Un du projet O’Neill n’était pas plus colossale que l’un des supertankers qui sillonnaient l’océan en un temps où le pétrole devait être transporté d’un bout du monde à l’autre.

Tel était le rêve d’O’Neill, et que de sarcasmes ne suscita-t-il pas ! Mais les gros consortiums, eux, n’en rirent pas. Et, à l’aube du troisième millénaire, quand ils prirent finalement la décision d’édifier une colonie spatiale, le rêve d’O’Neill parut bien étriqué à côté de la réalité.

Cyrus S. Cobb,
enregistrements en vue d’une autobiographie officieuse.

— Pas si vite ! Je suis une fille des villes, moi ! s’exclama-t-elle.

David Adams s’arrêta et se retourna. La pente herbeuse qu’ils escaladaient n’était pourtant pas tellement raide. Il y avait un peu partout des érables au tronc mince et des bouleaux auxquels on pouvait s’accrocher pour s’aider. Mais Evelyn était à bout de souffle et elle commençait à en avoir assez. Il fait du cinéma, songea-t-elle. Le jeune mâle viril et musclé dans le jardin d’Éden !

David, le visage fendu d’un large sourire, lui tendit la main.

— Vous avez dit que vous vouliez visiter la colonie d’un bout à l’autre.

— C’est vrai, répondit Evelyn en haletant, mais je n’ai pas envie d’attraper une crise cardiaque en prime.

Il la saisit fermement par le poignet et la prit en remorque.

— Quand on sera un peu plus haut, ce sera plus facile. La gravité sera moins forte. Et la vue mérite quelques efforts.

Elle opina mais bougonna dans son for intérieur : Il sait qu’il est beau. Un corps d’athlète, une musculature en béton… C’est pour cela qu’ils l’ont choisi comme guide, il n’y a aucun doute. À sa vue, toutes les hormones féminines explosent !

David lui rappelait les playboys hawaiiens qui, depuis quelque temps, envahissaient les plages anglaises : le même corps puissant et élancé, le même visage séduisant à l’ossature accusée, le même sourire éclatant. Il était vêtu — et, cela, Evelyn ne s’y était pas attendue — pour affronter le grand air : un short grossier, une chemisette aux plis lâches à col ouvert qui révélait son thorax musclé, des chaussures de randonnée en cuir. Le tailleur jupe courte d’Evelyn était parfaitement à sa place dans un bureau, un restaurant ou dans n’importe quel endroit civilisé mais, ici, il paraissait on ne peut plus incongru. Elle avait déjà ôté sa veste qu’elle avait fourrée dans le sac qui se balançait à son épaule mais, néanmoins, elle crevait de chaud et suait comme une bête.

N’empêche que son sourire est fascinant ! Mais il y avait aussi autre chose chez lui… quelque chose de… de différent. Est-il possible que ce soit lui ? Est-il possible que je sois déjà tombée dessus ? Si c’est bien lui et qu’on l’a chargé de me faire faire la visite du propriétaire, ce serait une curieuse coïncidence ! Mais une petite voix murmurait dans la tête de la jeune fille : Les coïncidences, ça n’existe pas. Méfie-toi !

Ces yeux bleus, ces cheveux couleur des blés ! Quelle drôle de combinaison avec cette peau légèrement olivâtre. Est-ce un gène méditerranéen ? Est-ce qu’ils peuvent aussi déterminer la teinte de l’épiderme ? Pourtant, il a quelque chose de… On dirait un peu une vedette de cinéma. Il est trop parfait. Pas la moindre anomalie. Pas de défauts, pas de cicatrices. Même ses dents sont blanches et régulières.

— Faites attention !

David glissa un bras autour de la taille d’Evelyn pour l’aider à franchir un minuscule ruisseau bouillonnant qui traversait le sentier.

— Merci, murmura-t-elle en se dégageant. Il sait qu’il est une belle image. Ne te laisse pas posséder par ce visage d’archange, ma petite vieille.

Ils continuèrent de grimper en silence au milieu de chênes et d’épicéas alignés au cordeau et régulièrement espacés. Et ses dents ! Ce n’est pas vrai ! C’est une girl-scout en fleur qu’ils auraient dû charger de ce travail, pas une journaliste.

David l’observait : Pourquoi Cobb m’a-t-il choisi pour lui faire faire la visite ? se demandait-il. Tient-il en si piètre estime mon travail pour m’avoir mis sur la touche et m’avoir chargé de jouer les boy-scouts avec elle ?

Il fallait qu’il se contrôle pour que son expression ne trahisse pas sa mauvaise humeur. La visiteuse avait toutes les peines du monde à le suivre avec ses chaussures à bouts découpés. Pris d’une impulsion subite, il déclencha d’un coup de langue le communicateur inséré dans sa dernière molaire et murmura d’une voix si basse que personne ne pouvait l’entendre en dehors de l’émetteur miniature : « Evelyn Hall, arrivée la semaine dernière. Dossier, je vous prie. »

À peine eut-il fait quatre pas que la pastille réceptrice microscopique implantée derrière son oreille se mit à grésiller : « Evelyn L. Hall. Vingt-six ans. Née à Londres-Métropole. Études dans divers établissements d’État du grand Londres. Sortie de l’université polytechnique de Plymouth. Diplômée de l’école de journalisme. Documentaliste, puis reporter à l’International News Syndicate. Terminé pour la vie professionnelle. Mensurations… »