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Note dictée mais non signée par le directeur, E. De Paolo.

David se chauffait au soleil, adossé à un arbre au tronc vigoureux. Une brise égale caressait la plaine immense dont rien, ou presque, ne venait rompre l’uniformité. Les arbres même étaient pratiquement inexistants en dehors de ceux, peu nombreux, qui poussaient autour de l’hacienda.

Des nuages gris s’amoncelaient à l’horizon où, enveloppées de brume, se dressaient des montagnes dont les pics enneigés paraissaient coupés du reste du monde.

Mais David ne s’intéressait pas au paysage. Il observait l’hacienda et les allées et venues. La plupart de ceux qui y entraient ou qui en sortaient étaient des soldats en tenue vert olive.

Je voulais me présenter au siège du Gouvernement mondial à Messine et je me retrouve au milieu de révolutionnaires en Argentine, se disait-il. Une erreur de navigation de dix mille kilomètres !

Il se tenait systématiquement à l’écart des autres passagers qui, eux, ne se quittaient pas et bêlaient comme un troupeau de moutons. Ils se mettaient à table quand on le leur disait et s’efforçaient de ne pas montrer leur peur. Ils papotaient entre eux et inventaient des rumeurs. Pour David, c’était clair : si jamais l’occasion de s’évader se présentait, il faudrait qu’il soit seul pour la saisir au vol. Autrement, les autres lui mettraient des bâtons dans les roues.

Et il savait comment faire pour brûler la politesse à ses ravisseurs. C’était simple. Des voitures et, mieux encore, des électrocyclos étaient parqués devant l’hacienda. Le soldat qui montait la garde, nonchalamment accoté au chambranle de la porte, s’intéressait plus aux cigarettes qu’il fumait à la chaîne et aux otages du beau sexe avec qui il bavardait qu’à la surveillance des véhicules.

Mais où aller ? C’était là le hic. David n’avait pas la moindre idée de l’endroit où il se trouvait et, partant, de la direction à prendre pour atteindre une destination valable. Il était coupé de l’ordinateur et ce silence l’épouvantait au plus profond de son être. Seul. Je suis tout seul dans un monde de plus de sept milliards d’individus. Pas un seul qui puisse lui donner les renseignements qui lui étaient nécessaires. Pas un seul qui puisse entrer directement en contact avec son esprit pour lui fournir des informations d’ordre géographique, politique, cartographique, météorologique, d’intendance, sur la foule de détails qu’il lui était indispensable de connaître avant même de tenter de s’évader.

Il n’était pas question de s’enfuir à l’aveuglette. Ce serait d’une folle imprudence. Et l’aventure ne pourrait s’achever que par sa mort ou sa capture.

Soudain, il vit Bahjat sortir de l’hacienda et se diriger à pas lents vers la prairie déserte qui se déployait à perte de vue. Deux soldats, carabine en bandoulière, la suivaient.

Elle a droit à une escorte. Pourquoi ? Quel danger court-elle ? Les passagers ? À moins qu’elle soit peut-être prisonnière à son tour.

Un peu plus tôt, David avait aperçu deux autres pirates de l’espace déambuler dans le domaine, libres de toute escorte. Donc, ils ne sont pas prisonniers. C’est peut-être une sorte de garde d’honneur. Elle est leur chef.

Mais elle paraissait soucieuse. La tristesse marquait son visage émouvant de beauté.

Il lui est arrivé quelque chose. Elle sait…

David se redressa, saisi d’une brusque illumination. Elle sait des tas de trucs ! Tout ce que j’ai besoin de savoir moi-même pour tirer ma révérence. Il y a dans cette tête ravissante un ordinateur où sont emmagasinées toutes les infos qu’il me faut.

Et, d’un seul coup, David ne fut plus qu’un lion tapi dans la savane qui guette sa proie, rusé et patient.

