Выбрать главу

J’ai appris à me blinder contre ce genre d’agressions.

— Je comprends que vous soyez en colère, monsieur Bachir. Pourriez-vous me donner les papiers que vous avez reçus ? La copie du procès-verbal de votre audition à la police, celle de l’interrogatoire chez le juge d’instruction et une copie de votre mandat d’arrêt. Si vous ne voulez pas qu’on vous défende, je les remettrai à votre père. D’après ce que j’ai compris, c’est votre personne de confiance.

Il hausse les épaules.

— Si vous voulez, mais ça changera rien. Ils sont dans ma cellule.

J’appelle un gardien et lui explique ce dont j’ai besoin. Il repart avec Akim Bachir.

Je consulte une nouvelle fois ma montre. Il est près de 9 heures. L’aller-retour à sa cellule va me faire perdre dix à quinze minutes.

Il réapparaît un quart d’heure plus tard et me remet les papiers.

— Voilà.

— Merci. Si vous changez d’avis, demandez à votre père de reprendre contact avec moi.

Pour toute réponse, il regarde fixement le sol.

— Au revoir, monsieur Bachir.

Au moment où je me lève, il m’interpelle à voix basse, la tête toujours baissée.

— Si vous voulez vraiment m’aider, dites à mon père de ne pas dépenser son argent pour moi.

— Je lui dirai.

Il relève la tête.

— Dites aussi à mon frère que je suis vivant.

Je me retiens de lui poser la moindre question.

— Si vous voulez.

En vingt ans de carrière, j’ai appris de nombreuses choses sur la nature humaine, la justice, l’injustice, la vérité, le mensonge, l’hypocrisie, les coups bas, les trahisons et les fausses promesses.

À force de côtoyer toutes sortes de personnages, j’ai également appris qu’un message peut en cacher un autre.

4

Sur les chapeaux de roue

Il est 9 h 21 quand je remonte dans ma voiture.

Le GPS m’informe que je serai au Palais à 9 h 32. Je le trouve optimiste. À cette heure-ci, l’avenue Louise a de fortes chances d’être bloquée.

Je consulte le journal de mon téléphone et compose le numéro d’Adel Bachir.

Il répond dès la première sonnerie.

— Adel Bachir, j’écoute.

— Bonjour, monsieur Bachir, c’est Jean Villemont.

Il hausse la voix.

— Maître Villemont, bonjour, j’attendais votre appel.

Sa phrase se noie dans un brouhaha de conversations, il se trouve sans doute dans un lieu public.

— Je vous entends mal, monsieur Bachir. Voulez-vous que je rappelle plus tard ?

— Non, attendez un instant, s’il vous plaît.

Il lance quelques phrases en arabe d’un ton autoritaire. Le silence se fait.

— Je suis au magasin, maître. Je vous écoute, vous avez vu Akim ?

— Je sors de la prison à l’instant. J’ai vu votre fils, il est en bonne santé.

Il répète en ponctuant chaque mot, dans le but évident de transmettre le message aux personnes qui l’entourent.

— Je lui ai parlé pendant quelques minutes. Il ne souhaite pas se faire assister par un avocat. Il pense que cela ne servira à rien. Je vais vous envoyer les papiers qu’il a reçus. Ils serviront s’il change d’avis.

Il coupe court à mon explication.

— Je ne comprends pas. Il ne veut pas d’avocat ? Ce n’est pas possible. Mon magasin se trouve à deux pas de la prison, avenue Lepoutre, près de la place Brugmann. Vous pourriez venir m’expliquer ce qui s’est passé et me donner ces papiers ?

Je jette un coup d’œil à l’horloge de la voiture.

— Je suis pressé, monsieur Bachir.

L’émotion le prend.

— S’il vous plaît. Je vous en prie. Je vous paierai ce qu’il faut.

Je fais un rapide calcul.

