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David s’immobilisa quand il eut touché le sol et jeta un coup d’œil autour de lui. Le ciel d’un bleu sombre et léger était lumineux. Les étoiles scintillaient doucement. Elles ne ressemblaient en rien aux points lumineux fixes à l’éclat cru que l’on voyait sur Île Un. Elles étaient moins nombreuses mais elles dessinaient des configurations qu’il connaissait pour les avoir vues dans les livres : le Chasseur, le Vaisseau, la Croix-du-Sud. Il distinguait même la vague nébulosité des Nuages de Magellan.

Des champs s’étiraient à perte de vue mais il faisait trop noir pour qu’il fût possible de dire s’ils étaient cultivés ou non. La silhouette d’une maison se détachait sur le ciel. Quelques fenêtres étaient éclairées.

Mais c’étaient les sons et les odeurs qui frappaient surtout David. Le grésillement des grillons, l’arôme de la terre tiède, de l’herbe, des animaux. Le vent lui caressait le visage, une brise fraîche et curieusement intermittente qui mourait pour renaître aussitôt, plus forte.

— C’est encore sauvage, dit-il à haute voix. Rien n’est sous contrôle. Une nature qui ne sera jamais totalement apprivoisée !

Bahjat le tira par le bras.

— Allons à l’hacienda. Il y a de l’aspirine.

— Non. (David fit quelques pas. Il sentait le sol sous ses semelles.) Non, je veux voir. Je veux voir le soleil se lever.

— Il ne se lèvera pas avant plusieurs heures, répondit-elle en riant.

— Ça m’est égal.

À la clarté des étoiles, il discernait à peine l’expression de la jeune femme mais sa voix était sèche et méfiante quand elle le mit en garde :

— Il serait stupide d’essayer de vous enfuir. Il n’y a pas d’autre habitation dans un rayon de cent kilomètres et plus.

— Où est la Lune ? s’enquit David en faisant un cercle complet sur lui-même.

— Elle sera là d’ici une heure environ.

— Ah ! (Il tendit le doigt vers le ciel.) Et cette étoile brillante, c’est sûrement Île Un.

Elle le scruta. Ou il n’est pas encore remis du gazage, ou il cherche à tromper ma vigilance pour prendre la poudre d’escampette.

— Vous ne pouvez pas rester là toute la nuit. Les autres sont…

— Pourquoi pas ? fit-il simplement.

— Les autres sont tous dans l’hacienda.

— Et alors ? Ils connaissent la Terre. Pas moi. C’est si beau !

— Vous êtes originaire de Séléné ?

David fit signe que non. Il commençait à avoir moins mal à la tête.

— Non, je suis né sur Île Un et je ne l’ai jamais quittée. Il n’y a que quelques semaines que j’en suis parti pour la première fois.

— Il faut que vous veniez à l’hacienda, insista-t-elle.

— Je ne veux pas. J’ai été claustré toute mon existence !

Bahjat n’avait pas d’armes. Il est beaucoup plus fort que moi et il est en excellente forme. Après avoir pesé le pour et le contre, elle haussa les épaules. Je pourrais toujours appeler le garde. Et où irait-il ? Je le vois mal se cacher au milieu de cette plaine vide.

— Eh bien, d’accord. Nous allons juste passer à l’hacienda une seconde et nous reviendrons voir la Lune se lever.

Le phénomène était beaucoup plus lent que sur Île Un, naturellement. La Lune s’élevait dans le ciel de façon presque imperceptible. David était à tel point fasciné par la nouveauté du spectacle qu’il était incapable de prononcer un mot mais Bahjat, assise à côté de lui dans l’herbe odorante, n’arrêtait pas de parler et de se répandre en explications comme pour se justifier.

—… c’est peut-être dur et dangereux, cruel, même, mais on ne peut pas laisser le Gouvernement mondial nous imposer sa loi. Nous devons conquérir notre liberté !

