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Béru se met à égosiller :

— Moi, je vais vous dire que j'ai déjà maté une quantité gastronomique de culs, mais des aussi bathouzes que votre chaloupe, rarement, chère maâme, j'espère que vous dormez dans l'établissement, à cause que j'eusse beaucoup de plaisir à vous causer de Paris, c't' nuit, à tête reposée.

Elle lui file un coup de battoir sur la braguette, si fort qu'il en gémit, Panoche.

— Dites, c'est pas une raison pour m'assommer le Pollux, proteste l'Enflure. qu'est-ce vous devez donner en pleine batifolade, mon p'tit cœur. Av'c vous, faut drôlement s'arrimer la cargaison, car doit y avoir du tangage dans l'entrepont et du roulis dans la moelle pépinière…

La Charlotte s'extase :

— Un dessalé ! Mon rêve ! Je sens qu'on va bien s'amuser…

C'était un souhait. Ce ne fut pas une prophétie.

— Comment se nomme le premier disparu, chère Charlotte ?

— Charly Bonnus.

— Dans quel état se trouvait-il ?

— Post-comateux.

— Donc, mort ? plaisante-je, parce que si on ne rigolait pas de ces choses-là, on en chialerait.

Bonne file, elle rectifie :

— Post et pré-comateux. Un corps sans âme ni raison. Mathilde, qui s'occupait de lui, va vous expliquer.

Elle ouvre une porte de chambre au-dessus de laquelle une loupiote rouge est allumée, indiquant que l'infirmière de ce secteur se trouve dans la pièce.

Fectivement, on découvre une belle grande brune, piquante, comme disaient nos parents (nos papas surtout). Elle fait le lit d'un gonzier déplumé, lequel se tient agenouillé au centre de la chambre, face à un crucifix.

Extatique, il balance au divin supplicié : des baisers, des signes de croix, des signes de cinq sens, des signes de Zorro, des signes du destin, des signes d'étang, des signes extérieurs de richesse, des signes de vie, des signes avant-coureurs, des signes de fatigue, des signes de ponctuation, des signes du Zodiaque, des signes de reprise économique, des signes que oui et des signes que non.

— C'est un ancien curé, chuchote Charlotte ; sa femme l'a quitté et il nous fait une folie mystique.

Puis elle claque des doigts afin de requérir l'attention de l'infirmière et lui fait signe de nous rejoindre.

La môme, tu la verrais mieux avec une jupette de cuir et une cravache, les seins nus devant un hôtel de passes rapides de la rue Saint-Martin que loquée en infirmière. Ça doit provenir de la choucroute sommant sa tête. Y en a haut commak. Elle s'est peint les lèvres en violet et en forme de violette, et j'aurais grand tort de te passer sous silence ses faux cils de huit centimètres, aussi ne le ferai-je pas.

Dans cette boîte, c'est dingue la manière dont la gent féminine est dessalée. A peine que t'arrives, elle te mesure le chibre, en lisant dans ton z'œil. Iridologues, ces frangines. Ne pensent, d'emblée, qu'à ton raminagrobis.

La terrible œillade dont elle me transperce, madoué ! J'en ai la glotte qui fait du home-trainer.

— Voui ? elle questionne d'une voix de gorge comme une qu'aurait pas recraché après.

— Ces messieurs sont de la police parisienne. Ils viennent pour au sujet de ce dont vous vous doutez, déclare la grosse Charlotte. Ils commencent par le pauvre Bonnus. Si vous voulez vous occuper d'eux…

— D'accord, mais vous me finissez le chanoine, madame Charlotte ? J'ai refait son lit, mais je ne l'ai pas encore masturbé.

La cheftaine soupire.

— Bon, je m'en occupe.

Et, à nous autres, explicative :

— Ce vieux bougre n'est plus capable de s'opérer lui-même, et s'il n'éjacule pas avant de se mettre au lit, il passe une nuit blanche à brailler des cantiques…

Elle entre dans la pièce pour ses fonctions manuelles.

