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— Béru, tu peux remuer la tête, n'est-ce pas ?

— Pas chouillet.

— Montre ton maxi !

Il contorsionne sa tronche apoplectique de gauche à droite, puis de bas en haut.

— V'là toutes les vacances qu' j' peux me permettre, geint-il en laissant retomber ses vingt-cinq kilogrammes de tronche sur la molesquine.

— Ecoute, tu vas tenter de faire ce que je te dis, comme je te le dis, posément, calmement, en homme déterminé que tu es malgré tes douleurs. Au-dessus de ta tête, il y a une potence de fer terminée par un gros anneau d'acier auquel est fixée une sangle en V renversé munie d'une poignée.

— J'vois, merci du renseignement, et alors ?

— Outre cet appareil, le fil d'une sonnette passe aussi par l'anneau, exact ?

— Ça me fait une belle flûte !

— La poire de la sonnette est bloquée contre l'anneau, et son fil décrit une grande boucle au-dessus de ta hure, juste ?

— Je vois que lui, même qu'y m'fait loucher.

— Le creux de la boucle est situé à moins de vingt centimètres de ta figure, camarade. Si tu parviens à choper le fil avec la bouche et à le sectionner avec les dents, le poids de la poire étant supérieur à celui du tronçon de fil auquel elle resterait reliée, cette poire tomberait près de ton visage, ce qui ferait deux poires côte à côte.

— Trop s'aimable, et ensuite, on ferait quoi avec cette poire, une tarte Tatin ?

— Ensuite, tu prendrais l'extrémité du fil sectionné dans tes chailles d'occasion, et tu essaierais de faire décrire des moulinets à la poire jusqu'à ce qu'elle atterrisse près de ma bouche. Je me la calerais dans le clapoir et nous serions de la sorte unis par ce morceau de fil électrique, chacun ayant un bout entre ses dents.

— Je vois toujours pas, mec, avoue franchement le malheureux.

— Il te suffirait de serrer fort dans tes dents ton extrémité de fil, je me chargerais du reste.

— Et ce serait quoi t'est-ce, le reste ?

— Eh bien je baierais avec ma bouche et si mon plumard est à roulettes, nous pourrons de la sorte nous rapprocher l'un de l'autre. Une soixantaine de centimètres seulement nous séparent.

— Bon, on serait plus près, et puis ?

— Et puis, comme je peux remuer les doigts, il n'est pas impossible que je parvienne à dégrafer l'une de tes sangles.

CHAPITRE TROIS FOIS RIEN

Ils sont tellement certains de leurs courroies que la porte n'est seulement pas fermée à clé.

J'entrouvre à peine, tellement surpris de ne pas rencontrer de résistance.

Le regard qu'il m'est permis d'insinuer capte un couloir luxueux, garni de tapis, avec des appliques Louis quéquechose sur les murs, plus des tableautins représentant des conneries en costumes d'époque.

Je me retourne vers le Gros.

— Tu viens, l'Enflure ?

Aussitôt je regrette ce qualificatif qui ne se voulait que familier.

L'Enflure !

Tu parles !

Ce qui lui arrive, à Alexandrovitch-Benito ! Son appareil génital ressemble à une pièce à longue portée. Figure-toi des roupettes grosses comme des melons et un chibraque aussi long que mon avant-bras, mais d'un diamètre supérieur.

— Nom de Dieu ! bafouille-je.

— Oui, hein ? soupire le cher camarade de misère. Quand j' te disais que ça me tirait à éclater, mec. Tu comprends maintenant que je gémissais pas pour du vent. T'as déjà maté un braque de c' calibre ? Et encore, je gode pas. Tu le vois au repos. Adieu, Berthe, et pourtant elle a pas le genre de chagagatte à décapsuler les bouteilles de Perrier. Elle, c'est le format porte de grange. Mais jamais je pourrais y rendre visite au trésor avec un outil pareil. Même une éléphante se sauverait en l'voyant. Tout ce que je pourrai m'embourber, doré de l'avant, c'est des s'hangars d'avion. En attendant, y a pas mèche d' me reculotter, m' faudrait un brancard à la place de la braguette.

Qu'est-ce j'fais ? Cette histoire est un recommencement, décidément. Deux fois, dans le même polar, v'là que Béru doit s'évader cul nu d'un antre d'alchimiste !

— Noue ta veste autour de ta taille, pour le cas où on croiserait un pensionnat de petites filles en se barrant.