Si j’y vais et que je le quitte à 10 heures au plus tard, il me restera une demi-heure pour arriver au Palais. De la place Brugmann, je pourrai descendre par la chaussée de Waterloo et contourner l’avenue Louise.

— Bien, je fais un saut chez vous. Je ne pourrai pas rester, juste le temps de vous remettre le dossier.

— Je vous remercie mille fois, maître. Vous ne trouverez pas de place dans la rue, je vais demander qu’on sorte la camionnette, mettez-vous dans l’entrée du garage. Chez Bachir, vous verrez, au coin de la rue François-Stroobant.

Je saisis l’adresse dans le navigateur.

Avant de démarrer, je prends les documents que son fils m’a remis et parcours la déclaration en diagonale pour visualiser la scène.

Le mardi 19 février 2013, un peu avant 10 heures, Akim Bachir a fait irruption dans le bureau de poste Saint-Guidon, situé place de la Vaillance, à Anderlecht. Il était armé d’un couteau. Une dizaine de personnes se trouvaient dans la salle.

Il s’est dirigé vers le comptoir, l’a enjambé, a attrapé l’une des employées par le cou et l’a forcée à se coucher à plat ventre sur le sol en la menaçant de son arme.

Ensuite, il a ceinturé la seconde employée, posé le couteau sur sa gorge et lui a ordonné d’ouvrir la porte qui donne vers les bureaux. La femme a eu un malaise et s’est évanouie. La police est arrivée sur les lieux. Il a entendu les sirènes et est sorti de la poste. Il a jeté son arme et s’est rendu sans opposer de résistance.

Si je m’en tiens aux grandes lignes, c’est un braquage qui a mal tourné. J’en ai connu de nombreux dans ma carrière.

Je me mets en route et pile devant le magasin d’Adel Bachir quatre minutes plus tard.

Chez Bachir est une épicerie à l’ancienne, de celles que l’on voit renaître de nos jours dans les quartiers bourgeois. Elle est située au rez-de-chaussée d’un immeuble de style. Malgré la météo hivernale, les légumes, les fruits et les fleurs sont exposés à l’extérieur, protégés de la pluie et du vent par un auvent de toile beige.

Un homme râblé d’une soixantaine d’années sort du magasin et vient à ma rencontre. Il porte un bonnet de laine noir enfoncé sur les oreilles. Ses yeux rougis trahissent le chagrin et les nuits blanches.

Je sors de la voiture.

— Bonjour, monsieur Bachir.

Il me serre la main, la pose ensuite sur son cœur et s’incline légèrement.

— Maître Villemont, c’est un honneur que vous me faites d’accepter de venir me voir. Je vous remercie beaucoup. Entrez.

Je le suis.

Quelques clientes déambulent dans les rayons. Un homme d’une quarantaine d’années et un adolescent se chargent de les servir. Selon toute vraisemblance, ce dernier est le frère d’Akim. Il a la même stature que lui et un indéniable air de famille.

Adel Bachir se dirige vers le fond du magasin.

— Par ici, maître.

Il franchit la porte qui conduit au hall de l’immeuble, passe l’escalier qui mène aux étages et s’enfonce dans le couloir. Au bout, il pousse une porte et s’efface pour me laisser entrer.

Nous pénétrons dans un petit salon encombré de meubles, de caisses et d’un tas d’objets disparates. Une table recouverte d’une nappe en plastique rouge occupe le centre de la pièce. Une théière fumante et deux verres de petite taille nous attendent. En équilibre sur une commode bancale, une télévision muette diffuse les images d’un téléachat.

Il m’indique une chaise et jette un regard circulaire.

— Il y a un peu de désordre, je vous prie de m’excuser. L’appartement était plus grand quand on s’est installés, mais on a fait des transformations dans le magasin et on a dû déménager nos chambres sous le toit.

Entre deux armoires, une ouverture sans porte mène à une pièce obscure. Une odeur lancinante de mets épicés s’en échappe. Les volets sont baissés, la pièce est plongée dans l’obscurité.