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Vladimir Mikhanovski

Comment est-il, le ciel ?

La civilisation de l’avant-dernière planète de Sirius était considérée de droit comme la plus ancienne de la Galactique.

Kron Four était un vrai fils du Troisième niveau. Il ne communiquait pas avec les habitants des deux premiers niveaux, ces veinards qui savaient ce que c’est que l’air libre, embaumé du souffle de la véritable verdure.

Il n’avait jamais vu le soleil, ne connaissant que l’éclairage artificiel. Pas étonnant, puisque le Troisième niveau se situait à des milles sous la terre. Le magma bouillonnait derrière les épaisses dalles de neutrite. Les dalles étaient constamment refroidies par l’hélium liquide, qui circulait nuit et jour dans les tubes, noyés dans les abouts des blocs protecteurs. Au demeurant, les notions de « jour » et de « nuit » étaient purement conventionnelles au Troisième niveau. La journée y était dosée par des machines ; il est vrai que, disait-on, elles le faisaient en stricte conformité avec ce qui se passait là-haut, à la surface.

Tôt le matin, les panneaux rosissaient. Un coup de gong strident faisait voler en éclats le silence épais qui n’éxiste que sous la terre. Les tapis roulants, qui couraient tous dans le même sens, se remplissaient rapidement. Les habitants du Troisième niveau étaient pressés. Les insatiables robots protéiques les attendaient. Au repos de nuit, ils réclamaient des « aliments » toujours nouveaux, que seul l’homme pouvait leur donner. Dans la journée, ils engloutiront l’information qui s’était accumulée durant la nuit dans le cerveau de ces hommes pressés, couleur de brique à cause des panneaux de quartz et tous recouverts de peau synthétique bleue.

Cet habit antiradiation accompagnait les habitants du Troisième niveau de la naissance à la mort.

La veille, Kron eut quatorze ans. C’est ce que le Maître lui apprit en grand secret.

Ceux du haut estimaient que les habitants du Troisième niveau n’avaient pas à connaître leur âge, de même que bien d’autres choses. Dans l’idéal, ils ne devaient rien savoir du tout, ni sur eux, ni sur les autres.

En somme, cela avait un sens. Moins l’habitant du souterrain serait informé sur lui-même, et mieux cela vaudrait. « L’habitant du souterrain ne s’appartient pas », était l’axiome que l’on répétait depuis leur enfance aux habitants du Troisième niveau. Ces derniers n’avaient pas à chercher leur raison d’être, puisqu’elle était claire dès le début : élever son biofrère protéique, qui sera envoyé vers d’autres planètes, les préparer pour les futurs colons. L’homme ne supportera pas les formidables fluctuations de pression et de température, les orages magnétiques de millions d’œrsteds, les averses de positrons… et tant d’autres surprises désagréables du cosmos. Les manipulateurs ne seront pas d’un grand secours en l’occurrence parce qu’il est impossible de prévoir tout ce qui peut arriver. Et puis, ils coûtent assez cher. C’est une autre chose que les robots protéiques de quatre mètres de haut, érigés dans les tours de synthèse. Quoique, au bout du cours d’éducation, ils ressemblent beaucoup à l’homme, c’est, bien sûr. dans une tout autre argile qu’ils étaient pétris. Leur force et leur endurance étaient de loin supérieures à celles de l’homme.

Certes, dans le cosmos, des protéiques périssaient aussi, mais comme ils n’étaient pas des hommes, ni même des animaux, aucune des multiples sociétés de protection des animaux ne protestait.

En fin de compte, la destruction d’une machine, si sophistiquée et coûteuse soit-elle, est une chose inévitable lors de l’exploration des planètes nouvelles.

La population du Troisième niveau ignorait la vie privée. Tout était subordonné à une seule occupation, l’éducation des biofrères. La nuit, quand les hommes plongeaient dans un sommeil agité, leur cerveau, à l’aide d’appareils hypnopédiques, étaient remplis d’informations variées, des documentaires relatant des expéditions dans l’espace aux instructions sur la soudure des métaux dans le vide.

