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Il y avait une douche dans un coin, manifestement installée longtemps après que l’hacienda eut été construite. Les tuyaux nus disparaissaient dans le mur. Au passage, Bahjat jeta un coup d’œil par la fenêtre. Il est encore là ! Elle se dissimula derrière les rideaux à moitié tirés. Il a dû rester dehors toute la nuit, cet imbécile ! David était couché dans l’herbe, les mains derrière la nuque. La jeune femme ne put réprimer un sourire. Il dort. Il a raté son premier lever de soleil. Puis une autre pensée lui vint :

Il n’a sans doute jamais entendu parler de la rosée ni de la gelée. Il va certainement attraper un rhume. Ou une pneumonie. C’est stupide de passer la nuit à la belle étoile !

Quand elle eut pris sa douche et remis ses vêtements de la veille, elle décida d’aller voir si David allait bien.

Mais, comme elle descendait le large escalier de bois, l’un des militaires — un gradé — lui sourit et lui annonça :

— El Libertador veut vous parler de toute urgence.

Oubliant tout le reste, elle le suivit jusqu’à la salle de bal où avait eu lieu sa première entrevue avec le chef des révolutionnaires. Mais la pièce était vide. Les portraits étaient toujours là, de même que les lustres et les chaises inconfortables alignées le long du mur, mais personne ne l’attendait.

— Où donc…

L’officier sourit à nouveau et appuya sur un bouton.

Un panneau encastré dans la paroi à côté de la porte coulissa, révélant un écran éteint. L’homme approcha une chaise, s’inclina légèrement et sortit en refermant la porte sans bruit.

Brusquement, l’écran s’éclaira et l’image tridimensionnelle d’El Libertador s’y forma. On aurait dit qu’une niche s’ouvrait dans la salle de bal. El Libertador était assis derrière un vieux bureau métallique cabossé. Le mur du fond était d’un vert pisseux. On y distinguait des fissures.

Il a peut-être des équipements de communication holographiques mais il ne vit sûrement pas dans l’opulence. Il ne lui paraissait plus aussi vieux, maintenant. Il a dû bien dormir, cette nuit. Pourtant, il est réveillé et déjà débordant d’activité dès les aurores. D’après la lumière, ce n’est même pas encore l’aube, là où il est.

— J’espère ne pas vous avoir tirée du lit, commença-t-il avec courtoisie.

— Non. Je me suis levée en même temps que le soleil.

El Libertador s’autorisa un sourire.

— C’est là un luxe que je ne peux pas me permettre quand je dois conférer avec les gouvernements et les journalistes aux quatre coins du monde. (Comme Bahjat ne répondait pas, il enchaîna :) Toutes les dispositions sont prises pour la libération des otages. Mes hommes se chargeront de les transférer à Buenos Aires où le Gouvernement mondial les prendra en charge.

— Parfait.

— Les médias ne parlent que de Shéhérazade et de l’audacieux combat symbolique qu’elle livre au Gouvernement mondial. (Il avait légèrement insisté sur le mot symbolique.)

— Eh bien, nous avons atteint notre objectif essentiel.

Brusquement, Bahjat en avait assez de toute cette histoire. C’était absurde et vain, c’était une bataille sans espoir qui s’achèverait inévitablement par la défaite. Sept milliards d’êtres ! Comment les aider ? Personne ne le pouvait.

— Si votre objectif essentiel était la publicité, disait El Libertador, vous avez gagné au-delà de vos rêves les plus chers. Vous avez même contribué à me faire atteindre le mien.

— Lequel ?

— J’ai négocié un… arrangement avec le Gouvernement mondial. En contrepartie de la libération des otages, il accepte de… euh… d’« oublier » le soulèvement sud-africain et le massacre de ses soldats.

— C’est merveilleux, laissa tomber Bahjat sur un ton ouvertement sarcastique. Nous avons notre publicité et vous ne serez pas envahi par l’armée mondiale.

Les lèvres étroites d’El Libertador se pincèrent.

— Vous n’êtes pas contente ?

— Comme vous l’avez souligné, nous bénéficions d’une publicité énorme.

— Êtes-vous toujours disposée à vous soumettre à mes ordres ? demanda-t-il après un temps d’hésitation. À réunir vos efforts dispersés en vue d’une bataille unifiée à l’échelle de la planète.

— Oui.

— Même si cela doit vous coûter très cher personnellement ?

La peur étreignit soudain Bahjat comme un étau.

— Que voulez-vous dire ?

— L’accord que j’ai conclu avec le Gouvernement mondial… ce marché… la libération des otages en échange de l’éponge sur l’incident de Johannesburg…

— Oui. Et alors ?

— Mon interlocuteur était l’un des membres du Conseil du G.M., l’émir Jamil al-Hachémi. Il a posé deux conditions.

Bahjat attendit dans un silence glacial. Elle les devinait.

— La première est que le passager David Adams, en rupture de contrat de travail, soit remis à son employeur, à savoir Île Un.

Bahjat acquiesça. Un espoir infime renaissait en elle bien qu’elle sût qu’il était vain.

— Et la seconde condition ?

— L’émir al-Hachémi m’a dit que sa fille se trouvait incognito parmi les passagers de la navette. Il exige qu’elle lui soit rendue. Pour lui, Shéhérazade est morte. Mais il veut sa fille. Sinon, l’armée mondiale attaquera l’Argentine.

La petite étincelle d’espoir s’était définitivement éteinte.

— Je suis donc le prix qu’il faut payer ?

El Libertador eut un haussement d’épaules impuissant.

— Je ne peux pas me permettre de livrer une guerre à outrance au Gouvernement mondial. La guérilla, c’est une chose. Des batailles rangées… c’est prématuré…

— Je vois.

— N’essayez pas de quitter l’hacienda, je vous prie, ajouta-t-il tristement. Mes hommes ont ordre de vous soumettre à une stricte surveillance jusqu’à ce que le moment soit venu de vous remettre aux mains de votre père.

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5 août 2008

ORDRE DU JOUR GÉNÉRAL 08-441

Origine : Dir. De Paolo.

Destinataires : Amiral Johnson. G.Q.G. Mer.

Général Buchalev, G Q.G. Terre.

Maréchal Peng, G.Q.G. Air.

Objet : Contre-attaque en Argentine. Bien que l’on soit en droit d’espérer des résultats satisfaisants des négociations en cours avec le gouvernement argentin, il apparaîtra peut-être nécessaire de faire une démonstration de force avant que ledit gouvernement restitue les otages enlevés par le Front révolutionnaire des peuples lors du détournement d’une navette spatiale.

En conséquence, j’ordonne que soit immédiatement déterminé le temps qu’il faudra pour : (a) mobiliser, (b) déployer et (c) engager les forces suivantes contre les centres clés militaires, industriels, commerciaux et/ou de population en Argentine :

1. Forces exclusivement aériennes en vue d’attaques non nucléaires dirigées contre tout ou partie des objectifs ci-dessus désignés ;

2. Forces aéronavales ayant mission d’effectuer le blocus des ports argentins et d’interdire l’utilisation des réseaux ferroviaire et routier ;

3. Forces aériennes, terrestres et navales combinées ayant mission de s’emparer de certaines zones du territoire argentin et de les tenir.