* * *

— Il logeait ici, Charly Bonnus. Près de la section traitements. Le matin, je le levais, lui faisais sa toilette et l'installais dans ce fauteuil roulant. L'après-midi, je le promenais dans le parc et le sortais de son siège pour le forcer à marcher afin d'éviter l'ankylose et faciliter sa circulation sanguine.

— Pouvait-il se déplacer seul ?

— Il aurait pu, mais son cerveau ne pouvait commander à ses jambes. Quand on le tirait, il suivait. Vous comprenez ?

— A quelle heure a-t-il disparu ?

— Pendant la nuit. Au matin, son lit était vide.

— Vous faites aussi la nuit ?

Elle soupire.

— Oui. Formule du docteur Rèche : la particularisation. Je m'occupe de quatre malades mais m'en occupe continuellement. Un système de phonie relie, la nuit, leur chambre à la mienne. S'ils s'agitent, j'entends et je vais voir.

— Il n'avait aucune possibilité d'ouvrir sa porte depuis l'intérieur de sa chambre ?

— Non. Et quand bien même il l'aurait eue, il ne s'en serait pas servi, dans l'état où il se trouvait…

— Alors, votre hypothèse quand vous avez constaté son absence ?

— Eh bien, il existe à la clinique un département de dépressifs, des gens qu'on ne peut qualifier de malades mentaux, mais dont on soigne la neurasthénie. Disons qu'ils se trouvent dans l'antichambre de la folie. La plupart guérissent à peu près, d'autres au contraire basculent du mauvais côté. Les chambres de ces gens-là sont des pièces normales, d'où ils peuvent entrer et sortir, car le côté carcéral aggraverait plutôt leur état mélancolique.

— Et vous pensez que l'un d'eux serait venu chercher Charly Bonnus pendant la nuit et l'aurait emmené à l'extérieur ?

— Cela me semble être l'explication la plus plausible.

Malgré sa choucroute à la con, ses lèvres imprimées et ses cils extravagants, elle paraît pleine de jugeote, la Mathilde pétroleuse.

— A mon avis, reprend-elle, ce serait plutôt l'initiative d'une femme. Car il y a un détail qu'il est peut-être intéressant de signaler : Charly Bonnus était très beau garçon. Un blond aux yeux bleus, avec des traits réguliers. Vous avez vu des films de Jean Marais, lorsqu'il était jeune ? Un garçon dans ce genre… Pourquoi l'une des nos dépressives, tenaillée par la sexualité (son regard se met pleins phares) n'aurait-elle pas agi dans quelque état second ? Elle jette son dévolu sur Charly, va le chercher, ce qui est facile. L'emmène hors de la clinique, ce qui l'est également, le bricole, puis regagne sa chambre en l'abandonnant en pleine nature. Là, le pauvre petit gars se traîne au hasard. Il se noie dans une mare, ou bien il est tué par un jeune automobiliste qui, pris de panique, cache le cadavre. A moins qu'il n'ait été assassiné par celle qui l'aurait entraîné hors de la clinique ?

— Vous pensez à des personnes précises ?

— A trois ou quatre, oui, qui selon moi auraient pu avoir ce comportement.

— Pourquoi, selon vous ?

— Parce qu'elles donnent des signes de frénésie érotique à certains moments, comme vous et moi.

Et la v'là qui me file une bourrade canaille en allumant ses châsses.

— Vous avez fait part de vos doutes à la police ?

— Bien sûr. Mais ça n'a rien donné. Il faut dire qu'on ne peut interroger des malades comme on questionne les gens normaux.

— Quelqu'un s'intéressait-il à Charly Bonnus ?

— Vous voulez dire quelqu'un de l'extérieur ?

— Oui ?

— A part sa famille, qui venait de moins en moins, quelques footballeurs de son ancienne équipe… Non, personne. Il n'était pratiquement plus vivant, comprenez-vous ? Il ne lui restait que le corps. Et hélas un corps en parfait état.