Je me hasarde dans le somptueux couloir. Tout est tranquille, les loupiotes brillent et nulle âme ne se signale à l'horizon. On se croirait dans un hôtel cinq étoiles.

— Mince, fait le Gravos, c'est pas là qu'y m'ont amené quand on est arrivé.

— Ils t'auront transporté pendant que tu étais dans le coltar…

Je m'approche de la plus voisine porte et j'écoute. Le silence, seul, répond à mon tympan aux aguets, comme l'écrirait M. Maurice Schumann, de l'Académie française par contumace. Je tourne le loquet, pour dire de me rendre un peu mieux compte des choses. Le hic, quand tu te retrouves en terrain absolument inconnu, c'est de se faire une idée ! Un peu comme quand tu rencontres un monsieur, dans le train, et que tu le tâtes du bout de l'antenne pour détecter ses opinions avant de lui dire qui tu trouves plus con que les autres dans la politique françouaise.

La porte s'ouvre aussi aisément que celle de notre piaule. Cette seconde pièce est la réplique de l'autre, sauf qu'elle ne comporte qu'une table de supplice au lieu de deux.

L'homme qui y gît est monstrueux. Lui, c'est pas la burnerie qu'on lui a dilatée, mais la tronche. Le plus important hydrocéphale de la planète, à côté de lui, possède une tronche de ouistiti. Son front doit mesurer au moins un mètre de tour de taille, comme dirait toujours M. Maurice Schumann de l'Académie française par excès. Et ce qui est féroce dans le spectacle, c'est que ses yeux et ses dents ont conservé leurs dimensions originales. Il ressemble à une énorme lune avec de tout petits châsses et une denture de souris blanche.

Je prends sur moi (sur qui veux-tu que je prenne ?) pour lui parler, malgré ma formidable répulsion.

— Salut, l'ami, vous êtes en état de marcher ?

Il balbutie des mots en forme de coqueluche, quand le moufflet a le chant du coq. M'explique qu'il est portugais, qu'on l'a kidnappé alors qu'il passait la frontière en fraude, et qu'il est traité dans cette casa depuis plus de huit jours. Je le délivre, l'aide à se lever. Il titube.

— La tête me tourne, explique l'homme.

— Elle peut ! grommelle Bérurier. Et si elle tournerait autour du soleil, t'aurais qu'à la peindre en bleu pour qu'é ressemble à la Terre. Dedieu, quand je vois le potiron que t'as sur les épaules, je me réjouis presque de la courgette qui me pend sur les cuisses. On est bonnard pour monter la traction du siècle à la Foire du Trône, l'ami. Je te réponds qu'on n'a qu'une photo à espédier chez Bamum pour obtenir un engagement à prix d'or.

Je conseille à Grosse-Bouille de reprendre un peu d'aplomb et je passe aux autres pièces. Il y en encore dix. Dans chacune je découvre un ou deux malheureux dont une partie du corps est frappée de ce sauvage éléphantiasisme. Certains ont des pieds d'hippopotame, d'autres un ventre de baleine, certains se trimbalent des roustons plus monstrueux encore que ceux de mon compère ou des têtes aussi incroyables que celle de notre voisin portugais.

En cinq minutes, tout le monde est délivré et compose dans le couloir la caravane la plus ahurissante qui se puisse concevoir. Moi, normal, au milieu de tout ça, j'ai l'air d'un monstre par opposition, la loi du nombre me jouant contre.

Le silence continue de retentir, comme dirait Maurice Schumann, de l'Académie française par inadvertance. Epais. Etrange. Nos tourmenteurs auraient-ils déserté les lieux ?

Je fais signe à mon étrange troupe de rester immobile et m'avance vers l'extrémité du couloir. Une porte métallique coulissante est ouverte, au-delà de cette porte on aperçoit un mur, ce qui semble indiquer que notre corridor se jette dans un autre, comme la Saône dans le Rhône (ou inversement, après tout pourquoi ce serait le Rhône le fleuve et la Saône l'affluent ? Ils sont marrants, les géographes, ils décident comme ça. Moi, je serais au gouvernement, je procéderais à un référendum. Si la Saône était promue fleuve à la place du Rhône, ce fleuve serait entièrement français, alors que le Rhône naît suisse où il passe toute son enfance, et se fait naturaliser français seulement à sa majorité). Soudain, très loin, une sonnerie retentit.