Les songes… C’était, semble-t-il, la partie la plus vivante de l’existence des habitants du Troisième niveau. Et, parfois, il leur était difficile d’établir où finissait le songe et où commençait la réalité. Que faire ? Les savants avaient depuis longtemps prouvé que dans son sommeil l’homme assimile mieux l’information.

La nuit passait, venait le matin, et, médiatisée par l’homme, l’information était transmise à son biofrère.

C’est que les biofrères ne pouvaient pas assimiler de manière critique l’information qui leur était transmise directement, par exemple sur microfilms. Ils l’enregistraient tout simplement, la retenaient comme une bande magnétique « mémorise » un motif mélodique. Or, tout homme, même le plus borné, ne fera pas qu’entendre et retenir même une mélodie primitive. Cette mélodie peut lui plaire ou lui déplaire, elle appellera inévitablement chez lui un enchaînement plus ou moins complexe d’associations d’idées, fussent-elles inconscientes, éveillera des souvenirs, inspirera des pensées, gaies ou tristes…

C’est ce qui manquait au protéique et c’est ce que l’homme seul pouvait lui donner.

Les habitants du souterrain étaient comme ces fourmis ouvrières qui mâchent la nourriture des reines. Mais ils n’en avaient pas conscience. Ceux d’en haut, tels des dieux, le savaient, eux.

Ayant donné au biofrère tout ce qu’il avait appris durant la nuit, l’habitant du souterrain oubliait aussitôt ce qui, il y a une heure encore, lui apparaissait avec des couleurs vives. Après que le biofrère eut « copié » l’information de son éducateur du souterrain, le cerveau de celui-ci redevenait net comme un tableau d’école essuyé. Le soir, ses cellules cérébrales étaient absolument vides.

Puis, la nuit tombait, et tout recommençait…

Ceux d’en haut organisèrent les choses de telle sorte qu’après la séance de communication avec le biofrère, l’homme devait oublier complètement ce qu’il avait vu en rêve la nuit précédente ; sinon, il se produirait, chose inadmissible, une confusion d’informations. Le cerveau protéique ne pouvait absorber l’information qu’à des doses strictement calculées.

Pour la même raison, celui du souterrain devait en savoir le moins possible tant sur lui-même que sur les autres. En aurait-il besoin ? Il n’était qu’un informateur, et les données superflues ne feraient que surcharger son cerveau.

Et puis, l’information sur soi-même est difficile à effacer, elle peut rester pour toujours.

Les habitants du souterrain ne se souvenaient pas les uns des autres, les liens de parenté leur étaient inconnus. Ils formaient une masse compacte et impersonnelle qui quittait le matin et regagnait le soir ses « cellules » aseptisées.

Il était donc étonnant que Kron Four eût remarqué depuis un moment ce personnage de grande taille et légèrement voûté. Il y avait dans le regard de cet homme quelque chose qui attirait l’attention. Ses yeux n’étaient pas vides et inexpressifs comme ceux des autres hôtes du souterrain. Le garçon sentait confusément que l’homme le captivait. Et est-ce que le fait qu’il se souvenait de ce vieillard n’était pas déjà extraordinaire en soi ?

Plusieurs jours de suite, ils se rencontrèrent de bon matin sur le tapis roulant et, une fois, le vieux sourit même à Kron et lui adressa un clin d’œil à peine perceptible. La peau synthétique se gonflait sur le corps du vieillard, comme si elle appartenait à un autre, bien que cela fût impossible, car l’enveloppe protectrice était pulvérisée directement sur le corps de l’habitant du souterrain.

Une fois, leurs doigts se touchèrent sur la main courante de caoutchouc, ce serpent interminable qui luisait dans la lueur rappelant l’aube des panneaux.