— Mais le Gouvernement mondial n’est pas une dictature, rétorqua David, les yeux toujours fixés sur la Lune qui montait majestueusement dans les cieux. On dirait vraiment un visage, c’est pas croyable !

— Ils nous extorquent des impôts sans rien nous donner en échange, poursuivit Bahjat. Ils transforment tout en une grisaille uniforme. Pourquoi nous autres Arabes devrions-nous nous habiller comme les Européens, qui s’habillent comme les Américains, qui s’habillent comme les Chinois ?

— C’est pour cela que vous vous êtes emparés de la navette ? Parce que vous n’aimez pas les vêtements que vous portez ?

— Vous faites dans l’ironie ?

— Oui, reconnut David en cessant de contempler le ciel. Mais vous n’êtes pas très réaliste. Les impôts que vous versez ne représentent même pas les dépenses militaires de l’Irak et des autres pays avant l’avènement du Gouvernement mondial.

— Si les impôts que nous lui payons sont moins lourds, comment se fait-il qu’il y ait plus de pauvres qu’avant ? Pourquoi les gens meurent-ils de faim dans les rues ?

— Parce qu’ils sont plus nombreux, riposta David. Quel est le chiffre de la population mondiale, aujourd’hui ? Plus de sept milliards. Tant que le taux de croissance démographique sera aussi élevé, vous courrez à la catastrophe.

— Je parle des hommes et des femmes qui meurent. Des mères, des bébés, des vieux qui crèvent de faim sur la Terre entière.

— Mais ce n’est pas la faute du Gouvernement mondial !

— Bien sûr qui si ! Qui d’autre en serait responsable ?

— Ceux qui font autant de bébés. Ceux qui maintiennent ce taux de croissance démographique vertigineux.

— Ils sont ignorants et ils ont peur.

— Alors, éduquez-les. Et donnez-leur de quoi manger. Cela vaudra mieux que de perdre votre temps à détourner les navettes spatiales et à faire des prises d’otages.

— Comment voulez-vous les nourrir ? Les nations nanties gardent leurs ressources pour elles. Ce sont les consortiums qui les dirigent. Et le Gouvernement mondial.

David fit un signe de dénégation.

— J’ai vu toutes les données. Je connais les projections. Il n’y a pas assez de nourriture pour tant de bouches, c’est tout. Même si vous n’accordiez à chacun qu’une ration de subsistance, ce serait encore insuffisant. Avec plus de sept milliards de gens, la famine est inéluctable.

— Non. Ce n’est pas vrai. Nous ferons en sorte que ce ne soit pas vrai.

La Lune était maintenant complètement visible. Elle était presque à son plein et, à sa lumière douce, la figure de Bahjat était visible. Elle était belle, véritablement belle en dépit de la crainte et de la colère que trahissait son expression.

— Les vœux pieux ne servent à rien, dit David en mettant toute la douceur qu’il pouvait dans sa voix. Il n’existe aucun moyen d’empêcher le désastre qui se prépare. Il est déjà trop tard.

— C’est inhumain. Vous êtes inhumain !

Bahjat se leva d’un bond et s’éloigna à grands pas en direction de l’hacienda.

David la suivit quelques instants des yeux, puis il se remit à contempler la Lune. Elle lui souriait d’un sourire en coin.

Bahjat se réveilla avec le soleil. Encore ensommeillée, elle s’étira et jeta un regard circulaire autour d’elle. Sur le moment, elle ne se rappela ni où elle était ni pourquoi elle se trouvait dans cet endroit étranger. La pièce était petite mais confortable. Les rideaux des fenêtres entrouverts laissaient filtrer la clarté matinale.

Bahjat descendit du lit, trop mou et trop haut, alla s’examiner dans la glace en pied fixée à la porte. Elle avait toujours rêvé d’avoir le corps voluptueux d’une vedette de cinéma mais, au lieu de cela, elle était maigre, petite, étroite des hanches et plate du ventre. Pas du tout le corps qu’il fallait pour faire des bébés, disaient les matrones de Bagdad, quand elles croyaient que Bahjat ne les entendait pas.