Bahjat errait, désœuvrée, regardant droit devant elle sans rien voir. David, attentif, attendait. Le soleil basculait vers l’ouest, les nuages couleur d’ardoise flottaient derrière lui. Le vent avait forci. David ne prêtait pas attention au fait que l’air devenait humide et froid, et il traitait par le même mépris ses crampes d’estomac. Il était resté à l’affût toute la nuit et il avait sauté le repas pour pouvoir étudier la maison, les gardes, l’organisation des patrouilles, les voitures, les bécanes.

Finalement, Bahjat fit demi-tour après s’être tellement éloignée que les deux soldats et elle n’étaient plus que trois petits points presque invisibles, noyés dans l’immensité de la plaine. Un sourd et lointain grondement de tonnerre retentit, et un éclair fulgura à la limite de son champ de vision, mais David n’avait d’yeux que pour la fille et les soldats. Il eut un sourire narquois. Le kidnapper kidnappé ! Quel juste retour des choses !

Le trio s’approchait maintenant sans hâte de l’entrée principale de la maison devant laquelle s’alignaient les voitures et les cyclos. L’homme de garde, son éternelle cigarette au bec, fort occupé à tailler une bavette avec quelqu’un qui se trouvait à l’intérieur, tournait le dos à la pampa.

David se mit lentement debout et, peu désireux d’attirer l’attention, se glissa sans bruit derrière les deux gardes qui escortaient Bahjat. Ils avaient toujours leurs carabines à l’épaule. L’un d’eux avait en outre un pistolet automatique à la hanche.

De nouveaux éclairs fusèrent des nuages et le grondement caverneux du tonnerre roula sur la plaine. Les soldats levèrent les yeux vers le ciel et échangèrent quelques mots en espagnol, puis l’un des deux dit en International English pour que Bahjat comprenne :

— Il ne va pas tarder à pleuvoir.

— Et ça va tomber ferme, approuva son camarade dans la même langue. Heureusement qu’on sera à l’abri.

— Je ne verrais pas d’inconvénients à me faire mouiller avec elle, moi. J’irais même jusqu’à la protéger des éléments en la couvrant de mon corps.

— Et la foudre te tomberait sur le cul.

Ils s’esclaffèrent.

David franchit les vingt derniers mètres qui le séparaient des gardes comme un fauve qui fond sur sa victime. D’une solide manchette à la nuque, il mit d’abord hors de combat celui qui avait le pistolet.

Voyant son collègue s’écrouler, l’autre pivota sur lui-même tout en dégageant sa carabine, la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés sous l’effet de la surprise. Il n’a pas plus de dix-huit ou dix-neuf ans, songea David en lui expédiant son talon dans le diaphragme.

Le soldat se plia en deux et ses poumons se vidèrent avec un bruit d’explosion. David lui arracha son arme et, la prenant à deux mains, lui assena un brutal coup de crosse à la tempe. Le militaire s’effondra dans l’herbe et demeura inerte.

Cela avait été si facile que, sur le moment, David n’en revenait pas. Les conseils du moniteur qui lui avait enseigné les arts martiaux remontèrent à sa mémoire : la surprise est l’arme la plus efficace. Il faut toujours faire ce que l’adversaire n’attend pas. L’Okinawaïen sec et nerveux aurait été satisfait de son élève.

Quand Bahjat se retourna pour voir d’où venait le bruit qu’elle avait entendu, le jeune homme se baissait pour ramasser la seconde carabine. Il se l’accrocha à l’épaule et sortit le pistolet de l’étui. La sentinelle de faction à la porte n’avait pas bougé. Elle était en grande discussion avec une des hôtesses de la navette. Bahjat regarda David en silence.

Glissant le pistolet dans sa ceinture, il fit un geste avec la carabine et lui lança à voix basse.

— La voiture la plus proche ! (Voyant qu’elle hésitait, il reprit dans un murmure farouche :) L’auto ! Montez dedans et faites-la démarrer !